Nos coups de coeur
Notre époque ne doute de rien. L’élève le plus médiocre, parce qu’il est né au XXIème siècle, s’imagine en savoir beaucoup plus que ces lointains philosophes antiques. Oui, selon lui, selon sa vérité, des antiquités en effet…
Il y a là une conception progressiste du savoir qui, si elle est en partie juste en matière technique et médicale (sous réserve d’une ré-appropriation dynamique par chaque époque de la Tradition), ne l’est assurément pas dans les domaines des philosophies de la connaissance, morale et politique. En réalité, c’est la philosophie en tant que telle – et la métaphysique (dont elle et la physique dépendent) - qui sont intemporelles. Simplement ne doivent-elles pas oublier de se nourrir des apports des sciences dites exactes sans que ces dernières puissent prétendre exercer leur gouverne sur elles. Tout cela va sans dire penserez-vous… Ce n’est pas si sûr tant, en chacun d’entre nous, l’instinct d’inculture nous pousse à nous imaginer supérieur à nos pères. Ainsi donc pénétrons-nous de cette vérité : les présocratiques, Socrate et les post-socratiques ne sauraient moins que nous pouvoir puiser dans leurs bagages des éléments de réponse (comme on dit) aux interrogations morales qu’incitent à nous poser les réponses (plus positivistes que positives) que l’idéologie dominante de l’Occident contemporain apportent aux problèmes qu’elles se posent. Notez-le : ces «problèmes», elle se les pose plus qu’ils ne se posent objectivement (ainsi : le «droit» des femmes, le colonialisme etc). Et, lorsque ledit problème en constitue véritablement un (par exemple, les questions traitées par la bio-éthique), elle apporte souvent des réponses nuisibles à l’homme et à la société. Le premier mérite des penseurs proche-orientaux sera ainsi de constamment aller à l’essentiel tandis que le philosophe type post-moderne non seulement ne distingue plus l’essentiel de l’accidentel mais refuse de considérer qu’il puisse exister un ordre essentiel… car, derrière l’essentiel, n’est-ce pas, il y a l’essence et la nature, l’idée de quelque chose d’immuable, vouée à l’éternité. Voilà qui l’indispose. Aussi ne rions pas d’Anaximène, d’Anaximandre et d’Anaxagore… l’eau, l’air, le feu… cette recherche de l’élément primordial dans l’univers n’est nullement futile ou périmée. Aussi, encore, cherchons à prendre position par rapport à Parménide et à Héraclite : avons-nous le sentiment que tout change à tout instant, que rien n’est jamais identique à rien et que nous ne nous baignons jamais dans le même fleuve ou pencherions-nous vers l’Être plein, constant qui occuperait le tout du tout dans l’univers ? Tout n’est-il pas de la même eau, ou, en tous cas, du même tonneau ? Passant de celui de Diogène le Cynique aux agapes (aux ‘‘agrappes’’ dirait ma concierge) dionysiaques de Nietzsche en passant par les précurseurs de l’agape chrétienne en quoi Saint Augustin a perçu nombre de philosophes grecs, ce dictionnaire ne doit pas être regardé comme une curiosité, une somme certes mais surtout un musée dont les muses ne sauraient en aucune manière inspirer les hommes cultivés de ce siècle, et nos hommes politiques en particulier. Bien au contraire, il doit être lu par ce qui reste encore de citoyens en ce pays comme une pré-bible, un ouvrage profane mais profond qui, n’en déplaise à un Alain de Benoist, annonce la fin de l’éclipse du sacré.
Hubert de Champris