Intense activité diplomatique autour du Proche-Orient ces jours-ci. Alors que les négociations israélo-palestiniennes débutaient à Washington mercredi 2 septembre, le pape recevait le lendemain le président israélien Shimon Peres : Je souhaite, a dit Benoît XVI, que la reprise du dialogue aide à atteindre un accord respectueux des légitimes aspirations des deux peuples. Même si l'espoir est palpable, comment espérer une paix stable en Terre sainte et dans toute la région , selon les voeux du Saint-Père ? Dans l'article qui suit, l'analyse de Roland Hureaux.

Il est difficile de comprendre l'attitude de l'État d'Israël dans la récente interception, si peu diplomatique, d'une flottille transportant du matériel humanitaire à Gaza, si ce pays n'était persuadé que le temps travaille pour lui.

Il y travaille, croit-il, sur le plan diplomatique où Israël a, au fil des ans, éliminé (en dehors du Hezbollah) les vrais ennemis dans le premier cercle de pays arabes qui l'entourent, le dernier à avoir été neutralisé étant l'Irak de Saddam Hussein. Israël se soucie désormais de neutraliser le deuxième cercle de pays hostiles, sinon arabes, du moins musulmans, à commencer par l'Iran (en attendant la Turquie ?).
Le temps semble également travailler pour Israël si l'on compare les fameuses cartes du contrôle politique par l'entité israélienne de 1948 (la partition officielle puis la ligne de cessez-le feu, beaucoup plus avantageuse) à nos jours, d'où ressort la réduction progressive des territoires palestiniens du fait de la colonisation de la Cisjordanie.
Cette approche purement territoriale est pourtant illusoire. Car derrière le nombre de kilomètres carrés, il y a celui des habitants. Or celui là seul compte. Demography is destiny, disent les Anglo-Saxons. Même si les Palestiniens se trouvent confinés sur un territoire de plus en plus réduit, la situation deviendra intenable pour Israël s'ils y sont de plus en plus nombreux.
La loi du nombre
En 2009, Israël comptait 7 millions d'habitants (dont 5,5 millions de Juifs et 1,5 de non-juifs, principalement Arabes) et les territoires palestiniens, 3, 9 millions (2,4 millions en Cisjordanie dont 0,5 millions de colons juifs ; 1,5 million à Gaza) [1]. Sous réserve de l'incertitude des chiffres, souvent manipulés dans un sens ou dans l'autre, le total, pour l'ancien mandat britannique est de 6 millions de Juifs et de 4,9 millions d'Arabes, presque tous musulmans aujourd'hui [2].
Même si Israël a un taux de natalité de 21 pour mille, supérieur à celui de tous les pays occidentaux, ce taux demeure inférieur à celui des habitants des territoires occupés : 33 pour mille, davantage encore à Gaza. On aboutit au même résultat en considérant le taux de fécondité (nombre moyen d'enfants par femme) : en Israël, 2,8 pour les juifs, 3,7 pour les non-juifs, 4 en Cisjordanie, 5,4 à Gaza.
Les Israéliens conscients de ce problème démographique se consolent en considérant que la fécondité des Arabes diminue sur le moyen terme, même à Gaza où elle reste cependant très élevée, et que celle des Juifs, au contraire, se maintient, voire augmente, du fait du rôle croissant joué par les orthodoxes. En Cisjordanie, le taux de fécondité des 500 000 colons serait aujourd'hui proche de 5 et donc supérieur à celui des Arabes (3,8) ; les colons pourraient y représenter le quart de la population en 2025 [3]. Le taux de natalité ne résulte pas de la seule fécondité actuelle mais aussi de celle de la génération précédente, laquelle détermine le nombre de femmes en âge de procréer ; de ce point de vue, les Arabes, beaucoup plus jeunes en moyenne, ont plus d'une longueur d'avance.
À terme, donc, la population arabe devrait dépasser la population juive sur l'ensemble du territoire mandataire. D'où les efforts du gouvernement israélien pour mettre à l'écart la bande de Gaza, où le déséquilibre démographique est le plus aigu. Avec 1,5 million d'habitants, ses 360 km2 (Paris intra-muros : 105 km 2) ont déjà une des densités des plus fortes du monde ; or on y prévoit 4 millions d'habitants en 2050 !
Le décalage démographique entre juifs et arabes, dira-t-on, n'est pas nouveau. Certes. Mais Israël avait longtemps compensé un plus faible nombre de naissances par l'immigration. La dernière grande vague est venue de Russie à la chute du communisme. A moins d'une imprévisible catastrophe quelque part dans le monde, on ne voit pas quelle nouvelle vague Israël pourrait désormais attendre.
L'installation de colons juifs en Cisjordanie a ceci de paradoxal que d'habitude, dans l'histoire, ce sont les zones à la démographie la plus dynamique qui déversent leur trop plein vers celles où elle l'est moins. Or là, c'est l'inverse, ce qui montre combien est artificiel ce mouvement, fruit d'un volontarisme politique cherchant à contrecarrer les évolutions démographiques fondamentales.
Une natalité de guerre
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, la démographie des Palestiniens ne reflète pas celle du monde musulman en général, désormais en chute libre. En Iran le nombre moyen d'enfants par femme est passé de 7 à l'arrivée des ayatollahs, en 1979, à moins de 2 aujourd'hui, sans que le nouveau pouvoir y soit naturellement pour quelque chose. En Tunisie, il est aussi passé au-dessous du seuil de renouvellement des générations, en Turquie, il le fera bientôt. Les autres pays musulmans, avec un retard plus ou moins grand, suivent le mouvement.
Les Palestiniens, historiquement plus développés que les autres Arabes, auraient dû être à la pointe de ce mouvement vers la modernité. Or ils sont au contraire à la traine. La bande de Gaza est en passe de devenir le territoire le plus fécond au monde arabe.
Pourquoi ? Parce que cette fécondité est politique. Elle ne résulte pas seulement de la volonté des autorités palestiniennes, surtout du Hamas qui, faute de pouvoir jamais gagner la course aux armements, espère gagner celle des berceaux. Elle correspond aussi à une volonté populaire. Elle est l'effet d'un instinct collectif de survie — car aucune politique démographique n'a jamais été efficace sans le soutien de la population.

Cette natalité plus élevée résulte également des conditions de vie : dans une économie d'assistance comme celle où s'enlisent la plupart des Palestiniens, le revenu du ménage dépend du nombre de bouches à nourrir, ce qui n'est pas le cas dans une économie de production. Il se peut en outre que l'oisiveté qui règne dans les territoires, due pour partie à un retard objectif de développement et pour une autre au blocus auquel est soumise l'économie, favorise la procréation : que faire à Gaza hors des enfants ?
Le précédent de l'Afrique du Sud le montre : dans un monde qui révère la démocratie, la logique du nombre finit toujours pour l'emporter.
Dans la mesure où il y a un lien direct entre la fécondité des habitants des territoires occupés (colons compris, d'ailleurs) et la tension politique et militaire, il n'y a aucun espoir qu'Israël renverse ces tendances, mortelles à terme pour lui, sans un relâchement de cette tension. Ce relâchement doit déboucher sur une vraie dynamique de développement, en particulier à Gaza. La densité de ce territoire est encore inférieure à celle de Hong-Kong ; cette ville a, comme Beyrouth, un passé commerçant ; l'argent, européen ou arabe, ne manque pas. Le mieux qu'aient à faire les Israéliens est de favoriser au plus vite son décollage.
Et la sécurité, dira-t-on ? La technique moderne offre sans nul doute à Israël des moyens moins rustiques de la garantir que le blocus inhumain infligé aux habitants de Gaza. Dans toute situation de conflit, il faut prendre en compte que la sécurité absolue de l'un est l'insécurité absolue de l'autre ; c'est pourquoi Henry Kissinger, se référant à la guerre froide, disait que la détente suppose un certain partage de l'insécurité. Les Européens qui ont vécu quatre décennies sous la menace du feu nucléaire soviétique, sans que jamais la protection américaine ait été assurée, savent qu'il n'y a pas de sécurité absolue en ce bas monde.

  • La semaine prochaine : La force ne règle pas tout.

[1] Nous veillons à ne pas compter deux fois les colons juifs de Cisjordanie, qui sont citoyens israéliens et à ce titre, généralement pris en compte dans la population d'Israël.
[2] La minorité chrétienne, importante historiquement, n'a cessé de fondre tant par l'émigration, due pour une part à la pression musulmane, que par une fécondité plus faible que celle des musulmans. Il y aurait aujourd'hui 150.000 chrétiens en Israël soit environ 2 % de la population (mais selon certains le double) et 50.000 en territoire palestinien (soit 1,2 %). Quoiqu'ils soient en majorité arabes, leur sort est sans doute meilleur en territoire israélien.
[3] Dans les statistiques officielles, cette fécondité supérieure des colons juifs de Cisjordanie est déjà prise en compte dans celle de la population juive d'Israël, qu'il faut donc diminuer un peu si on compte à part la Cisjordanie.
***