Élections européennes 2014 : fédérer les forces vives

[Tribune] — Les élections municipales ont montré qu’il n’y avait plus en France de réelle bipolarisation. Mais il n’y aura pas plus de tripolarisation après, avec une poussée extrémiste aux côtés de la droite et la gauche, comme c’est le cas partout en Europe. Quelle leçon en tirer pour les élections européennes ?

Premier constat des élections municipales : la France politique n’est plus bipolaire.

Première leçon : plus de bipolarité

Les noyaux dirigeants des deux grands partis de gouvernement, quelle que soit la volonté de leurs électeurs, de leurs militants et d’un grand nombre de leurs élus, voire parfois de tel ou tel grand chef, sont malheureusement d’accord, pour l’essentiel :

  • sur la culture idéologique libérale-libertaire,
  • sur la mondialisation économique libérale-libertaire et,
  • sur l’oligarchie politique remplaçant de fait la démocratie, dont le cadre normal est la nation civilisée (non nationaliste).       

À ces niveaux, la monopolarité est complète. Les deux grands partis ne s’opposent pas plus que des équipes de foot électoral suivant toutes les mêmes règles du jeu. 

Les élus ont transféré (comme l’État) le pouvoir monétaire. Le peuple n’a donc plus par la démocratie le pouvoir sur les finances : autant dire qu’il n’y aura à nouveau de démocratie que lorsque cela aura été clarifié et cadré.

De plus, le contrôle de constitutionnalité des décisions publiques est poussé jusqu’à l’absurde, au point de tourner à l’usurpation du pouvoir absolu par les juges, les médias et les lobbies manipulateurs du système. Et comme la conception libertaire-individualiste de la liberté (idéologie solidaire de la mondialisation libérale et libertaire) a été abusivement incrustée dans l’interprétation légale des droits de l’homme, toute politique démocratique non libérale-libertaire peut être cassée.

Le système est ainsi verrouillé, et comme tout système verrouillé, il est exposé à l’effondrement systémique.

Le Léviathan médiatique domine une classe politique réduite à l’impuissance par une culture sans bien commun et de culpabilisation du pouvoir.

La censure de la culture substantielle par le politiquement correct ôte tout ciment à nos peuples et donc tout fondement possible d’une légitimité sérieuse des politiques. Cela les affaiblit encore plus, faisant de la loi du marché la seule loi et laissant le pouvoir réel à l’alliance antidémocratique des financiers libertaires et des lobbies transgressifs.

Est-ce à dire qu’il n’y aurait aucune différence entre gauche et droite ? Non. Quelles sont donc ces différences entre les deux grands partis ?

  • D’abord des souvenirs : droite/gauche, c’était monarchistes contre républicains, catholiques contre rationalistes, capitalistes contre partisans de l’appropriation collective des moyens de production. Aucune de ces oppositions n’est plus pertinente pour distinguer la droite et la gauche, ni pour comprendre le monde. Mais un vague souvenir demeure. 
  • Ensuite, le véritable sens du clivage droite/gauche est de fonctionner comme un piège permettant un constant détournement de démocratie. La « droite » fonctionne de plus en plus comme une machine à escroquer les conservateurs et les entrepreneurs ; la gauche comme une machine à escroquer les classes populaires. Le problème de la gauche, et qui explique sa débâcle, c’est que les classes laborieuses, qui souffrent du chômage, ont fini par se rendre compte que le socialisme n’existe plus que dans le discours.          

La gauche est censée être plus libertaire sur la culture, la droite plus libertaire en économie – c’est très relatif et parfois le contraire est vrai. Les deux ailes, ensemble, permettent au système libertaire mondial de voler en chaque pays de fausse alternance en fausse opposition, laissant avancer toujours le même agenda, dont nous avons parlé.

La droite voudrait une politique plus réaliste et d’austérité, et ne la fait pas ; la gauche voudrait une politique plus douce et plus équitable, et ne la fait pas. Les deux sont dans l’impasse. Faute d’offre différente crédible, l’abstention touche la moitié du corps électoral.   

Deuxième leçon : pas de tripolarité. À quoi sert le FN ?

Que penser du Front national ? Ses succès ouvrent-ils une ère politique nouvelle, qualifiée de tripolaire ?

Pour les raisons précédemment indiquées, la tripolarité [1]serait tout au plus une bipolarité.

D’abord, culturellement, le FN ne nous fait pas sortir de la monopolarité. La grande différence entre Marine Le Pen et son père, c’est que Jean-Marie Le Pen était attaché à la tradition culturelle de la France, même si c’était de façon partiale et réactionnaire. Nombre d’électeurs conservateurs, notamment des jeunes, votent FN, par dégoût pour une droite réputée conservatrice qui ne leur ouvre pas plus d’avenir économique que la gauche et qui se montre faible ou complice face à toutes les liquidations réputées de gauche. Leur vote FN plutôt qu’UMP ou PS pour ces motifs se comprend tout à fait, mais il est aussi inefficace.

Marine Le Pen est en effet une postmoderne sans profondeur, entourée surtout de postmodernes, dont pas mal de transgressifs, et de plus en plus de technocrates ambitieux. La raison de la relative dédiabolisation du FN par les médias, c’est ce ralliement culturel.

Toutefois, d’un point de vue théorique, politiquement et économiquement, la montée du FN pourrait permettre une vraie bipolarité ; mais laquelle ?

Le FN adhère aux idées d’autorité de l’État, de mise en cause du libre-échange, de récupération de la souveraineté monétaire et donc d’indépendance nationale, ce par quoi il s’oppose nettement aux deux partis dominants. Il reparle de la nation. Ceci est positif, car nous n’aurons jamais d’Europe sans remettre à l’honneur et en fonctionnement la nation ; il n’y aura pas non plus d’avenir économique pour les jeunes sans remettre à jour la notion d’économie nationale (ou d’économie située au sein de nations comparables et associées dans des zones économiques cohérentes).

Toutefois, le ralliement du FN à la culture postmoderne gâte ces idées valables. Ce ralliement a été clairement manifesté par l’indifférence affichée à l’occasion des débats de 2013 sur le mariage. Ce virage culturel enferme ce parti dans le passé et le condamne à adopter les formes postmodernes du nationalisme et de l’autorité. Or, quelle que soit la bonne intention des personnes, il y a une logique dans les principes et les systèmes de pensée. Cette logique conduira le FN au dirigisme national socialiste et à l’État fasciste. Nous ne disons pas qu’Hitler est de retour. Si l’Histoire devait se répéter, la seconde fois serait (comme le dit Marx) sur le mode comique et non plus tragique. Mais, dans les deux cas, dans le cadre culturel postmoderne, les conservateurs, les chrétiens, ou les nationaux civilisés ont vocation à n’être que des supplétifs instrumentalisés et à la fin complices de ce qu’ils n’ont pas voulu. Dans cette logique individualiste libertaire, ce sont les plus libertaires qui tiendront les manettes.  

Nous devrions donc voir se configurer progressivement un nationalisme postmoderne, à la fois barbare, chauvin, autoritaire, xénophobe, inapte à assumer la communauté de la francophonie, le rayonnement culturel de la France, sa tradition universaliste et généreuse. Faute de culture de libre entreprise, Marine Le Pen ne pourra non plus trouver chez les entrepreneurs l’élite de remplacement dont la France a tant besoin. Les bonnes idées ne seront donc pas transformées en mécanismes opératoires et resteront dans le discours. Les seules choses effectives seront le dirigisme paralysant et la démagogie xénophobe, qui constituera un élément de division populaire durablement handicapant.

Deux grands scénarios sont ainsi envisageables :

  • Soit le FN rentre de plus en plus dans les clous de l’oligarchie, s’en tient à une logomachie révolutionnaire, à des tentatives maladroites, et à la xénophobie, et pour le reste constitue en réalité (s’il vient au pouvoir) le régime autoritaire permettant à l’oligarchie financière de soumettre notre peuple à l’austérité, avant de se faire « virer » et de permettre le retour des deux partis dominants.
  • Soit le petit monstre échappe à ce destin de fantoche et entend réaliser son Idée essentielle ; en ce cas, nous serons dans une aventure de violence, probablement tragicomique, dont la France sortirait très amoindrie. 

La France étant ce qu’elle est, le 1er scénario est le plus probable. Par suite, le FN — grâce à une réforme « proportionnaliste » des lois électorales ? — pourrait s’installer dans ce qui fut la position du Parti communiste en Italie, avec un sommet de 30-35% de voix aux élections, un discours protestataire, une culture de bunker et des régimes apparatchikaires locaux. Non seulement ce jacobinisme néo-fasciste ne permettra ni la réforme, ni la renaissance de la France, et de l’Europe, mais il sera le moyen pour les noyaux dirigeants des deux partis dominants (à condition de continuer à l’exclure) de se maintenir indéfiniment au pouvoir, de nous enfermer dans le piège d’une représentation faussée, et de nous imposer indéfiniment leurs politiques mortifères.

Il est vrai que la France n'est pas l'Italie et que son régime présidentiel peut ouvrir des perspectives supérieures d'arrivée au pouvoir, si vraiment la situation se dégrade trop. En ce cas, nous serions dans le scénario n° 2.

En résumé, il faut pour la France et l’Europe à la fois plus de nation et moins de nationalisme, plus d’État fort et moins d’administration, ce qui ne peut aller sans rupture avec la culture postmoderne et l’idéologie libérale-libertaire.

Une situation commune dans toute l’Europe

Faut-il ajouter que ceci est vrai à l’échelle de l’Europe entière ?

Ceci a son origine d’abord à Washington et à New-York. L’UE et l’OTAN sont pour les nations européennes relativement aux US ce qu’était la Confédération du Rhin pour les États allemands relativement à Napoléon : une fédération assez forte pour paralyser la liberté d’action de chacun des États-membres, et suffisamment impuissante pour l’empêcher d’avoir elle-même une action propre et de constituer un rival pour l’hégémon. En outre, les US sont en train d’essayer de compléter cette emprise par des traités de commerce qui seraient supérieurs à toute souveraineté démocratique.

Aussi détestable que soit la culture de mort, il faut bien voir qu’elle n’est qu’une idéologie bas de gamme au service de ce pouvoir ploutocratique et impérial.

Cette politique démesurée est contraire à l’intérêt du peuple américain [2], avec les vraies élites duquel nous devons trouver par-dessus la tête de son oligarchie, un terrain d’entente.

Les USA nous ayant imposé une économie libertaire mondialisée, les Allemands se sont soumis avec réalisme et ont accepté de créer un nouveau prolétariat pour sauver leur industrie ; les Français ont préféré sacrifier leur industrie pour essayer de maintenir (plus ou moins) tout le monde à l’aise – ceci grâce à l’endettement, que permettait l’Allemagne, parce que l’Euro, c’était le mark.

L’endettement ayant atteint ses limites, la France se voit le dos au mur. Elle n’assure sa liquidité que grâce aux achats massifs de bons du trésor par le Qatar, lequel est aujourd’hui mis au ban du monde arabe, ce qui laisse entrevoir l’abîme sous les pieds de nos dirigeants. La créance monstrueuse de la France envers l’Allemagne nous place virtuellement en situation de pays sous tutelle. La servilité des classes politiques nationales, et surtout celle de l’UE, aux volontés américaines (= de l’oligarchie US) est ahurissante et relève probablement, en partie, de manœuvres détestables, que facilite le flicage universel par la NSA.  

Cette situation n’est plus supportable.

Que faire ? Libérer l’Europe et ses nations

Ce qu’il faut faire se lit sans doute en creux dans ce qui vient d’être dit.

Si l’UE doit être autre chose qu’un outil impérial au service des US contre les peuples européens, il faut qu’elle reprenne sa liberté d’action, en matière économique, diplomatique et militaire, et devienne un principe d’équilibre dans le monde, une force de réforme économique équitable, et un multiplicateur de puissance pour ses nations, redevenues cadres d’une authentique vie démocratique, comme du temps de De Gaulle et d’Adenauer.

Cela dit, il ne se passera rien sans changement culturel, sans retour à la grande civilisation humaniste de l’Europe, dont le centre et le sommet s’appelle Christ-l’Homme-Dieu. Ceci n’a rien d’étroitement confessionnel, mais relève d’un débat normal et profond sur 2500 ans ou plus de culture humaniste.

Le véritable clivage politique passe à l’intérieur de chacune des trois grandes forces et ce dans plusieurs nations. Nous avons besoin au-delà du système postmoderne (individualiste, libertaire, amoral), toujours debout mais déjà mort, d’une « force de vie » qui ait vocation à réunir tout ce qui est prêt à s’engager pour la renaissance.

Cette fédération des vivants est :

  • la seule en mesure de proposer un nouveau pacte social économique ;
  • la seule à pouvoir réinventer une économie libre, moderne et juste, nationalement et internationalement ;
  • la seule en mesure de rallier une nouvelle classe dirigeante issue d’entrepreneurs, professions libérales, militaires, juges, universitaires, médecins, syndicalistes nouveaux, salariés du privé, etc. pour remplacer les énarques, les communicants, les apparatchiks, les lobbyistes, etc. ;
  • la seule en mesure d’assumer l’Europe. 

Ce pacte social suppose une fédération de survie et de nouveaux développements à partir des territoires. Il suppose une réunification de tout ce que l’oligarchie divise à fins de domination, en particulier : Français issus de l’immigration/Français de toujours, religieux/philosophes, chrétiens/musulmans, patrons de PME/salariés, « riches »/pauvres, etc.   

Il manque au monde l’Europe, comme principe d’équilibre et de pluralité.

Il manque à l’Europe la Nation – la nation civilisée.

Il manque à la nation leurs cultures substantielles, aliénées dans l’amnésie obligatoire du politiquement correct. Cette culture officielle hégémonique, véritable religion d’État intolérante, censure et discrimine toutes nos cultures et notre Histoire.

Il faut plus de nation, mais de nation civilisée, pas de nation postmoderne. La nation libertaire postmoderne est forcément nationaliste-barbare. Elle polarisera le Continent contre l’Océan, conduisant peut-être à la guerre mondiale. Elle est en tout cas le meilleur moyen de tout bloquer et de pérenniser les folies ambiantes.

Il nous faut une nouvelle « force de vie », pour retrouver la dignité culturelle, la légitimité du politique, donc le pouvoir, la démocratie, un avenir économique.

Dans l’avenir, voici dans quel ordre il conviendra de prendre les facteurs du renouveau :

  • insister d’abord sur un avenir économique à retrouver ;
  • et pour cela rétablir un pouvoir, ce qui veut dire remettre à leur place le pouvoir judiciaire, ainsi que les forces financières privées, et faire sortir le peuple du piège politique, par une représentation de ses intérêts vitaux ;
  • que ce pouvoir soit délégué par la réunion et l’alliance de tous ceux que l’oligarchie domine aujourd’hui en les divisant ; pour cela, faire l’union des divisés ; et la faire en négociant un nouveau deal économique et culturel, un bien commun à trouver et négocier ensemble.

Cela ne peut aller sans une redécouverte de la tradition humaniste complète de notre peuple, dans le cadre d’un élan des nations européennes ainsi unies sur ces buts. 

 

 

H. H.

 

En savoir plus :

http://www.henrihude.fr/mes-reflexions/50-democratiedurable/323-elections-europeennes-2014

 

 

 

***

[1] Voir le remarquable discours du sénateur du Vermont, Bernie Sanders, prononcé au Sénat des USA le 29 mars 2014. 

[2] Idem