Le temps de l'élection s'achève. Celui du retour aux problèmes concrets prend immédiatement le relais. Le nouveau gouvernement va devoir s'attaquer aux questions qui ont été laissées de côté pendant des mois.
On s'interroge surtout sur les marges de manœuvre du gouvernement en matière de politique économique. On affirme habituellement qu'elles sont faibles en matière conjoncturelle. C'est vrai. Mais c'est parce qu'il faut ouvrir le chantier des réformes structurelles.
Il n'y a rien à faire dans le domaine de la politique monétaire. Celle-ci a été désormais totalement transférée au niveau de la Banque centrale européenne, indépendante des gouvernements. La BCE se donne pour seule mission de lutter contre l'inflation, et c'est donc dans un climat général de rigueur — avec un objectif d'inflation fixé à 2 pour cent au niveau européen — que se situe désormais notre politique économique.
Reste l'arme budgétaire. Or ici aussi les marges de manœuvre sont quasi-nulles. Cela s'explique par des décisions européennes, et en particulier le pacte de stabilité qui prévoit un retour à l'équilibre des finances publiques en 2004. Cette question va revenir à l'ordre du jour du prochain sommet européen, la France n'ayant obtenu qu'un répit électoral. Il est peu probable qu'un délai nous soit donné et ce d'autant plus que la grande majorité de nos partenaires est déjà à l'équilibre ou en excédent.
Mais, en dehors même de toute pression européenne, il faut de toute façon faire quelque chose : le déficit est en pleine dérive et dépasse toute les prévisions : l'audit demandé va le confirmer sans aucun doute. Il faut le réduire. Et cela d'autant plus que l'endettement atteint des niveaux insupportables : prés de 1000 milliards d'euros. Le simple paiement des intérêts est devenu le second poste budgétaire. Il y a donc urgence à équilibrer les finances publiques.
La tentation est alors — comme en 1997 avec le plan Juppé — d'augmenter les prélèvements obligatoires. C'est l'erreur fatale à ne pas commettre. En effet, les prélèvements atteignent un niveau record (plus de 45 pour cent du PIB) et pèsent sur l'activité et l'emploi. Une hausse des impôts provoquerait une récession et finalement une baisse des recettes fiscales.
Il faut donc baisser les prélèvements obligatoires (impôts et charges). Ce n'est pas un cadeau " aux riches " ou aux classes moyennes, mais c'est un signal et une incitation pour ceux qui entreprennent, épargnent, innovent, créent des emplois. Ce n'est pas en ruinant " les riches " qu'on aidera les plus démunis, mais en favorisant la prospérité et la création d'emplois par un environnement fiscal favorable.
Mais bien entendu cela ne suffit pas : pour réduire déficit et endettement, il faut aussi baisser les dépenses publiques. Ce doit être la priorité absolue. Or c'est là que les mesures conjoncturelles atteignent leurs limites. Il faut bien faire fonctionner les services publics, garantir les retraites et l'assurance-maladie, etc. Dans le système actuel — qui fonctionne sans régulateur — toutes ces dépenses publiques sont explosives. Elles ne pourront être réduites qu'en acceptant des réformes structurelles courageuses : transfert au secteur privé de tout ce qui peut être privatisé, ouverture à la concurrence des services publics (pour les pousser à s'adapter), libéralisation de l'assurance maladie (comme cela se fait à l'étranger avec une certaine dose de concurrence) et surtout modification du système des retraites.
Ce dernier point a été trop longtemps négligé et nous sommes au bord de l'explosion, pour des raisons démographiques évidentes. Les blocages idéologiques — comme le refus de toute capitalisation — ne sont plus de mise aujourd'hui : tous nos partenaires ont retardé l'age de la retraite et ouvert des systèmes — de base ou complémentaires — à la capitalisation. Cela n'exclut en rien des mécanismes de solidarité. Il nous faudra faire de même pour sauver les retraites. Il serait dramatique que des a priori politiques bloquent ces réformes indispensables.
Ces réformes structurelles sont nécessaires. C'est la seule façon que nous avons de retrouver une certaine marge de manœuvre et d'assainir la situation des finances publiques. Si l'on refuse de changer quoi que ce soit aux services publics, à l'assurance-maladie ou au système de retraite, la dérive des dépenses se poursuivra et l'État-providence sera rapidement en faillite. La faiblesse des marges de manœuvres conjoncturelles ne doit donc pas être perçue comme un handicap, mais comme l'opportunité de faire enfin des réformes de fond qui feraient de la France un grand pays moderne, suivant en cela le chemin de la plupart de nos partenaires. Désormais, il semble qu'il n'y ait plus d'obstacles politiques ; la majorité est assez large et solide pour s'attaquer aux problèmes de fond, et combler le retard des années précédentes. Il est déjà bien tard. Il faut réformer sans délai.
Jean-Yves Naudet est président de l'Association française des Économistes catholiques.
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