Trente ans après le vote de la loi Veil, la banalisation de l'avortement est-elle une fatalité ? De nombreux Français s'interrogent sur la manière d'enrayer la fréquence d'un drame qui a frappé près d'une femme sur deux dans notre pays.
Protester ou agir ? Informer les élus ou les femmes menacées par l'IVG ? Hurler son indignation ou sauver des vies ? Intervenir publiquement ou prier dans le silence ? Changer la loi ou changer les mentalités ?
Tout à la fois, sûrement, mais à la mesure du fait, du phénomène et du drame.
Le fait, c'est la mort. Empêcher la mort par tous les moyens, c'est une légitime défense ; à l'égard d'autrui, c'est le devoir de la société de protéger l'humanité (l'espèce et l'avenir) mais aussi la personne (l'enfant), car c'est justice. Mais quand la moitié des Françaises a subi l'IVG, la responsabilité des hommes de bien ne peut être engagée qu'à hauteur de leur pouvoir effectif. Contraindre ou convaincre ? La contrainte à le droit pour elle ; mais l'ampleur du phénomène invite à une proportionnalité des moyens. À ce niveau de la réflexion, la seule certitude est que ne rien faire serait un crime de plus.
Le phénomène, c'est la banalité de l'opération, effet de la libéralisation des mœurs et du relativisme des esprits, désormais réfractaires à toutes contraintes morales extérieures. Mgr Vingt-Trois a rappelé récemment la "continuité culturelle" dénoncée par l'Église, il y a trente ans déjà, entre la contraception et l'avortement : "Une mentalité contraceptive insinue l'idée qu'il est impossible d'accepter une grossesse non voulue." La facilité de l'opération, la légalisation publique ont répandu la pratique, elles n'ont pas pour autant neutralisé les effets d'un acte archi-traumatisant, et c'est la nature du drame qui entre dans le débat.
Avant d'être un crime, et un crime organisé car la loi l'orchestre de fait, la possibilité même de l'avortement est une tragédie intime qu'aucune contrainte ne peut dénouer : elle engage trop la conscience pour ne pas être avant tout une question de liberté intérieure, sans l'engagement de laquelle toute solution apaisante ne peut aboutir. Dans les faits, l'avortement est toujours subi, autrement dit consenti sous la pression (des circonstances – travail, finances - ou de l'entourage). Nous touchons là l'essentiel politique : le maillon faible de l'avortement, c'est la liberté de la mère. C'est à sa mesure qu'il faut agir, et quelle que soit la forme de son action.
Si le procédé violence contre violence a peu de prise en France, la moindre manifestation publique, aussi pacifique soit-elle, apparaît comme une brutalité inouïe. Le malaise qui entoure l'avortement est tel, même chez ses partisans les plus militants, que toute riposte ouverte est vécue comme une agression des consciences, et il faut le comprendre.
Admettons pourtant que la persistance des manifestations, dans la rue ou devant les cliniques, au recrutement de plus en plus faible d'ailleurs, ne fait qu'exacerber les passions, mais comment tolérer le silence pesant qui entoure l'horreur vécue chaque année par plus de 200.000 françaises ? Ce silence, c'est l'abandon à elles-mêmes des victimes, la femme et l'enfant, et souvent les pères qui ne sont pas tous les monstres qu'on dit, (a fortiori lorsqu'ils sont très jeunes et qu'ils sont les jouets du bon vouloir de leurs propres parents sur le "petit-enfant" de trop). À cet égard, aucune parole ne sera de trop pour crier l'indignation, mais à condition de ne pas se tromper de cible : c'est sur ce terrain qu'il convient de travailler pour ne pas risquer le contre-témoignage.
Dans cette perspective, l'évolution du camp pro-vie français est manifeste. Dimanche prochain 23 janvier, un collectif d'associations organise une manifestation à Paris (14h30, place de l'Opéra) qui s'inscrit dans la logique protestataire de l'indignation prophétique. Leur accroche "Trente ans, ça suffit !" dit bien la démarche(1), mais l'accent mis par les organisateurs sur la nécessité de "rendre aux femmes leur liberté en développant une alternative à l'avortement provoqué et promouvoir la vie" témoigne la volonté de sortir du slogan accusateur, même si les arguments développés ressortissent encore beaucoup de la passion partisane plus que de la compassion qui éclaire.
Pour leur part, les Associations familiales catholiques (AFC) "invitent les politiques et d'abord les Français à une approche radicalement différente de la question de l'avortement". En l'état actuel de la situation, changer la loi ne changera pas les Français, et c'est davantage aux citoyens qu'aux élus qu'il convient d'agir. Pour autant, la responsabilité des pouvoirs publics reste entière. Non seulement pour soutenir les éducateurs, mais pour l'aide aux associations qui portent secours aux femmes en détresse, et qui agissent dans la discrétion de toute œuvre d'accompagnement.
(1) http://www.30anscasuffit.com
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