Le théologien Xavier Lacroix s'explique sur son soutien avec réserve de l'Avis 112 du CCNE à propos de la recherche sur les cellules d'origine embryonnaire humaine, et la recherche sur l'embryon humain in vitro.
Liberté politique - Après deux années de réflexion, le CCNE rend public un avis à propos de la recherche sur l'embryon qui ne prend pas vraiment position, ce qui en soi pose une difficulté. La recherche sur l'embryon humain peut-elle être une question ? Avec onze membres du CCNE, vous avez voté l'avis avec des réserves , pourquoi ?
Xavier Lacroix - Il n'y a pas de vote au CCNE. Il n'y a pas non plus d'unanimité... Le texte exprime la ligne où une convergence, selon un terme cher à notre président, a été trouvée. Au-delà se manifestent les divergences. Il est à noter que l'Avis en question ne mérite pas les qualificatifs violents que l'on peut trouver ici ou là. Il ne se résume pas en une ligne. Il exprime une tension éthique : d'une part le principe du respect de l'embryon est maintes fois rappelé — le terme de dignité est même utilisé à son égard. D'autre part, étant donné qu'il n'y a pas d'accord sur la définition de son statut, étant donnée aussi la situation très particulière d'embryons qui de toutes façons vont être détruits, certains ont souhaité que l'on ouvre une porte vers l'utilisation de certaines de leurs cellules pour la recherche.
Le paradoxe selon lequel la loi interdit la recherche tandis qu'elle autorise la destruction méritait d'être relevé. De même, la distinction entre recherche sur l'embryon et recherche sur les cellules d'origine embryonnaire donne à penser. Il est à noter enfin que l'Avis est en quelque sorte plus prudent que certains des avis antérieurs (tel l'avis 67) qui prônaient l'autorisation encadrée. Ici, il mentionne l'alternative entre cette voie et le maintien du système interdit avec dérogations.
Cela dit, je me suis manifesté comme faisant partie de ceux qui estiment que le texte laisse ouvertes des questions qui devraient être tranchées. J'ai apprécié que le président me donne la parole à la table des orateurs, lors de la conférence de presse pour expliciter ces réserves . J'ai présenté celles-ci en soulignant les quatre points suivants :
1/ souhait du maintien d'un système juridique reposant sur un interdit fondamental,
2/ affirmation que la dignité de l'embryon ne tient pas au projet parental mais à son être,
3/ souhait de la diminution, puis de l'arrêt de la production d'embryons surnuméraires,
4/ opposition à toute création d'embryons pour la recherche.
Il est à noter que nous sommes onze membres du Comité à avoir signé ces réserves, pas tous catholiques !
2/ Vous demandez que soit étudiée la possibilité de stopper la production d'embryons cryoconservés qui représente la transgression fondamentale sur laquelle reposent toutes les autres. Depuis deux années déjà, de nombreux bioéthiciens et scientifiques réclament une réflexion sur ce sujet. Avec cet avis, c'était justement l'occasion : pourquoi n'a-t-elle pas été menée ?
Cette demande apparaît dans les réserves principalement. Est quand même cité dans le texte un Avis antérieur qui demandait déjà cette limitation. Oui, j'ai été et je suis de ceux qui regrettent que cela ne soit pas plus développé. Les cliniciens mettent en avant les difficultés d'ordre médical provenant du faible taux de réussite des PMA, mis en regard avec les risques du prélèvement d'ovocytes. Mais je pense que les deux problèmes ne sont pas du même ordre : d'un côté on a une objection éthique, qui relève d'une exigence de respect et d'un refus de la chosification, de l'autre on a une difficulté pratique, pragmatique. Je suis de ceux qui souhaitent que soient davantage étudiées les législations allemande et italienne — pour ne citer qu'elles.
3/ Les derniers avis rendus par le CCNE sont contestés de manière récurrente par une frange importante de ses membres. Les positions sont de plus en plus inconciliables et signent la fin de l'éthique de la discussion. Ne faut-il pas repenser de fond en comble la réflexion éthique du CCNE ?
C'est depuis sa création que certains avis du CCNE ont fait l'objet de motions minoritaires (de la part notamment de mes prédécesseurs). Actuellement, depuis deux ans et demi que j'y siège, ce n'est que la deuxième fois, sur huit avis, qu'un texte minoritaire est adjoint. Il est certain que nous nous affrontons aux limites d'une éthique de la discussion. Mais cela ne disqualifie pas une institution. Il y a au contraire une grandeur à s'y affronter, surtout sur des sujets si délicats. Car cette limite caractérise toute notre démocratie. Et le fait de laisser s'exprimer une divergence sur des points importants, au-delà d'une ligne de convergences, est plutôt appréciable.
*Xavier Lacroix est membre du CCNE, professeur de théologie morale à la Faculté de théologie de Lyon. Il a été, de 1986 à 1994, directeur de l'Institut des sciences de la famille de Lyon.
En savoir plus :
L'avis n. 112 du CCNE
Photo www.ccne-ethique.fr
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