source [Institut Montalembert]
L’IEPM a travaillé depuis 3 ans avec des personnes expérimentées en conseil RH, spécialistes de la gestion du fait religieux en entreprise et juristes de droit social, en vue d’élaborer un schéma de séminaire, s’appuyant sur un classeur-type de formation à la gestion du fait religieux en entreprise, destiné aux managers et aux DRH d’entreprises[2].
Ces travaux ont abouti à la rédaction d’un classeur-type de l’IEPM, qui se propose de contribuer à l’élaboration d’un « guide » patronal pour l’ensemble des entreprises privées[3] –. La ligne de management proposée est axée sur une position dite de « laïcité ouverte » – telle que nous l’avons définie dans l’article paru sur le site de l’IEPM dès novembre 2014 (« Comment gérer le fait religieux en entreprise ? » ), se traduisant par une acceptation limitée – dans le cadre du droit – des manifestations du fait religieux en entreprise.
Le présent vade mecum, destiné aux managers, est la synthèse ordonnée de ce classeur-type.
Les impératifs professionnels demeurent en tout état de cause la « boussole » du management en la matière ; et le « baromètre » du management sera le degré de respect par chacun des limites apportées par le droit à la liberté individuelle d’extérioriser ses convictions religieuses en entreprise ; car les limitations imposées par le droit en vigueur doivent être respectées par les deux parties : le salarié comme l’employeur.
La ligne proposée peut avantageusement sous-tendre le « discours maison » de l’entreprise sur ce dossier, dans le cadre général du guide patronal que nous appelons de nos vœux. Et les séminaires que nous préconisons permettront d’éviter aux managers d’être pris au dépourvu devant certains manifestations du « fait religieux », y compris en s’abstenant d’intervenir collectivement de façon intempestive lorsque cela n’est pas nécessaire et que le problème s’il existe peut être réglé par une dérogation individuelle.
L’accent, pour des raisons évidentes d’actualité, est mis sur la gestion des « faits religieux » en provenance du personnel de sensibilité et de culture musulmanes, lequel n’est pas majoritairement pratiquant sur le plan religieux proprement dit (cas de la majorité de nos collaborateurs en entreprise).
Le présent vade mecum a été calibré – comme le classeur-type – de manière à être remis entre les mains de n’importe quel manager, DRH, chef d’équipe, responsable syndical, quelle que soit sa confession, en vue d’obtenir le maximum de consensus sur le fonctionnement harmonieux de l’entreprise.
IEPM
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I – Le « fait religieux » en entreprise : définition, manifestations
A/ « Laîcité », « neutralité » , « liberté religieuse » : de quoi s’agit-il ?
Dans nos pays développés, la laïcité est naturelle et en général les salariés comprennent spontanément de quoi il s’agit : depuis longtemps, la discrétion sur leurs convictions religieuses en entreprise est acceptée sans discussion, en vue de la bonne marche de celle-ci. Pourquoi ? Parce que la distinction des domaines temporel et spirituel, qui est une grande conquête de la chrétienté (« rendez à César » ….), fait partie de notre culture, que nous soyons croyants ou incroyants.
Le droit – européen comme français – protège le droit d’extérioriser en entreprise ses convictions personnelles y compris religieuses. Or nos entreprises doivent continuer à « tourner » sans être perturbées par des facteurs exogènes aux objectifs professionnels. Mais elles « tourneront » mieux avec des hommes et des femmes qui se sentiront à l’aise dans l’entreprise sans se sentir contrecarrés voire blessés dans leurs convictions personnelles. Quelle est la solution ?
La « laîcité ouverte » que nous prônons n’est pas la liberté religieuse au sens où tout un chacun le comprend, cad la liberté d’exercer un culte en entreprise, ce qui provoquerait le désordre. Certains documents ou guides utilisent d’ailleurs de façon imprudente, dans leurs titres et sous-titres, l’expression contestable de « liberté religieuse » à propos de la gestion du fait religieux en entreprise. En réalité, le droit en vigueur (cf infra, IIIe partie) accorde seulement la liberté encadrée d’y extérioriser ses convictions personnelles. La « laïcité ouverte » se traduit donc par une acceptation limitée – dans le cadre du droit – des manifestations du fait religieux en entreprise.
De même, il s’agit bien de conserver selon nous un esprit de neutralité dans l’entreprise privée – principe de neutralité qui , à titre facultatif, peut être expressément inscrit dans le règlement intérieur (cf infra, loi ‘Travail’ du 8 août 2016, art. 2) – , au sens de l’égalité de traitement et de non-discrimination au travail (cf directive européenne 2000/78 du 27 novembre 2000), bien qu’il y ait pas d’obligation juridique de neutralité confessionnelle dans le secteur privé (cf à ce sujet « Synthèse des travaux du groupe AFDT sur le fait religieux en entreprise », juin 2016). Rappelons que la laïcité et la neutralité confessionnelle ne s’imposent juridiquement que dans le secteur public, – plus exactement : dans les établissements, même privés, assurant un service public[4] -.
« Laïcité » entre guillemets ; « neutralité » entre guillemets, pour la même raison : si la liberté d’expression des convictions religieuses est de principe, des restrictions à la ‘liberté religieuse’ – cad à l’extériorisation des convictions personnelles – peuvent cependant être licitement imposées dans celles-ci (cf loi Travail, art. 2 précité) , dans des conditions encadrées par la jurisprudence, qui énumère les critères restrictifs admis par les tribunaux (cf notamment Liaisons sociales, Le point spécial, « La religion et l’entreprise », mars 2015, in classeur-type de l’IEPM, document n° 18).
B/ Pourquoi le « fait religieux » en entreprise est-il essentiellement le fait de certains membres du personnel musulman ?
Les séminaires de formation à la gestion du fait religieux en entreprise dont nous prônons le lancement (cf infra) se placent sur un plan neutre et global : il s’agit en principe de tout fait religieux, quelle que soit la religion en cause, que la manifestation de ce fait concerne le vêtement, l’alimentation, ou les demandes de congés pour certaines fêtes.
Cependant, l’accent sera mis sur le fait religieux musulman en entreprise.
L’élément nouveau de ces dernières années est en effet, non pas la présence importante dans les entreprises françaises des salariés musulmans – qui sont à 80% des personnes de culture musulmane et non de pratique religieuse musulmane – , mais le changement culturel et religieux intervenu, disons dans les 20 dernières années, parmi les 20% ou 25% de salariés musulmans restants[5], c’est-à-dire parmi la population musulmane jeune habitant en France , de nationalité française ou étrangère – qui, souvent déracinés sur le plan culturel et contestant la discrétion qui nous est habituelle sur le plan religieux en Occident, du moins dans la vie professionnelle, sont revenus à une pratique religieuse et à la non-distinction du temporel et du spirituel caractéristique de l’islam, même modéré (nous excluons ici le cas des islamistes violents) : ces jeunes souhaitent légitimement – au nom de la liberté religieuse – ne pas être empêchés d’extérioriser leurs convictions religieuses en entreprise, dans la mesure compatible avec le fonctionnement normal de celle-ci.
Pour le bon fonctionnement de l’entreprise, il s’agit de poser les limites d’une telle extériorisation.
En effet, les revendications des salariés musulmans sur le temps de prière, les lieux de prières, les congés et horaires spéciaux pour le ramadan, pour certaines fêtes, etc…, qu’elles soient implicites ou explicites, sont connaturelles à l’islam. L’islam n’est en effet pas seulement une religion : c’est une façon de voir le monde et de vivre.
Quoi qu’il en soit, ce qu’on peut appeler la ‘logique (théorique) de l’Islam’ est à distinguer nettement des positions individuelles et diverses du personnel musulman, qui en entreprise est majoritairement de culture musulmane plus que de pratique religieuse islamique (cf classeur-type de l’IEPM, documents n°s 13 ter et 13 quinquies) . Si nous voulons vivre ensemble au mieux des intérêts de l’entreprise, il faut en tenir compte. Comment ? C’est toute la question et c’est le sujet des séminaires que nous préconisons.
C/ Quelles sont les diverses manifestations constatées du « fait religieux » en entreprise ?
Selon l’enquête pour 2015 de l’Institut Randstad et l’Observatoire du fait religieux en entreprise, le « fait religieux » peut se manifester sous les formes suivantes, en pourcentage de ses diverses manifestations :
- demande d’absence pour fêtes religieuse (19% des cas en 2015 contre 16% en 2014),
- demande d’aménagement du temps de travail (12% des cas en 2015, comme en 2014),
- prières pendant le temps de travail (12% des cas en 2015, comme en 2014),
- port ostentatoire d’un signe religieux (17% des cas en 2015 contre 10% en 2014),
- refus de travailler avec une femme (près de 8% des cas en 2014, semble-t-il en diminution en 2015),
- demande de ne travailler qu’avec des coreligionnaires (près de 8% des cas en 2014, semble-t-il en diminution en 2015).
Au total, en 2015, près d’un quart des managers (23%) ont déclaré rencontrer « régulièrement » le fait religieux dans leur entreprise, contre 12% en 2014 (« régulièrement » signifie ici une manifestation quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle). Soit un doublement en un an.
Les cas de situations conflictuelles ou de blocages ont aussi doublé en un an : 6% en 2015, contre 3% en 2014 et 2% en 2013. Les raisons principales de ces conflits ou blocages sont les suivantes :
1/ menaces d’accusation de racisme ou de discrimination
2/ remise en cause de la légitimité de l’entreprise ou du manager à établir des contraintes sur les manifestations de la pratique religieuse.
3/ refus de discuter.
II – Les critères du management face aux manifestations du « fait religieux » en entreprise
A/ Quel est l’objectif du management ? Comment s’y prendre ?
Face à ces manifestations, l’objectif du management est de faire prévaloir les impératifs professionnels pour la bonne marche de l’entreprise, ce que la jurisprudence admet (cf infra IIIe partie) – au moins indirectement – lorsqu’elle énonce les conditions restrictives qui sont admises lorsque l’employeur est amené à limiter la liberté d’extérioriser ses convictions religieuses.
Nous essayons dans le présent vade mecum de dégager les grandes lignes pouvant servir de base à l’élaboration d’un guide pour toutes les entreprises du secteur privé, lesquelles seront adaptées à la culture propre de chaque entreprise, et appliquées de façon non discriminatoire à l’ensemble du personnel, éventuellement couchées par écrit – par exemple dans un règlement intérieur, avec toutes les précautions à prendre pour tenir compte de la jurisprudence -, l’impératif supérieur étant la bonne marche de l’entreprise (cf Liaisons sociales préc.).
Ce serait une erreur pour les entreprises de se désintéresser de la question, ou d’adopter une attitude de repli, notamment en raison de la mauvaise compréhension des questions relatives à l’Islam. Il faut au contraire se former sur la question, prévenir les éventuelles difficultés si elles existent – ne pas en inventer par ignorance ou maladresse si elles n’existent pas au fond – et tenir le même langage à tous les collaborateurs, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou juifs. Un langage qui devrait être entièrement tourné vers l’intérêt global de l’entreprise.
Ce langage devrait être partagé par toutes les composantes de l’entreprise (Direction, managers, partenaires sociaux, salariés) et se traduire non seulement dans l’attitude de l’ensemble de la hiérarchie (d’abord des managers et de la direction), des partenaires sociaux ainsi que des salariés, mais aussi être couché par écrit dans une « charte », un règlement intérieur – avec les précautions imposées par la jurisprudence (cf document n° 18 préc. du classeur-type de l’IEPM) – et/ou des notes de service affichées en entreprise, et/ou des réunions de service, méthode bien commode dans bien des domaines, comme on le sait, pour désamorcer beaucoup de difficultés, voire tout conflit éventuel.
Il est à noter que certains grands groupes ont déjà mis au point une attitude et des procédures ou une « charte » pour gérer ces questions (ex : L’Oréal, GDF, RATP, BNP Paribas, Orange) (cf documents n°s 12bis, 12ter et 12quinquies du classeur-type de l’IEPM).
B/ Quelles sont les étapes de l’analyse préliminaire et de la sensibilisation du management ?
L’entreprise doit donc intégrer dans sa stratégie la prise en compte des manifestations du « fait religieux » décrites ci-dessus.
Il est indispensable à cet égard d’être averti de tous les aspects du dossier, notamment sur le plan juridique (cf analyses de jurisprudence : documents n°s 17, 18, 21 et s.du classeur-type de l’IEPM), mais non exclusivement sur le plan juridique.
C’est dire que les responsables doivent :
- analyser les diverses formes généralement observées de ces manifestations (cf supra),
- assimiler un minimum de culture religieuse (cf documents n° 6 et 6 bis du classeur-type de l’IEPM),
- comprendre les aspects spécifiques pris par ces manifestations dans l’entreprise et ses impacts au regard de l’impératif supérieur de la bonne marche de l’entreprise,
- préciser la ligne directrice et les logiques d’intervention qui en découlent ne serait-ce que pour éviter les faux pas, comme par exemple :
° des interventions superfétatoires, alors que la non-intervention se révèle plus « productive » ;
° des interdictions rigides, alors que des dérogations individuelles et au coup par coup suffisent (mais attention à la discrimination positive si ces dérogations deviennent répétitives : cf sur ce point les mises en garde du CESE, document n° 10 et n° 18, p. 84, in classeur-type de l’IEPM).
Attention : l’intégration de ces manifestations dans la stratégie du management ne signifie pas que l’entreprise reconnaîtrait, même implicitement, l’impossibilité qu’elle aurait, dans le champ qui lui est propre, d’établir la distinction nécessaire entre le domaine du temporel ou de la sphère professionnelle et celui du religieux. Il ne s’agit pas par ce biais d’admettre ainsi des dispositifs qui pourraient justement d’être porteurs de discriminations « positives » qui par leur caractère répétitif deviendraient non-conformes au droit.
C/ Quelles actions pratiques ?
Il s’agit donc d’établir une méthodologie préventive et de diffuser dans l’organisation une pédagogie et des postures adéquats (avoir de saines réactions).
La démarche que nous recommandons pourrait se dérouler en 4 étapes :
- Clarifier pour soi, pour l’équipe dirigeante et pour l’entreprise la question du « fait religieux en entreprise » afin d’en évaluer précisément les impacts et caractériser les questions concrètes qui en découlent dans l’entreprise. Donc, être averti pour éviter de réagir au coup par coup et dans l’urgence. Eviter d’intervenir de façon intempestive. Savoir au contraire prévenir les incidents par des actions d’information et d’affichage de règles générales applicables dans l’entreprise, assorties de possibilités de dérogations individuelles (cf document n° 4 du classeur-type de l’IEPM).
- Se doter d’une culture juridique permettant d’approcher la question dans le respect du droit en vigueur (cf infra III) ; et prendre les précautions nécessaires : ex : tenir systématiquement un cahier des motivations juridiques au regard du droit, justifiant telles et telles décisions prises par l’employeur en cas d’ « incidents » liés aux fait religieux, même s’ils ne sont pas suivis de conséquences immédiates .
Attention : ces motivations ne doivent en aucun cas faire ressortir qu’une sanction est liée aux pratiques religieuses du salarié, mais doivent faire état de ses manquements dans l’exécution de son contrat de travail (cf F. Lefebvre FRS 4/15, p. 3, document n° 17 du classeur-type de l’IEPM) .
- Etablir une « ligne directrice « maison », – en se servant du futur guide patronal à destination des entreprises dont nous prônons l’élaboration et auquel le présent vade mecum
se propose de contribuer -, ligne affichée dans l’entreprise, par ex. sous la forme de rappels informels, de réunions de service, voire d’un règlement intérieur à respecter par tous, étant rappelé que la jurisprudence déjà assez ancienne sur le règlement intérieur est assez délicate à mettre en oeuvre (cf document n°4 et 18 préc. du classeur-type de l’IEPM).
- Former les responsables en entreprise (managers intermédiaires, managers de proximité, équipes RH, partenaires sociaux) au « fait religieux » et à la gestion concrète des situations.
Pour rechercher l’efficacité relationnelle et opérationnelle de nos recommandations, le management devrait notamment préconiser la préparation de séminaires de formation dans l’entreprise en premier lieu par des entretiens préalables de sensibilisation, individuels ou en petit groupe, avec le patron puis les managers, puis les cadres.
III – Les aspects juridiques
A/ Lutter contre l’ignorance des managers et des DRH
Si nous avons constaté ces dernières années un vif intérêt chez les professionnels de RH sur ces questions, ils ont manifesté en même temps une certaine ignorance de points clés qui permettraient aux DRH, grâce à une bonne connaissance de certaines règles et interprétations admises par les autorités religieuses -, de ne pas se laisser surprendre par des situations ou des revendications qui débordent des impératifs professionnels.
Tel est le cas par exemple notamment pour le ramadan, dont les règles interprétatives ont été mises au point par une concertation entre Imams dans l’Islam de France et en Europe (cf document n° 13 quater, in classeur-type de l’IEPM). Ainsi, les travailleurs de force et les femmes enceintes bénéficient de larges dérogations, qui devraient être mieux connues des responsables en entreprise.
Si l’on prend un autre exemple concret, celui du voile en entreprise (voir l’affaire Baby Loup, notamment document n° 15 du classeur-type de l’IEPM), les critères professionnels doivent également prévaloir.
Des règles connues de tous doivent être prévues : le voile en soi n’est évidemment pas interdit pour travailler en entreprise ; il est recommandé d’avertir à ce sujet dès le premier entretien avec l’employeur potentiel (sur ce point, voir l’ouvrage de Mme Fatima Achouri, « Le voile au travail », document n° 14 in classeur-type de l’IEPM) . En pratique, sans exclure a priori le port du voile, de telles règles doivent tenir compte notamment des impératifs de sécurité au travail (machines) ou d’image auprès des clients (services d’accueil)[6], ce qui peut amener à l’interdire, dans les conditions prévues par le droit ; en cas de refus d’obtempérer, la salariée en cause peut être exclue, après convocation par le DRH (voir la jurisprudence récente, document n° 18 préc. du classeur-type de l’IEPM). Dans certains cas, on l’a observé en entreprise, un compromis est trouvé (ex : on coupe le voile à moitié), s’il est compatible avec les impératifs professionnels.
B/ Petit compendium de droit et de jurisprudence :
On trouvera la liste des textes européens et français applicables, ainsi que la jurisprudence française et européenne, dans les documents n°s 17, 18, et 20 bis du classeur-type de l’IEPM . Les décisions de justice suivantes sont tirées de la note de synthèse de Francis Lefebvre, « L’employeur, le salarié et la religion », in FRS 4/15, 20.02.2015, par Me Xavier Berjot, reproduite in doc. n° 17 du classeur-type de l’IEPM .
a/ Ce qui est obligatoire :
- Respect de la liberté de pensée, de conscience et de religion (CEDH, art. 9.1)
- Respect de la liberté pour le salarié d’extérioriser ses convictions notamment religieuses (CEDH, art. 9.2), liberté pouvant être encadrée par l’employeur dans certaines limites (cf infra b/)
- Non-discrimination à l’embauche, à l’accès à un stage, à une période de formation, à l’occasion d’une sanction ou de toute mesure directe ou indirecte (loi du 27 mai 2008), ou lors d’un licenciement (directive européenne n° 2000/78 du 27 novembre 2000, art. 1er, 2 et 3 ; C. trav., art. L. 1132-1 et pour la rédaction du règlement intérieur : C. trav., art.L. 1321-3,3°)
b/ Ce qui est permis :
- « Principe de neutralité », pouvant être imposé facultativement par le règlement intérieur :
La loi ‘Travail’ du 8 août 2016 (art. 2)[7] reconnaît un « principe de neutralité » dans l’entreprise privée : le règlement intérieur peut contenir le principe de neutralité et restreindre la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’ « autres libertés et droits fondamentaux » oupar les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. Cette disposition résulte d’un amendement inspiré d’une proposition présentée par M. Badinter en janvier 2016 (cf document n° 20 bis du classeur-type de l’IEPM), repoussé par l’AN en avril 2016, puis voté en juin 2016 par le Sénat, et définitivement adopté dans la loi. Ce « principe de neutralité » est, en entreprise privée, facultatif, à la différence de l’obligation juridique de neutralité s’imposant dans les entreprises, y compris privées, assurant un service public. Des restrictions peuvent en conséquence être apportées à la manifestation des convictions personnelles des salariés ; ces restrictions doivent être justifiées : 1/ soit par l’exercice d’ « autres libertés et droits fondamentaux » (cf infra sur cette notion), 2/ soit par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise : celles-ci suffisent donc à justifier ce telles restrictions, si elles sont proportionnées au but recherché : c’est à nos yeux la principale conclusion à tirer de ce texte. Des journalistes[8] et des avocats se sont interrogés sur la portée de la notion d’ »autres libertés et droits fondamentaux » : il s’agit simplement, à notre avis, des droits fondamentaux énumérés par la Convention européenne des droits de l’homme , à savoir : la sécurité publique, la protection de l’ordre , de la santé, de la morale publiques, les droits et libertés d’autrui (par ex: la courtoisie et la non-discrimination dues aux dames…), visés par la CSDH du 4 nov. 1950 (art. 9.2) (cf doc. n° 9 et 18 du classeur-type de I’IEPM). On notera que l’Avocate générale ayant présenté le 31 mai 2016 ses conclusions devant le CJUE sur deux affaires de port du voile islamique, à la suite des questions préjudicielles posées par les Cours de cassation françaises et belge, a estimé que pouvait être justifiée la mise en oeuvre dans une entreprise privée d’« une politique de neutralité en matière de religion et de conviction », « pour autant que le principe de proportionnalité soit respecté »[9].
- Mesures cad différences de traitement considérées comme non-discriminatoires lorsqu’elles correspondent à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » , « pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée » (directive européenne n° 2000/78, art. 4 ; C. trav., art. L. 1133-1)
- Restrictions imposées par l’employeur à la liberté de manifester sa religion, à condition d’être proportionnée, précise et justifiée par la nature des tâches, restriction en l’occurrence non respectées et suivies d’un licenciement pour faute grave (affaire Baby Loup : Cass. Ass. Plén. 25.06.2014, RJS 10/14, n° 667)
- Sanctions disciplinaires infligées par l’employeur pour absences injustifiées, motivées par des raisons religieuses, mais refusées par l’employeur en raison d’une livraison importante (Cass. Soc., 16.12.1981, cité par FRS préc. 4/15, p. 3).
Attention : cependant, une Cour d’appel n’a pas admis le licenciement pour faute grave d’un salarié irréprochable jusqu’alors, à la suite d’une absence à une journée de formation, motivée par l’assistance à un Congrès religieux (CA Nancy 28.02.2000, cité par FRS 4/15, p. 3).
- Licenciement d’une salariée portant le foulard islamique, incompatible avec les règles d’hygiène et de neutralité de l’entreprise (CA Versailles 23.11.2006, RJS 6/07, n° 697 ;
Attention : selon un récent arrêt de Cour d’appel, l’employeur ne se rend pas coupable de discrimination s’il licencie une salariée au motif (sans qu’il soit fait mention de la connotation religieuse) du port d’une tenue vestimentaire non compatible avec les règles d’hygiène et de sécurité applicables dans l’entreprise , suivi d’un abandon de poste : le licenciement pour faute grave n’est donc pas déclaré nul ; cependant, il est considéré comme abusif (CA Lyon, 6 mai 2016, n° 15/05323).
- Licenciement pour prosélytisme : (CA Nancy 30.06.2006, cité par cité par FRS 4/15, p. 4).
- « Ressenti de la clientèle » : selon un arrêt (CA Paris 16.03.2001, RJS 11/01, n° 1252), est justifié le licenciement d’une salariée qui avait refusé d’ôter son voile lorsqu’elle se trouvait en contact avec la clientèle ; mais une délibération de la Halde du 6.04.2009, cité par FRS 4/15, p. 4, considère que le contact avec la clientèle n’est pas suffisant pour restreindre « la liberté de religion » (cad d’extérioriser ses convictions religieuses).
Attention : sur ce point, la jurisprudence est contradictoire en France ; des décisions de la CJUE sont attendues à ce sujet (cf document n° 21 du classeur-type de l’IEPM).
- L’employeur et le salarié peuvent convenir dans le contrat de travail de modalités particulières d’exécution (ex : pauses prières)
Attention : les pauses prières, qui exigent selon la religion musulmane des ablutions préalables, ne doivent pas donner lieu à des demandes excessives au regard des impératifs professionnels et doivent être négociées de bonne foi : 2 pauses prières, par jour au maximum, d’environ 5 minutes chacune, sont raisonnables selon nos renseignements puisés à bonne source ; notamment, la prière du coucher du jour peut être décalée après les heures de travail.
c/ Ce qui est interdit :
- Règlement intérieur édictant une interdiction générale et absolue de porter tout signe d’appartenance religieuse (CPH Lyon, 18.09.2014, cité par FRS 4/15, p. 4) ou interdisant toute conversation étrangère au service et notamment toute discussion religieuse (CE 25.01.1989, RJS 5/89, n° 423).
- Discrimination dans le travail, prise en compte de la religion dans les décisions concernant le salarié, le candidat à un emploi, à un stage, à une formation (C. trav., art. L. 1132-1) ; l
Attention : la discrimination est un délit : 3 ans d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende (C. pénal, art. 225-1 et 225-2). De plus, le licenciement méconnaissant les dispositions de l’art. L. 1132-1 précité est sanctionné par le versement de 6 mois de salaires au minimum (C. trav., art. L. 1235-3-1, inséré par la loi « travail » du 8 août 2016, cf doc. n° 20 bis du classeur-type de l’IEPM).
- Le salarié ne peut prétendre à un traitement particulier en se prévalant de l’exercice de sa religion : ex : refus d’être en contact avec la viande de porc (Cass. Soc. 24.03.1998, RJS 6/98, n° 701) ; ou encore : refuser de goûter des plats à base de viande non égorgées (CA Pau, 18.03.2002, cité par FRS 4/15, p. 3).
C/ En bref
En bref, face aux diverses manifestations du « fait religieux » (cf supra, I, C/), les principes de management en général retenus dans le cadre du droit en vigueur sont les suivants (cf le rapport de l’Observatoire de la laïcité diffusé par le gouvernement en juillet 2015, document n°9 du classeur-type de l’IEPM)[10] :
. l’exclusion de tout prosélytisme, condamné par la jurisprudence depuis une vingtaine d’années (cf document n° 15 du classeur-type de l’IEPM), ce qui n’est pas contradictoire avec l’acceptation d’une certaine manifestation extérieure de la liberté de conscience ;
. le respect des impératifs de l’organisation du travail : santé (cf position de la Halde, document n° 15 du classeur-type de l’IEPM), hygiène (visites médicales), sécurité (machines pouvant être dangereuses, tenue pouvant être dangereuse en hôpital, cf la jurisprudence de la CEDH, document n° 15 du classeur-type de l’IEPM), services d’accueil (telle ou telle image voulue par l’entreprise ; attention cependant à une jurisprudence incertaine sur le « ressenti de la clientèle », cf supra, III, B/) ;
. le droit pour l’employeur de refuser certaines demandes, au nom de ces impératifs et ainsi d’exiger et de faire respecter :
- les aptitudes nécessaires à l’accomplissement d’une mission : d’où par ex. l’acceptation de travailler sous les ordres d’une femme ;
- l’organisation nécessaire à l’accomplissement de la mission : d’où par ex. le refus d’accorder des absences liées à des fêtes religieuses ;
- les impératifs liés aux intérêts commerciaux de l’entreprise : d’où par ex. certaines règles en matière de tenue vestimentaire.
- l’obligation pour le salarié de respecter les clauses de son contrat de travail ; sauf clause expresse, l’employeur n’est pas tenu d’adapter ou de modifier l’organisation du travail pour des motifs religieux (cf document n° 18 préc., p. 91 et s., in classeur-type de l’IEPM).
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[1] – Le présent document n’est soumis à aucun copyright, sous réserve d’une simple mention de l’IEPM. Il est mis à la disposition des entreprises et de leurs dirigeants pour leur rendre service.
[2] – Notre projet de séminaires de formation est destiné en particulier à répondre aux recommandations du CESE (avis du CESE du 23.11.2013).
[3] – Les services du Premier Ministre, faisant suite au rapport du CESE, ont diffusé à la fin de 2013 un Guide de l’Observatoire de la laïcité intitulé « La gestion du fait religieux dans l’entreprise privée », document ayant le mérite de donner des exemples concrets au regard du droit. Le gouvernement a annoncé son intention d’élaborer un nouveau guide destiné aux chefs d’entreprises du secteur privé (Le Monde Economie et Entreprise, 25 novembre 2014, p. 3), document qui devrait être rendu public le 20 octobre 2016 (Les Echos Business, 19 septembre 2016). De son côté, la CFDT a diffusé un guide sur le même sujet en décembre 2015.
[4] -. Cf notamment ‘Baby Loup : la laïcité s’arrête aux portes de l’entreprise’, par A. Viottolo, Lamy social A, n° 278, avril 2013, p. 1.
[5] – Chiffre cité lors de réunions IEPM (Institut Montalembert) des 19 février et 25 septembre 2013 par Mme Fatima Achouri, auteur des ouvrages intitulés « Le salarié musulman en France : réalités et perspectives », éd. Michalon, oct. 2013, et « Le voile au travail », éd. Fauves, 2015. Ce chiffre moyen de 20% (ou 25%) de musulmans pratiquants en entreprise est corroboré par l’enquête pour 2015 de l’Institut Randstad et l’Observatoire du fait religieux en entreprise (cf fiche n° 2). En revanche, les résultats sont très différents par tranche d’âge sur l’ensemble de la population de confession musulmane : selon l’IFOP (études de 2010 et 2011, cités par Mme Achouri, interview dans Entreprise & Carrières, 19-25 nov. 2013, p. 30-31), 48% des jeunes musulmans de moins de 34 ans seraient pratiquants.
[6] – Voir sur ce point précis les regrettables incertitudes de la jurisprudence, qui n’est malheureusement pas stabilisée en ce qui concerne la prise en compte du « ressenti de la clientèle » (cf document n° 21 du classeur-type de l’IEPM).
[7] – Texte de l’article 2 loi ‘Travail’ 8 août 2016 :
Après l’article L. 1321-2 du code du travail, il est inséré un article L. 1321-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1321-2-1. – Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché.»
[8] – Les Echos version papier du 5.09.2016, version Internet du 1.09.2016 : « Fait religieux en entreprise : le principe de neutralité ne règle rien », M.-S. R. (cf doc. n° 20 bis du classeur-type de l’IEPM).
[9] – lemonde.fr du 31.05.2016 et Le Figaro du 1er.06.2016, p. 7 (cf doc. n° 21 et n° 21bis du classeur-type de l’IEPM).
[10] – Pour une information rapide et à jour, cf également : « Religions et entreprises privées: ce que dit le droit », par Louise Gamichon, Le Monde, 29.06.2016, et : « Loi travail : quelle liberté religieuse ? », interview d’Olivier Hanne, in Famille chrétienne, 9 au 15 avril 2016, p. 24.