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Un humoriste de talent (au hasard … Alex Métayer !) eût fait de la dernière réforme de l’accès à l’université un sketch d’anthologie.
M. Jean Michel Blanquer a frappé un grand coup.
Pour commencer, orientation renforcée au lycée. Les lycéens auront deux semaines pour mieux connaître les métiers et les filières d’études. Ils avaient déjà des salons des métiers, mais sans doute que cela ne suffit pas. Puis, dûment informés (comment, ça…) ils préciseront leurs intentions, lesquelles seront étudiées au premier trimestre par le conseil de classe, qui pourra formuler des recommandations. Au deuxième trimestre, le conseil de classe donnera son avis sur les vœux des candidats et le lycée les transmettra aux établissements d’enseignement supérieur. Jusque là, ça va.
Là où ça devient révolutionnaire, c’est que les établissements supérieurs devront alors assurer un accompagnement personnalisé pour ceux qui n’ont pas le niveau requis et pour faciliter cet accompagnement, les établissements nommeront dès décembre 2017 un second professeur principal.
Combien ça va coûter, ça…
Mme Claire Polin se félicite. C’est un premier pas, dit-elle que« le regard accru de l’équipe pédagogique permet à l’élève de ne pas faire une erreur de casting ».
J’ai beaucoup de respect pour Mme Polin et son travail, mais il ne s’agit pas de poser pour jouer dans La gifle ou pour entrer au cours Marceau (encore qu’il y a sans aucun doute des vocations de comédiens dés la terminale). Tous les enseignants connaissent cette imposture merveilleuse qu’on appelle « le conseil de classe ». J’illustre. Il y a déjà quelques années, au cours d’un conseil de classe dans un lycée de Picardie, un de mes élèves de seconde avait émis le vœu d’aller en filière L. Sans même regarder les notes, le proviseur s’apprêtait à apposer sa signature. J’étais TZR, (titulaire sur zone de remplacement) mais je venais de terminer une thèse de philosophie, et j’avais passé deux ans dans les IUFM à préparer à la didactique du français des futurs professeurs des écoles. Et j’étais un professeur titulaire. Autrement dit, je pouvais l’ouvrir… J’ai dit : » M. Le proviseur, on ne peut pas entrer en L avec une moyenne de 2 en français ». Il s’est arrêté, a fait une pause a repris la plume et a dit : « ce sera donc STT. Personne n’a moufté. Je me suis arrêtée là, à quoi bon ? de toute manière les parents ont fait opposition. Et il s’est peut-être révélé en L, qui sait ?
Quand on a un corps professoral qui note les élèves en fonction d’une norme et non en fonction du travail réel, il ne faut pas espérer qu’il puisse porter un regard bienveillant et ajusté. On voudrait que l’orientation des élèves se fassent pendant ces réunions consensuelles, où les professeurs en situation difficile tremblent pendant que les autres se préparent au théâtre habituel dont ils ne sont pas dupes. Avant le conseil, les professeurs principaux font le tour des collègues pour vérifier qu’il n’y a pas de voix discordante. Ils nouent un pacte implicite de bandits qui ont intériorisé l’injonction majeure de l’institution : pas de vague.
Mme Polin a raison quand elle écrit que « l’orientation est actuellement une calamité ». ça fait bien longtemps que ça l’est. En 2006, au Qatar, au lycée de Doha on avait envoyé des gens de France pour nous exposer la réforme de l’orientation, et un petit logiciel pour les classes de troisième. On entrait des items, et le logiciel vous donnait des possibilités. Le professeur principal devait initier ses élèves. Une chance pour eux, c’était moi. Ma plus brillante latiniste se voyait proposer de devenir fleuriste ou d’élever des canards; mon cancre de service d’une serviabilité hors pair qui me racontait des histoires drôles à l’interclasse se voyait proposer un parcours de chimiste. Le reste était à l’avenant. Nous n’avons jamais tant ri qu’en utilisant ce logiciel. J’ai dit aux élèves que c’était une sorte de jouet de l’EN, et que c’était là pour nous donner des idées pour un texte d’invention pour le brevet. Là, ça les a vraiment fait rire.
Proposer d’orienter dés le collège en fonction des capacités et des goûts de l’élève, on touche là un gros problème. Le collège unique a été la réponse, mauvaise, à une vraie question, celle de l’’orientation précoce, trop précoce, et qui se fait par l’échec. Pour orienter correctement en filière professionnelle, il faudra attendre la réhabilitation de ces filières. On n’en prend pas le chemin.
Ce qui est nécessaire, ce sont des passerelles entre les filières. Et des passerelles à tout moment. Un élève qui a choisi la filière SMS a le droit de se rendre compte qu’il n’est pas fait pour devenir secrétaire médical ou brancardier, et doit pouvoir se réorienter sans affres. Il s’est trompé d’orientation, pas de quoi fouetter un chat. Et s’il faut perdre un an, dans une existence de plus en plus longue et où on devra travailler plus de 40 ans, qu’est-ce que ça fait ? ça coûte cher ? L’Himalaya de bêtise qui stratifie l’EN coûte bien une fortune.
Revenons à la réforme. Désormais, chaque université visée par le postulant devra soit l’inscrire directement s’il est apte à suivre un cursus universitaire, soit proposer un parcours personnalisé pour combler ses manques. Bien sur, en théorie, les universités conservent le droit de refuser des candidats et de créer une liste d’attente. En réalité, en cas de refus, les commissions chapeautées par les recteurs auront pour objectif de permettre à chaque étudiant déçu de trouver l’université qui l’accueille. Et il y aura toujours une université en sciences humaines pour accueillir un étudiant illettré qui veut faire des études supérieures. La mentalité de gauche qui gouverne ces universités le leur impose. La sociologie se porte bien. L’héritage de Pierre Bourdieu y règne, autrement dit, les jeunes de dix huit à vingt ans, qui n’ont encore rien fait, rien accompli, - et comment le leur reprocher ? - sont entraînés à une analyse critique de la société dans laquelle ils devront trouver une place et qu’on apprend à juger, et à détester.
J’ai assuré des TD en sociologie, il y a bien des années. Le professeur travaillait sur les itinéraires de vie à partir des lieux où les gens avaient séjourné. Du Bourdieu en diable. Les étudiants devaient faire une étude de terrain par tandem. Un binôme était venu me proposer une étude sur les réseaux de trafic de drogue. Ils les connaissaient tous. J’ai refusé. Ils ont fini par choisir l’itinéraire d’un vicaire de paroisse. Une jeune maghrébine de 27 ans, qui quadruplait sa deuxième année m’avait rendu un dossier sur le parc Jules Verne où elle croisait des « entités ». Je n’ai jamais su lesquelles et je n’ai jamais compris quelle étude de terrain elle avait entreprise. Mais je devais noter… Un jeune Mauricien s’était déterminé sur la base d’un prospectus là-bas en île de France. C’est tout ce qu’il avait pour se déterminer. Il l’a fait, courageusement. Il a découvert en France que la filière choisie n’existait pas, et il s’est inscrit où il a pu : en sociologie. Sans mon aide, il n’aurait jamais réussi. Quelques années plus tard, trois ou quatre ans, de passage à Amiens, j’ai croisé dans le bus, un jeune homme qui était en sociologie. Nous avons évoqué nos expériences mutuelles, et il m’a parlé d’un de ses amis qui avait terminé un master dans la filière de son choix, qu’il avait pu regagner par le DEUG de sociologie. Et il a continué en me disant que lorsqu’il avait passé le DEUG, il lui manquait quatre points. Il avait contacté une enseignante qui l’avait aidé et s’était intéressée à lui. – Ce jeune homme, il s’appelait Camel ? – Oui madame, Camel. J’ai souri… – Cette enseignante, c’était moi. - Madame, c’était vous… Oui, je me souviens, je suis allée dire au secrétariat que je m’étais trompée de 4 points dans le report de note, ils ont rectifié. - Dites à Camel que je ne l’ai pas oublié. - Lui non plus madame, lui non plus, il ne vous a pas oubliée.
Revenons à Rires et chansons de Jean-Michel Blanquer. On annonce des directeurs d'études pour recevoir chaque étudiant. Mme Polin a compté. A raison de 300 000 élèves en première année de licence et 1607 heures travaillées par an, il en faudrait au moins un millier pour que chaque étudiant puisse avoir 2h en 6 mois.
Et on va les trouver où ? On va créer des emplois aidés peut-être?
Ce n’est pas seulement la réforme qui est absurde et qu’il faut dénoncer, c’est le climat de mensonge qui visse tous les rouages de l’institution. Et c’est aussi un simple fait : les enseignants, dans la plupart des cas, (sauf les lycées professionnel) n’ont jamais quitté l’école. Ils sont passés de l’école à l’université et de l’université au lycée ou au collège. Quel regard peuvent-ils porter sur leurs élèves ? Un regard « scolaire ». Ils statuent sur des notes, alors qu’il s’agit d’une jeune destinée, et dans cette destinée, il y a peut-être une vocation à discerner, à faire émerger. Que veux-tu faire, c’est une autre modalité d’une question plus profonde : que veux-tu être ? Que veux-tu devenir ?
L’orientation est un vrai problème, et ce n’est pas seulement une question d’information. C’est une certaine parole à tenir devant un jeune. Que veux-tu faire, qu’est tu prêt à risquer pour l’obtenir ? C’est une certaine capacité à interroger le jeune sur sa capacité à s’affranchir du désir parental ou de l’injonction scolaire (tu as fait S, tu feras donc médecine) pour se demander ce qu’il veut faire, et aussi, ce qu’il veut devenir. C’est donc d’abord un problème de liberté, de cette liberté que le jeune va engager dans ce qu’on appelle son orientation. Et cela, on doit le lui dire, en lui rappelant qu’on peut se tromper, que c’est le risque, mais qu’on peut aussi rattraper, que la vie offre des passerelles, et que le parcours professionnel, comme un livre, comporte des chapitres. Qui parfois, sont très contrastés. Pour cela, il faut abandonner la langue de bois qu’on a appris à manier dans le milieu des professeurs.
Un sketch pour Alex Métayer s’il était encore de ce monde, voilà ce que mérite cette réforme risible.
En attendant, les étudiants vont massivement faire de la sociologie ou de la psychologie, où ils apprennent à mépriser une société dont on leur dévoile les rouages bourgeois, les principes de « distinction » et d’ « habitus » et en bref, qu’on leur apprend à ne pas aimer, voire à haïr.
Et on s’étonne qu’il y ait des réseaux de trafic de drogue dans nos campus ?