Tant que le débat sur l'avortement se réduira à l'affrontement irréductible de deux camps, comme le récent débat parlementaire l'a montré, jamais on ne sortira de l'impasse. Cette vision schématique renforce les stéréotypes, conforte les radicalismes de part et d'autre. Comment contourner l'obstacle ?
D'une certaine manière, tant que subsistera dans notre pays une opposition qui nourrit la caricature, cette opposition continuera à faire le lit des médias, de l'intelligentsia de gauche, et des lobbies pro-IVG. Car quoi de mieux, pour promouvoir la grande cause des femmes, que de tourner en dérision un groupe dit minoritaire présenté comme complètement ringard et obtus au changement ?
Les médias ne pouvaient rêver meilleure proie. Quoi de plus tentant en effet, pour manipuler l'opinion, que de réduire la pensée à des clichés fortement connotés et anxiogènes. De vieilles bigotes brandissant des crucifix, des vieillards aigris (certainement d'anciens collaborateurs de Vichy), une masse mouvante et inquiétante de noires soutanes menaçant tels des corbeaux de malheur (certainement des pédophiles) la pure et diaphane « liberté » (le droit des femmes).
Tordre le cou aux clichés
Certains ont cherché à tordre le cou aux clichés et donner une “autre” image de l'opposition à l'avortement, pour parvenir à rendre le discours sur l'IVG plus audible, plus crédible, moins vieux, moins ringard, moins réac. Une réflexion de fond a été menée pour choisir des axes porteurs, une pédagogie centrée sur le vécu des femmes, pour aborder « en douceur » un sujet sensible, douloureux, par la voie compassionnelle.
Ces stratégies ont permis de libérer une parole jusque-là interdite, ce qui est déjà une victoire sur la tentation du déni. Mais les détracteurs pourraient objecter que cette stratégie amène à céder aux sirènes du « médiatement correct », qui aime surfer sur la vague d'un certain voyeurisme émotionnel, cette stratégie de « dévoilement » se trouvant rapidement confrontée à un écueil : celui de l'absence de réponse durable sur les solutions professionnelles d'accompagnement post-IVG.
Sans nier les mérites d'une nouvelle pédagogie appliquée au discours sur l'IVG, ni ceux des artisans d'un changement « culturel », il demeure qu'aujourd'hui une nouvelle étape doit être franchie, si l'on veut permettre à la fois que cette parole sur la souffrance post-IVG soit entendue, et parallèlement (et nécessairement) qu'elle soit prise en charge en tant que telle par les pouvoirs publics.
Car il n'existe aucune étude scientifique aujourd'hui en France sur le stress post-traumatique appliqué à l'IVG. Ni aucun descriptif clinique associé à cet état de stress. Et tant que ces études n'auront pas été menées, aucune prise de conscience publique ne pourra avoir lieu.
L’autorité de la science
Du gender au mariage gay, en passant par les prochaines législations sur la PMA et la GPA, le lieu où se décident aujourd'hui les futures évolutions sociétales est celui de la recherche universitaire, particulièrement de la recherche en sciences humaines, sociales et politiques. C'est l'université qui guide les politiques publiques.
Ces lieux sont aujourd'hui aux mains de lobbies et de chercheurs qui utilisent leurs recherches pour imposer leur idéologie. Ceux-ci mettent en avant leur distinction universitaire pour imposer des paradigmes et des conclusions partiales et orientées. Ainsi l'on a entendu parler, au cours des auditions sur le mariage gay, parmi les « multiples modèles de famille », de la pluriparentalité, c'est-à-dire de « familles » composées de « quatre parents » : cet énoncé fut présenté comme « une réalité » d'aujourd'hui, sans que cela ne soulève le moindre questionnement légal ou éthique.
Les nouvelles références
Dans le domaine des sciences sociales, qui sert de soubassement aux conceptions de programmes et de manuels, Michel Foucault, Pierre Bourdieu et Simone de Beauvoir font office de maîtres à penser. D'où l'introduction dans les manuels, de SVT comme de lettres, de références uniques, quasi obligatoires, celles des intellectuels de gauche post-soixante huitards, partisans de la théorie du genre et du matérialisme athée. Exit Paul Claudel, Charles Péguy, François Mauriac. Ils ont quasiment disparu dans un grand autodafé, passé inaperçu aux yeux du grand public.
Le problème est que ces « nouvelles » références créent la pensée et surtout, elles créent les futures références de pensée de nos enfants.
Peut-on s'étonner que parmi les sujets les plus traités en doctorat de psychologie, figure le syndrome post-traumatique lié à la grossesse et à l'accouchement, mais pratiquement, pour ne pas dire aucune étude sur les répercussions psychologiques de l'avortement ?
C'est pourquoi il devient urgent de réinvestir le champ de la recherche.
L’enjeu de la recherche sur les répercussions psychologiques de l’IVG
Un grand chantier en particulier reste ouvert : celui d'une recherche de type scientifique sur les répercussions psychologiques de l'avortement. Car l'enjeu est de chercher à déterminer, avec des outils fiables, la nature des conséquences possibles en termes de santé mentale pour la femme. À ce jour, le DSM V, seule source de diagnostic possible des troubles mentaux en psychologie clinique, ne fait état, parmi les causes possibles de traumatismes, de celui de l'avortement ou d'antécédents d'avortement. L'enjeu se situe donc à ce niveau.
Il nous appartient d'utiliser tous les témoignages qui affluent sur la souffrance post-IVG, et d'en faire des matériaux de recherche pour la science, en respectant les procédures de recueil de données et de traitement des informations. Or cette recherche ne peut se faire qu'au niveau de la recherche fondamentale, par des thèses par exemple, car il s'agit d'études de grande ampleur, qui exigent des moyens et du temps.
Nul ne pourra s'opposer à une ou plusieurs recherches qui concourent, avec des méthodes validées, à démontrer l'existence d'un risque pour la santé mentale des femmes. Ceci est un enjeu de santé publique. S'il est avéré, il devra être pris en compte comme tel.
Le jour où nous aurons investi le champ de la recherche fondamentale, nous aurons gagné la légitimité qui nous fait défaut aujourd'hui. Alors les lobbies, les chercheurs, les militants qui se sont taillé la part du lion commenceront vraiment à prendre peur.
Sabine Faivre est psychologue, enseignante, auteur de La Vérité sur l'avortement aujourd'hui (Téqui, 2006).
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