L'hebdomadaire Marianne a publié le 5 décembre un cri d'alarme poussé par le seul économiste français ayant reçu le prix Nobel [1]. Maurice Allais explique (et cela depuis longtemps) que le libre échange est excellent entre pays de niveau de développement comparable, mais très dangereux lorsque les participants ont des coûts de main d'œuvre trop différents.
Pour l'économiste, le chômage est dû en grande partie à la libéralisation totale du commerce au niveau planétaire. Il propose que les sommets du type G20 servent à mettre en place des organisations régionales formées de pays où les coûts de production sont du même ordre de grandeur : à l'intérieur de ces zones, les échanges seraient totalement libres, mais les zones pratiqueraient un protectionnisme raisonnable.
Un autre libéral de grande intelligence, Maurice Lauré (l'inventeur de la TVA), formulait il y a vingt ans une analyse très voisine : il était convaincu qu'en acceptant le transfert dans les pays à bas salaires d'une grande partie de la production destinée aux pays développés, nous allions prendre de très mauvaises habitudes. Son pronostic s'est révélé exact : l'exploitation des gisements de main d'œuvre à bon marché a transformé Occidentaux et Japonais en rentiers passablement décadents. Obtenant les biens ordinaires pour presque rien, et le cas échéant à crédit (cas des États-Unis), nous avons multiplié les occupations stériles, notamment la bureaucratie, tant privée que publique, et la finance casino, deux ennemies mortelles de la civilisation humaniste et libérale.
Maurice Lauré faisait une proposition : taxer les marchandises en provenance des pays à très bas niveaux de salaires, et utiliser le produit de cette taxe pour l'aide au développement. Cette suggestion n'a pas du tout intéressé les grands de ce monde. Mais les circonstances évoluent ; le sommet de Copenhague, cérémonie emblématique d'une sorte de religion climatique, offre une opportunité. En effet, que ce soit pour limiter l'émission de gaz à effet de serre, ou pour ne pas gaspiller nos ressources en énergie fossile, ou tout simplement pour des raisons sanitaires, il apparaît indispensable de ne pas persévérer dans le modèle chinois de développement, consommateur boulimique de charbon et d'hydrocarbures. L'Europe est même prête à payer pour cela : l'Union européenne a proposé 7,2 milliards d'euros d'aide aux pays pauvres pour lutter contre le changement climatique.
Une telle proposition, si on la met en relation avec l'idée de taxe Lauré sur les importations en provenance des pays à très bas salaires, pourrait être transformée de manière intéressante : au lieu de tirer cet argent de nulle part, c'est-à-dire de l'emprunt, que l'Union européenne établisse des droits de douane qui le lui fourniront ; et qu'elle cible ses aides aux pays émergents sur l'investissement dans des dispositifs économisant l'énergie et développant les alternatives aux combustibles fossiles.
Une telle orientation serait bénéfique pour tous :
- Pour les populations des pays comme la Chine, qui se trouveraient fort bien de produire un peu moins pour l'exportation, et un peu plus pour elles-mêmes.
- Pour les pays riches, qui fourniraient à leurs jeunes, à leurs seniors et à leurs chômeurs un peu moins d'allocations, et un peu plus de travail.
- Pour l'humanité, qui épuiserait moins rapidement ses réserves de charbon et d'hydrocarbures, développerait plus vite des modes de production et de consommation moins énergétivores, et progresserait plus rapidement dans la mise au point de nouvelles sources d'énergie.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'université Lyon III.
[1] Sauf si l'on compte Gérard Debreu, né Français mais naturalisé américain
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