Nos coups de coeur
Voici un ouvrage unique en son genre. À la fois roman historique, pièce de théâtre et essai politique, c'est aussi une œuvre spirituelle qui ne peut laisser l'homme de foi indifférent. Nous sommes au XXIe siècle. Mais l'action se passe en l'an 33, en 1421 et en 1793. La scène est double : côté cour, un tribunal. Les accusés : Jésus, Jeanne la Pucelle et Louis, le roi martyr. Côté jardin, une chartreuse enneigée, la nuit, dans les Alpes : une jeune prieure de souche franco-irlandaise dialogue avec un politicien désenchanté.
L'héroïne, on l'aura compris, c'est la France. L'intrigue : la lutte subtile entre le cynisme et l'espérance. La patrie de Jeanne vit-elle encore ?
La trouvaille, c'est cette mise en parallèle des procès de Jésus, de Jeanne et de Louis. En 33, c'est l'homme qui condamne son Dieu. En 1431, ce sont des traîtres qui brûlent leur conscience. Trois siècles plus tard, fin d'un monde : l'héritier du trône meurt sous les coups de l'idéologie. Au fond, ces trois procès sont un peu les mêmes : procès de la vérité, procès de l'innocence, procès de la vocation. La démonstration est subtile : à chaque fois, la question politique est le nœud de la tragédie. Le procès de Jésus était un procès politico-religieux, voulu par des prêtres. Les juges de Jeanne étaient des ecclésiastiques collabos, à la solde de l'occupant. Le procès le moins politique fut celui du roi Louis : Le tribunal de la Convention voulait que la République prenne la place de Dieu et de son Église. Il fallait abattre le roi sacerdotal.
Yves Meaudre montre que l'histoire des hommes, c'est l'histoire de Dieu dans la vie des hommes. Elle se résume toujours à la question : qui est Dieu en ce temps-là ? D'où vient que l'histoire des idées politiques se résume à l'histoire des relations entre les pouvoirs, le temporel et le spirituel. Car la foi est une provocation perpétuelle pour les pouvoirs qui se moquent de la justice et du bien commun en se nourrissant des idolâtres.
Pendant le procès, le dialogue se poursuit entre la religieuse et le politicien. L'auteur aurait pu faire dialoguer deux philosophes, ou un maître et son disciple. Il met en scène la prière et l'action. Tous deux contemplent la France et s'interrogent : qu'est-ce que le pouvoir ? qu'est-ce que la politique ? Qu'est-ce que la vérité, demandait Pilate à Jésus. Qu'est-ce que la France, demande l'ancien ministre qui sait encore qu'on ne peut pas servir sans aimer, ni aimer sans se connaître. Selon que tu seras fidèle ou non aux promesses de ton baptême, lui dira un jour le pape polonais, tu seras heureuse ou non, tu seras ou non.
Si la France infidèle ne vit plus, à quoi bon ? Pour la religieuse, la seule certitude, c'est le sang des martyrs et l'espérance. L'âme de la France est entre les mains de la prière. Mais la prière n'est pas une fuite. La prière est le fil de la vie : le découragement ne sert à rien. À la fin, c'est la joie qui triomphe, la joie qui se donne sans attendre dans le service des jours. Ainsi va la France, on ne peut pas ne pas y croire. Un livre puissant et magnifique.
Philippe de Saint-Germain
Dominique Martin Morin, 2009, 223 p., 18 €