Le dimanche 13 octobre 2002, une grande foule s'est réunie au Parc des Expositions d'Avignon. C'est dans cette " cathédrale de circonstance " que Mgr Jean-Pierre Cattenoz a reçu l'ordination épiscopale.

Né en 1945 à Maxeville près de Nancy, le jeune Cattenoz est l'avant-dernier d'une famille de sept enfants. Baignant dans un esprit de famille où l'amour est omniprésent, il vivra pendant ses années de jeunesse un temps partagé entre " la famille idéale " et une forme de vie indépendante. Très tôt, il part habiter chez ses grands-parents, fait du scoutisme, et se retire régulièrement avec des jeunes de son collège pour un temps de retraite à Clairvaux.

Il se souvient avec délectation des vacances d'été qu'il passait avec une cinquantaine de cousins. Il mène alors pour l'époque " une vie chrétienne normale ". " Normale ", veut dire qu'il servait la messe tous les matins à 6h30 ! C'est à 15 ans, en 1960, quand il est en seconde au Lycée Saint-Sigisbert de Nancy, qu'il décide de sa vocation : " Je serai prêtre. " Il ne sait pas encore comment cette vocation prendra forme, et dans quelle communauté religieuse il entrera. Peu importe, après de nombreuses retraites, il entre à l'âge de 18 ans à l'abbaye de Notre-Dame de Grâce de Briquebec dans la Manche. Il rentre à la Trappe. Comment peut-on faire un tel choix à 18 ans ? Et pourquoi choisir les trappistes, dont l'ordre est réputé comme étant l'un des plus austères ? Aujourd'hui, on conseillerait plutôt au jeune Cattenoz de se diriger vers des années d'études supérieures, et de remettre à plus tard sa vocation... Mais Jean-Pierre préfère les années de noviciat.

En 1965, à 20 ans, il effectue son service national dans la Coopération. Il embarque alors pour la Haute-Volta, en Afrique, où il sera pendant deux ans professeur de mathématiques au Séminaire de Tionkuy, dans le diocèse de Nouna. Là, il rencontre l'Afrique et les pères blancs. C'est pour lui un moment de dépaysement total qui l'émerveille. Mais il est rapidement choqué par une réalité qu'il ne connaissait pas : celle de l'immense pauvreté des Africains. " Je me souviens avoir traversé à mobylette une ville de 5 000 habitants sans m'en apercevoir... C'était le soir, et il n'y avait aucun éclairage, ni aucun bruit. "

Dans la brousse, le jeune trappiste réfléchit à sa vocation : a-t-il pris la bonne direction ? La volonté de Dieu est-elle présente dans ses choix ?

Peut-être comme le jeune Charles de Foucauld qui s'est interrogé sur sa vocation avant de partir pour la Terre Sainte, Jean-Pierre Cattenoz prend conscience, au retour de son service militaire, de sa vocation : il sera religieux missionnaire en Afrique !

Tout en restant rattaché à la Trappe, il repart alors pour Nouna. Mais cette fois-ci, il veut vivre avec ses frères musulmans, les Foulbes (peuple de nomades originaires du Haut Nil). Avec un prêtre fidei donum, il restera trois ans avec eux, et travaillera comme apprenti berger, tout en vivant au milieu de ses frères musulmans ses offices religieux. Il mènera une vie toute simple, de prière et d'amitié.

En tout, il aura passé cinq années dans cette région d'Afrique, avant de rentrer en France.

Sur les conseils de Mgr Lesourd, évêque de Nouna, il change de congrégation et rentre après approbation de la Trappe dans la Communauté des Petits Frères de Jésus, fondée par le Père de Foucauld. Après son postulat et son noviciat, il est envoyé à Concarneau, où il sera Petit Frère au milieu des ouvriers. Tout en observant la règle de la Communauté, il travaille comme manœuvre aux chantiers navals. " C'était vraiment très dur. Je passais plus de cinquante heures par semaine dans la peinture navale. Je vivais en même temps chaque jour une heure d'adoration, et les offices. "

En 1971, il est envoyé par sa communauté en Algérie, au sud de Saïda. Puis, un an après, à la cité Climat de France d'Alger. C'est-là qu'il tombera gravement malade, atteint par une tumeur aux reins. Il rentre en France en 1974. Il retrouve sa famille à Nancy.

Une fois guéri, il est envoyé à Marseille au milieu des pauvres. Profès temporaire, il a prononcé les vœux de chasteté, de pauvreté et d'obéissance.

En 1975, il suit une année de philosophie à Genève. Et c'est pendant cette formation qu'il découvre, émerveillé, l'enseignement du cardinal Journet, qui sera son premier professeur de théologie.

Et derrière le cardinal, il y a Jacques Maritain, le célèbre philosophe. Il est ébloui par cette philosophie, par la rencontre de la Vérité et de la Présence de Dieu. Après Genève, il pose ses valises à Toulouse. Là il fait sa deuxième grande rencontre : celle des dominicains et des groupes de prières charismatiques qui commencent tout juste à bourgeonner.

En septembre 1980 il rejoint en Avignon Jean-Michel Garrigues et Jean Legrez, pour fonder une communauté de moines apostoliques. Puis, la fondation ne tenant pas, il demande alors à Mgr Bouchex d'entrer dans le diocèse d'Avignon. Il continue ses études à l'Université catholique de Toulouse, rencontre l'Institut Séculier Notre-Dame de Vie à Venasque. Il est ordonné diacre en 1982, et devient prêtre l'année suivante.

En 1985, il demande à rentrer définitivement à Notre-Dame de Vie : " aboutissement de tout ce que j'avais cherché à travers les écrits du fondateur, le père Marie-Eugène de l'Enfant-Jésus, Je veux voir Dieu. J'ai fait en quelque sorte la synthèse de ma vie et j'ai compris ma vocation. " Il fait ses premiers vœux en 1986.

Après une année de solitude à Venasque, le père Cattenoz est nommé curé de la paroisse du plateau d'Albion qui représente 7 clochers. Il y lance le scoutisme, le patronage pour les jeunes, organise des kermesses, des pièces de théâtre, etc.

En même temps, il prépare un doctorat de théologie et travaille alors sur les écrits de saint Jean Chrysostome. Il se passionne pour ses homélies sur la préparation baptismale des catéchumènes.

En 1989, il est ensuite nommé curé d'Aubignan et de Gigondas. Il passe son doctorat avec succès.

En 1992, après avoir renouvelé ses vœux à Notre-Dame de Vie, il est envoyé à la demande de Mgr Bouchex au séminaire de N'Djamena, au Tchad. L'aventure africaine continue... Il retrouve l'Afrique de ses vingt ans qui n'a guère évolué : une vie faite de rudesse, de pauvreté, avec un climat d'insécurité généralisé en plus.

Il rentre en Avignon en 1998, et fait une année de solitude à Notre-Dame de Vie. En octobre de cette même année le responsable général de la branche sacerdotale de l'Institut, le père Rétoré, décède. Permanent au séminaire d'Avignon, le père Cattenoz le remplacera deux ans plus tard, en juillet 2000.

Nous sommes au début de 2002 quand il reçoit une invitation à déjeuner avec Mgr Fortunato Baldelli, nonce apostolique pour la France. C'est au cours de ce déjeuner que le Nonce lui demande s'il accepterait d'être le successeur de Mgr Raymond Bouchex et de devenir évêque.

A cette question sa vie défile à toute allure... il se revoit en culotte courte à Nancy, vivant au milieu des tribus africaines, malade auprès des pauvres d'Alger, étudiant à Fribourg... Il se souvient de sa venue en Avignon... Le Nonce le ramène à la réalité : " Acceptez-vous cette charge ? " " J'accepte, dans l'obéissance... "

Entretien

Mgr Cattenoz, n'est-il pas surprenant de voir un prêtre du diocèse d'Avignon devenir évêque de ce même diocèse ?

Mgr J.-P. Cattenoz : Oui, c'est vrai. Mais si vous regardez l'histoire de l'Église ce n'est pas la première fois. Quoi qu'il en soit, j'ai accepté dans l'obéissance cette nouvelle fonction. De plus, je la reçois avec les mains vides... Je veux me mettre à l'écoute de l'Esprit Saint... Je veux écouter. Ecouter, c'est le verbe qui revient le plus dans la Bible !

Mais vous avez certainement des projets, des dossiers urgents à traiter? Aujourd'hui, on entend beaucoup parler " d'audit ", qui veut dire la même chose qu'écouter. Allez-vous faire un audit du diocèse ?

Non je n'ai pas cette vision financière des choses. Mais plutôt spirituelle. Pendant une année, je vais faire le tour du diocèse, visiter les paroisses. Ecouter, beaucoup écouter. Finalement, c'est une chance car je connais bien le diocèse.

Mais il y a aussi des dossiers importants : les vocations, la pastorale des jeunes, la vie des prêtres qui est devenue difficile. Il faudra continuer à faire des efforts financiers, pour la réalisation des travaux de réfection de presbytères délabrés et permettre ainsi à tous les prêtres d'avoir des lieux de vie décents. Je n'ai pas besoin de lancer un appel d'offre pour effectuer un audit sur le diocèse. Nous travaillons dans la confiance et la vérité avec Mgr Bouchex et tous les responsables diocésains. Concernant les dépenses nouvelles qui seront à engager, j'ai déjà expérimenté à plusieurs reprises que Dieu nous donnera toujours les moyens de réaliser Son Œuvre à Lui. Mais avant de restaurer des presbytères, il faut restaurer les communautés chrétiennes.

C'est cela votre priorité ?

Le drame de trop de gens dans l'Église est qu'ils mettent en premier la morale. La seule question qui pourtant se pose n'est pas celle de la morale : suis-je un homme bien ? Mais celle que nous pose Jésus : " Pour toi, qui suis-je ? " Il y a en chacun de nous un jeune homme riche et un enfant prodigue. Et seul le Christ révèle à l'homme qui il est vraiment.

Pour insuffler la vie aux communautés, il faut les connaître, les accepter telles qu'elles sont. Nous formons, finalement, une grande famille. Et il ne faut pas croire que je suis devant le troupeau, non, plutôt derrière, pour marcher aux pas de tous. Le Christ est le seul devant.

Pensez-vous que la famille française est en danger ? Vous avez certainement suivi l'affaire du Pacs...

Cette affaire m'a scandalisé. La famille est la première cellule de notre société. Sans la famille, la société n'existe pas et l'Etat non plus. Mais la famille va mal parce qu'un enfant a besoin du papa et de la maman pour grandir en harmonie. Or les familles vivent séparées, sont recomposées. Les enfants sont écartelés entre un père et une mère qui ne s'aiment plus, se détestent ou s'ignorent. Familles sans repères. Familles sans père.

Avec le Pacs nous avons vu le retour en force de l'homosexualité, érigée en modèle de société. Ce qui n'a pas de sens. Car même si c'est à la mode, l'homosexualité ne saurait être considérée comme un état normal de la nature humaine. Je ne juge aucunement les personnes, Dieu seul connaît le cœur de l'homme ; mais je ne peux objectivement accepter des situations comme l'homosexualité, l'avortement... L'enfant est dès lors livré à ce genre de modèle... Et il est amené à choisir seul...

Le drame c'est vraiment cela : dans ce contexte l'enfant devient adulte à la place des parents et ceux-ci n'assumant plus leur responsabilité redeviennent comme des enfants.

C'est la société adolescentrique dont parle le père Tony Anatrella ?

Oui. L'autorité parentale a été remplacée par le " il est interdit d'interdire " de mai 68. Puis par l'autorité de l'Etat qui s'occupe de tout. Par les médias qui donnent leur avis sur tout mais ne sont responsables de rien. Au lieu de chercher à donner un sens à sa vie on veut suivre ses pulsions. La question que pose notre mal de vivre, notre mal d'être, est celle-ci : est-ce l'homme seul qui définit son propre comportement ? Sans Dieu ?

Quel regard portez-vous sur notre paysage politique ?

J'ai bien suivi les élections et je m'intéresse à l'action du gouvernement. Par contre, je ne pense pas qu'il faille donner des consignes de vote. Il n'y a pas de menaces telles qu'il faille transformer nos églises en tribune politique. Je pense que c'est aux laïcs de s'engager en politique.

Je m'intéresse également à la politique européenne. Et je suis contre le fait que Jacques Chirac et Lionel Jospin se soient entendus pour gommer toute référence à Dieu lors du Traité de Nice. Qu'ils répondent à cette question : qui a inventé le mot de Fraternité présent sur les frontons de nos mairies ? Mais ce sont les premiers chrétiens !

Par rapport à la politique, on entend souvent dire que les jeunes ne sont plus intéressés, qu'ils ne font plus confiance aux politiques. Que pensez-vous de la jeunesse actuelle ?

La jeunesse est aujourd'hui délaissée, donc certains se font entendre par la violence, l'organisation de fêtes interdites (les fameuses raves parties). Dans une société sans repères, il est normal que ce soit les jeunes les premiers touchés. Mais cela ne veut pas dire qu'ils ont raison. Investissons de nouveau dans la jeunesse, faisons confiance. Redonnons-leur une vie de famille, arrêtons de leur proposer des jeux vidéos, des images violentes, et pornographiques. Et surtout, annonçons-leur la Bonne Nouvelle de Jésus !

Le 11 septembre 2001, le monde découvrait l'horreur qui frappait l'Amérique. Maintenant c'est Bali... Que pensez-vous de l'ampleur de la réaction des Etats-Unis contre les terroristes et les pays musulmans qui leur offrent l'hospitalité ?

Je n'ai pas appris tout de suite ce qui s'était passé le 11 septembre. Seulement 5 jours plus tard, je prêchais une retraite dans un Carmel. Certains ont cru que c'était la fin du monde. Mais, il ne faut pas oublier que le monde dans lequel nous sommes est fait pour passer, est en train de passer, avec son lot de tragédies. Face à l'horreur, je ne peux qu'affirmer : toute violence doit être condamnée. Cependant, comme il est étrange que les centaines de milliers de morts de tel ou tel conflit dans le tiers-monde n'intéressent pas autant ! Ils ne sont l'objet que de quelques entrefilets dans nos journaux.

Que l'Afghanistan ait retrouvé un semblant de normalité est a priori une bonne chose. Maintenant, si les Américains s'érigent en gendarme absolu du monde, c'est dangereux à terme. Face à l'islam, la manière forte est-elle la seule méthode ? Ne faudrait-il pas également s'interroger sur les causes profondes des oppositions Nord-Sud. Les riches continuent à s'enrichir et les pauvres à s'enfoncer dans la misère.

En France, où l'islam est la deuxième religion, l'enjeu est considérable. Nous devons développer davantage le dialogue interreligieux. Prier ensemble, s'écouter, s'aimer dans un dialogue vrai. Vivre dans un état laïque est en même temps une chance et un défi. Grâce à l'œcuménisme et aux relations interreligieuses, nous devons apprendre toujours davantage à vivre dans une grande fraternité humaine. Imaginez la France vivant ce que vit actuellement l'Indonésie ?

Reste le problème de l'immigration qui vient ou pas perturber cet équilibre précaire ?

Lorsque j'étais à Marseille et que je vivais dans les barres d'HLM, je vivais au milieu d'immigrés. Même si cela est contesté par des experts, on sait bien que si vous dépassez un certain taux d'immigrés récents dans une cité, la tolérance et l'intégration risquent de voler en éclat. C'est de la responsabilité de l'Etat d'assurer cet équilibre. Dans certaines cités, il est déjà trop tard...

Pensez-vous que la mondialisation est une chance pour le monde ?

En tout cas les pays riches en discutent et en vivent. Mais ce sont les bailleurs de fond qui font la pluie et le beau temps. La mondialisation telle qu'elle est organisée ne va pas régler le problème du sous-développement.

La mondialisation, c'est aussi l'Internet. Utilisez-vous cet outil ?

J'utilise avec modération cet outil qui ouvre des perspectives fascinantes. Aujourd'hui sur l'Internet vous pouvez trouver de tout : de bonnes comme de très mauvaises choses...

Vous pensez aux réseaux de prostitutions, aux pédophiles ?

Oui, l'Internet peut devenir une machine infernale dont de nombreux jeunes (et adultes) peuvent être victimes.

Par rapport à la pédophilie qui touche l'Église, quelle est votre réaction ?

L'Église ne peut pas continuer à protéger et à garder en son sein des personnes qui ont des attitudes pédophiles. Chacun doit rendre compte de ses actes. Mais la pédophilie ne touche pas seulement l'Église, très loin de là. Les médias nous font souvent des procès d'intention à ce sujet. Pour ma part, si je reçois une lettre accusant un prêtre de pédophilie, je pousserai immédiatement son auteur à prendre ses responsabilités pour que la vérité soit faite.

Croyez-vous que la sainteté soit encore possible ?

Oui, bien sûr ! Elle reste même notre vocation à tous. L'Église est au service de ce projet divin : permettre à tous de devenir des saints. Sa principale mission est de montrer et de proposer aux hommes le Christ comme étant le Chemin, la Vérité et la Vie. Je suis le serviteur de Celui qui est la Vérité et la Vie. Aujourd'hui, le monde, la France, les Avignonnais doivent redécouvrir que le bonheur n'est possible que dans la dépendance à Dieu.

J'invite spécialement les lecteurs de France catholique à relire les Évangiles, la lettre de saint Paul aux Éphésiens. La sainteté est toujours d'actualité. Être saint est finalement assez simple : accepter de tout recevoir de Dieu, accepter d'être dépendant de Lui, comme un enfant, et Le suivre. Le drame est que la sainteté passe par la Croix, et que nous n'en voulons pas...

Propos recueillis par Antoine Bordier pour France catholique,http://www.france-catholique.fr/