Contrairement aux pharmaciens (Décryptage, 23 octobre), l'objection de conscience à l'IVG est reconnue aux médecins par la législation. Elle est cependant contestée par les mouvements pro-avortement comme le Planning familial qui ne supportent pas la moindre entorse à ce qui constitue pour eux un droit supérieur à tout autre. Une vigilance de plus en plus grande s'impose.
Les défenseurs de la libération des femmes ne décolèrent pas. La croissance continue du nombre de médecins objecteurs que l'on observe dans différents pays européens constitue pour les promoteurs de l'avortement une sérieuse épine dans le pied. Et un prétexte pour alerter les pouvoirs publics sur les dangers d'une remise en cause du droit des femmes à disposer de leur corps .
Selon un rapport publié en avril 2008 par le ministère italien de la Santé, ce sont désormais près de 70% des gynécologues de la péninsule qui refusent de pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Mais ce qui est le plus intéressant à noter est que la proportion de ces spécialistes à faire valoir leur clause de conscience est passée entre 2003 et 2007 de 58,7% à 69,2%. Même les anesthésistes, sans lesquels ne peut avoir lieu une IVG selon la méthode chirurgicale, ont suivi le mouvement : plus de la moitié d'entre eux refusent d'apporter leur coopération. Dans le sud du pays, le taux de gynécologues objecteurs a quasiment doublé en l'espace de quatre ans, s'envolant de 44,1% à 83% en Campanie (Naples) et de 44,1% à 84,2% en Sicile [1].
À l'occasion de la manifestation monstre des Espagnols contre le projet de libéralisation de l'avortement par le gouvernement socialiste – le premier ministre Zapatero souhaitant en faire un droit sans restrictions jusqu'à 14 semaines de grossesse –, Le Monde nous apprenait que le taux d'IVG était égal à zéro en Navarre, la quasi-totalité des médecins étant objecteurs (édition du 17 octobre 2009).
La panne du renouvellement des militants
En France, nous ne disposons à ce jour d'aucun chiffre précis même si les pouvoirs publics ont noté dernièrement un désengagement des praticiens, et ce malgré une énième revalorisation du forfait de l'IVG chirurgicale par arrêté du ministère de la Santé le 4 avril 2008 (Rapport Poletti, 22 octobre 2008). Le faible nombre de médecins de ville ayant passé une convention avec un établissement de santé pour effectuer des IVG médicamenteuses témoigne également du désintérêt des professionnels de santé pour un acte qui a de moins en moins leur faveur. Si bien que le mot d'ordre du rapport Poletti se résume à ceci : réclamer le renouvellement des générations militantes .
Heureusement, les jeunes médecins ne se bousculent pas au portillon. Il ne faut pas perdre de vue qu'un étudiant en médecine bénéficie d'enseignements magistraux très pointus en matière de biologie embryonnaire et de développement fœtal. S'il n'en fait pas a priori un principe idéologique militant, il sait parfaitement que pratiquer une IVG revient à infliger la mort à un enfant qui aurait pu naître et n'a donc aucune raison de choisir une activité que sa conscience réprouve plus ou moins obscurément.
D'ailleurs, l'article R. 4127-2 du Code de la santé publique rappelle noir sur blanc que le médecin exerce sa mission dans le respect de la vie humaine . Dès la loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, le législateur n'a donc pu que reconnaître la clause de conscience du médecin en rappelant qu'il n'est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse . Il a en outre été jugé qu'un médecin qui refuse de procéder à une IVG pour cause de détresse de la femme ne peut être poursuivi pour non assistance à personne en péril et que l'obligation du médecin d'informer l'intéressée de son refus n'est assortie d'aucune sanction pénale. Enfin, le bénéfice de l'objection de conscience est octroyé explicitement à tous ceux qui seraient susceptibles de participer à l'exécution de la procédure d'IVG. Le Code de la santé publique stipule ainsi qu' aucune sage-femme, aucun infirmier ou infirmière, aucun auxiliaire médical, quel qu'il soit, n'est tenu de concourir à une interruption de grossesse (art. L. 2212-8, al. 2).
Les entorses à la loi
Cependant, le droit à l'objection de conscience a été incontestablement écorné depuis quelques années. La loi Veil avait prévu initialement que le médecin informe au plus tard, lors de la première visite, l'intéressée de son refus (CSP, art. L. 2212-8, al. 1er). Depuis la loi du 4 juillet 2001, il est précisé que le médecin informe sa patiente de son refus sans délai et qu'il lui communique immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention (art. L. 2212-8 modifié). Il s'agit bien ici d'une première entorse à la clause de conscience, le médecin étant contraint de délivrer des informations dont le but est d'orienter sa patiente vers une structure pratiquant l'IVG alors même qu'il juge l'acte répréhensible et qu'il souhaiterait l'en prémunir.
Seconde disposition qui entame le respect de l'objection de conscience, la loi du 4 juillet 2001 a abrogé son maintien en faveur d'un médecin-chef de service. S'il n'est pas tenu d'en pratiquer personnellement, il doit veiller à ce que l'IVG soit organisée dans son service. D'ailleurs, les établissements de santé publics disposant de lits en gynécologie-obstétrique et en chirurgie ne peuvent refuser que des interruptions de grossesse soient pratiquées dans leurs locaux. Même une structure de santé privée ne pourra se voir accorder sa demande à ne pas exécuter d'IVG en son sein que si d'autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux . Le ton s'est d'ailleurs fait plus menaçant récemment, certaines figures de proue du Planning familial souhaitant que la clause de conscience soit abordée lors de l'entretien d'embauche pour écarter les candidats réfractaires s'il est avéré que le service a besoin d' IVGistes pour répondre à la demande.
Un droit théorique
Autant de signes qui prouvent selon Mgr Jean Laffitte, secrétaire du Conseil pontifical pour la famille et vice-président de l'Académie pontificale pour la Vie, que l'objection de conscience n'est souvent qu' un droit théorique et non un droit pratique. Il n'a pas du tout le même statut que le droit à l'avortement : il est accompagné de contraintes et de conditions telles que son exercice public marginalise celui qui l'utilise et l'expose parfois à des sanctions [2] . Nous avons eu connaissance cet été d'une histoire qui illustre parfaitement son diagnostic. La voici.
Comme on sait, préalablement à l'intervention d'interruption volontaire de grossesse, la loi française ordonne qu'il y ait une première consultation au cours de laquelle le médecin informe la femme des méthodes médicale et chirurgicale, de leurs risques et effets secondaires, lui remette un dossier-guide, etc. Puis une deuxième consultation obligatoire est prévue, normalement espacée d'au moins sept jours, où la femme remettra au médecin sa confirmation écrite (et la mineure l'attestation d'entretien obligatoire).
Un médecin généraliste, qui avait vu en consultation une femme désirant avorter et lui avait bien indiqué son refus d'accéder à sa demande et de participer à la procédure d'IVG, s'est vu harceler par le Planning familial local pour leur fournir un certificat qui aurait eu valeur d'attestation d'une première consultation d'IVG. L'objectif recherché étant de gagner du temps pour prévoir le plus rapidement possible la seconde consultation. Le médecin a courageusement refusé de se plier aux injonctions du Planning, rappelant que la consultation où elle avait reçue cette femme n'avait pas à être confondue avec celle requise par la loi sur l'IVG. Si le généraliste avait obtempéré, il se serait retrouvé dans le cas typique d'une collaboration matérielle directe à un acte intrinsèquement mauvais, le certificat jouant un rôle indispensable pour rendre possible l'exécution de l'avortement.
Où l'on voit que la difficile question de l'objection de conscience des professionnels de santé mérite toute notre vigilance, ses opposants ne souffrant pas qu'elle permette à certains de s'exonérer de participer à ce qu'ils considèrent comme une obligation de service public. Tolérance intolérable ! Mgr Laffitte déclarait devant les participants de l'Assemblée plénière de l'Académie pontificale pour la Vie en février 2007 :
Une société tolérante ne peut tolérer que s'exerce en son sein un droit à l'objection de conscience, car elle n'est plus en mesure d'accepter en les honorant les valeurs supérieures qui s'expriment en son sein. Elle choisit alors des valeurs consensuelles, dont certaines, infailliblement, la conduisent à la mort.
[1] Sources : AFP et www.avortementivg.com, 22 avril 2008.
[2] Elio Sgreccia et Jean Laffitte (dir.), La Conscience chrétienne au service du droit à la vie, Actes de la 1e Assemblée générale de l'Académie pontificale pour la Vie, 23-25 février 2007, p. 132.
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