Vote de la honte , acte antidémocratique , manifestation xénophobe . Beaucoup a été dit et écrit, à gauche et à droite, sur l'acceptation de l'initiative de l'UDC contre la construction de minarets. Une telle initiative était-elle opportune ? La présence de l'islam en Suisse devient-elle envahissante au point de faire sentir la nécessité de légiférer pour réduire sa visibilité ?
Chacun en France a depuis lundi tenté d'apporter sa réponse. Ce qui aurait pu passer pour une nouvelle manifestation d'un repli identitaire chronique en Suisse a pris valeur d'avertissement en Europe. Et chez nous, que se passerait-il ? – La réponse n'a pas tardé: en France comme en Allemagne, la majorité des personnes interrogées se prononcerait en faveur de l'interdiction, comme le peuple suisse.
La question ne sera sans doute pas posée en France, mais à la faveur du débat sur l'identité nationale, il peut être instructif de réfléchir sur les éléments qui étaient induits par cette votation, mais que ni l'UDC durant la campagne ni les médias aujourd'hui prennent assez en considération.
Le religieux dans la société
Au-delà d'une problématique relevant du contexte culturel et social de la Confédération helvétique, et qui n'est pas transposable telle quelle en France, l'initiative, fondamentalement, posait la question de la présence du religieux dans la société, ainsi que sa visibilité, au moment où la cour européenne des droits de l'homme demandait que les crucifix soient retirés des écoles italiennes.
Historiquement, l'initiative de l'UDC s'inscrivait implicitement dans la volonté du parti de repenser le modèle confédéral hérité de la constitution radicale de 1874. Elle ne remettait pas en cause la structure des institutions de la Suisse moderne mais la vision philosophique qui leur a donné naissance au XVIIIe siècle, avec son idéal d'une société civile libérée des conflits religieux et pacifiée par la raison laïque. En ce sens, l'UDC veut jouer aujourd'hui le rôle tenu par les radicaux suisses hier. Mais à l'envers, et non sans ambiguïté.
En omettant d'interroger les fondements de la dichotomie entre sphère religieuse et sphère civile, l'initiative est restée dans le cadre hérité des Lumières. Pour toute justification de son opposition aux minarets, elle s'est contentée de substituer au modèle de la Suisse laïque créé par la constitution radicale de 1874 – élaborée après la guerre du Sonderbund – une version faisant du christianisme un instrument de la défense de l'identité suisse.
Musulmans contre laïques
Ce qui a conduit inévitablement à cantonner le débat dans le domaine de la tolérance religieuse. Pourquoi interdire les minarets d'un côté et continuer d'autoriser les cloches des églises de l'autre ? La tolérance doit s'exercer dans les deux sens, et la Conférence des évêques suisses a bien compris que la moindre réserve manifestée envers le droit aux minarets pourrait se retourner contre les églises chrétiennes. Il y a là une position dictée par la prudence et par la fidélité aux déclarations de Vatican II sur le droit à la liberté religieuse. Mais c'est une position fragile.
En ne mettant pas suffisamment en lumière la spécificité du rapport du christianisme avec la Cité, le champ est ainsi abandonné à deux interlocuteurs : d'un côté les musulmans, dont la religion ignore la séparation entre religion et politique ; de l'autre les radicaux (ou en France les partis de gauche), dont le laïcisme exclut la croyance religieuse du politique. Deux interlocuteurs antagonistes, mais qui se retrouvent paradoxalement du même côté en face du christianisme.
Pour tous les deux, la distinction évangélique des deux ordres – Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu – n'a pas lieu d'être. Car, ou bien les deux domaines sont fusionnés (islam), ou bien l'un des deux est exclu (laïcisme). L'éditorial de Libération du 30 novembre est un bon exemple de cet état d'esprit. Le vote de la honte : en jouant la carte de la tolérance religieuse, l'islam est un moyen de relativiser l'enracinement chrétien, proche ou lointain, des institutions politiques françaises ou européennes, et aussi de densifier leur identité laïque au moment où la ligne du journal peine à maintenir sa pertinence dans un paysage culturel en recomposition.
Mais c'est un jeu dangereux, car si la séparation des pouvoirs politique et religieux a été rendue possible en Europe, c'est parce que le christianisme, en respectant l'ordre naturel dans sa légitimité propre, l'avait déjà rendue concevable.
La fragilisation de la religion chrétienne peut paraître une bonne nouvelle aux yeux des descendants des Lumières. En réalité, c'est leur propre position qu'ils fragilisent. Car l'appel à la raison seule ne sera d'aucun secours face à un islam pour lequel rien n'échappe à l'emprise du religieux. Si les valeurs défendues par les radicaux ont un avenir, c'est dans le christianisme qu'elles trouveront demain, comme hier, leur allié naturel. S'il faut louer l'initiative de l'UDC pour une chose, c'est de remettre en lumière ce paradoxe salutaire.
*Grégory Solari est directeur des éditions Ad Solem.
Sur ce sujet :
Fr. Edouard divry op, Le faux dilemme : les minarets ou pas ? (8 décembre)
François de Lacoste Lareymondie : Minarets suisses : qui sème le vent peut récolter la tempête (4 décembre)
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