Source [Elements] : Les mots ne sont pas neutres. Si le terme d’« Indo-Pacifique » a remplacé celui d’« Asie Pacifique », qui incluait explicitement la Chine, c’est qu’il s’agit de soumettre cette dernière aux logiques maritimes américaines. Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers, montre combien l’opposition chère à Carl Schmitt de la terre et de la mer s’applique en mer de Chine.
Il n’y a pas si longtemps, on parlait d’« Asie Pacifique ». Depuis la fin des années 2000, le terme d’« Indo-Pacifique » est omniprésent dans la géopolitique mondiale. Que cache-t-il ? Tout le mérite de l’ouvrage d’Isabelle Saint-Mézard est de nous le dévoiler, avec beaucoup de clarté et de réalisme. Et, comme toujours en matière de géopolitique, les termes ne sont pas neutres : ils forgent des représentations, ils soulignent des lignes de fracture dans l’ordre mondial, et sont donc gros de conflits à venir.
Au sujet de cette « révolution » indo-pacifique des représentations, soulignons deux éléments principaux.
Une ceinture maritime autour de la Chine
Premièrement, la vision d’un espace unique, unissant les océans Indien et Pacifique par le commerce, est d’origine principalement américaine, promue dans un contexte de rivalité croissante avec la Chine. Le terme d’« Indo-Pacifique » est porté avec le plus de force par les États-Unis et par leurs deux principaux alliés régionaux, le Japon (où l’ancien Premier ministre est l’auteur d’un discours fondamental sur le sujet en 2007, « Confluence of the Two Seas ») et l’Australie.
Pour ces deux derniers pays, Isabelle Saint-Mézard montre bien le rôle joué par l’« anxiété géopolitique » suscitée par la montée en puissance de la Chine. Tant le Japon que l’Australie sont des puissances insulaires fortement dépendantes de l’accès aux mers – et, dans le cas de la seconde, tétanisée depuis longtemps par une « tyrannie de la distance » (Blainey) qui la rend très soucieuse de préserver l’alliance américaine. Quant aux États-Unis, ce qui se joue dans la constitution d’une ceinture indo-pacifique autour de la Chine, c’est la préservation de leur suprématie en Asie. C’est ainsi qu’il faut interpréter l’intérêt croissant porté par les États-Unis à cette région depuis plusieurs années, concrétisé par des investissements massifs dans la région et des alliances militaires, à l’image de l’Aukus (entre les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni).
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