Source [Le Salon Beige] Très beau texte, plein de sens et de profondeur, de Michel Pinton :
« Il ne faut pas que vous sous-estimiez l’Angleterre. C’est un curieux pays, dont peu d’étrangers parviennent à comprendre la mentalité. Ne la jugez pas d’après l’attitude de son gouvernement actuel. S’ils sont confrontés à un grand défi, vous verrez de combien d’actions inattendues sont capables ce même gouvernement et la nation anglaise. »
Ces paroles ont été prononcées par Churchill. Elles étaient adressées à Ribbentrop, ambassadeur d’Allemagne à Londres, en 1937, alors que le gouvernement Chamberlain semblait incapable de définir une politique cohérente face aux ambitions continentales du Reich.
Elles me reviennent à l’esprit en observant l’incapacité de Theresa May à faire un choix clair dans ses négociations avec ce même continent rassemblé dans l’Union européenne. Nous sommes tentés de tourner en dérision l’indécision des dirigeants anglais, leurs divisions et leur irréalisme. Ne sous-estimons pas l’Angleterre !
Le “Brexit” est considéré aujourd’hui comme une lubie du peuple britannique, alléché par les promesses fallacieuses de démagogues irresponsables, et dont les conséquences seront catastrophiques pour lui mais légères pour les continentaux. Il se pourrait que, dans quelques années, les évènements conduisent à l’inverse.
(…) L’Angleterre se trouve seule face à un grand défi. Je parie qu’aujourd’hui comme il y a quatre-vingt ans, ses divisions et ses hésitations ne dureront pas. Son peuple retrouvera son unité et son gouvernement sa détermination. Alors l’Union européenne, aujourd’hui si sûre d’elle-même, verra de quelles actions inattendues la nation anglaise est capable. Elle pourrait, à son tour, avoir à faire face à des défis qui mettront sa solidité à rude épreuve.
Allons au-delà des apparences et des idées reçues. Qu’est-ce que “l’espérance européenne” dont Monnet puis Delors et aujourd’hui Juncker ont été les artisans ? Une organisation collective dans laquelle nos nations abandonnent des morceaux de leurs souverainetés à un collège de technocrates supposés agir en vue de l’intérêt supérieur de l’Europe. Son but proclamé est la paix perpétuelle entre nos peuples et une prospérité partagée équitablement entre tous. Les évènements récents ont montré qu’il y avait une forte dose d’illusion dans l’ambition des technocrates. Mais leur erreur fondamentale a été, dès le début, d’avoir cru possible d’arracher des pans de souverainetés nationales sans de virulents chocs en retour (…)
La nation anglaise vient de le prouver. Sa souveraineté était l’une des plus anciennes d’Europe et la mieux établie. Elle a toujours lutté avec obstination contre les dangers intérieurs et extérieurs qui menaçaient de la réduire.Elle n’a adhéré au système de Bruxelles qu’après de longues hésitations. Elle n’a cessé de renâcler contre les tentatives insistantes des technocrates pour étendre leur pouvoir au détriment du Parlement de Westminster. Mais sa sourde résistance n’a pas été comprise. On a préféré, dans les milieux continentaux, y voir une excentricité insulaire sans conséquence. Excédée de sentir sa souveraineté de plus en plus étouffée, l’Angleterre a décidé, il y a presque trois ans, de reprendre son destin entre ses mains. Elle savait que le prix en serait lourd. Mais tant pis pour les avantages financiers et commerciaux que l’Union européenne apporte ! Elle a choisi de sacrifier une part de son bien-être à la reconquête de sa liberté. Telle est le sens profond du vote populaire de juin 2016. Il mérite le respect. Imaginer que la nation anglaise reviendra en arrière pour préserver des subventions agricoles ou des exportations de véhicules, c’est ignorer la force de son aspiration à redevenir pleinement elle-même.
Aveuglés par l’idéologie de Bruxelles, la plupart des dirigeants continentaux n’arrivent pas à saisir la vraie raison du “Brexit”. Au lieu de le voir pour ce qu’il est, c’est-à-dire un acte hautement politique, qui appelle une négociation elle aussi politique, ils ont laissé la Commission européenne et le Parlement européen s’emparer du dossier et rabaisser l’enjeu à leur niveau de compréhension, qui se limite à des marchandages techniques. La méthode suivie par Barnier a consisté à fixer d’abord les modalités financières de la rupture du marché unique. Une fois cette affaire réglée, il prévoyait de se tourner vers l’avenir et de mettre au point un nouvel accord commercial entre l’Union européenne et l’Angleterre. Il n’a pas pu aller loin. Dès la première étape, sa manière de faire s’est brisée sur des écueils politiques dont l’existence lui était passée inaperçue. Mais faut-il s’étonner que des technocrates buttent sur ce qu’ils sont incapables de comprendre ? (…)
Ce qui est grave pour l’Angleterre comme pour les nations du Continent, c’est l’absence de toute perspective politique dans les relations entre le Royaume Uni et l’Union européenne. Aucun accord technique, si soigneusement négocié qu’il soit, ne peut combler un tel vide. S’il persiste, alors il sera à craindre que la nation anglaise, se sentant isolée et vulnérable, soit obligée de défendre sa souveraineté contre un continent qui la repousse. Elle l’a fait jadis et l’a toujours emporté. Qu’en sera-t-il cette fois ?
Elle ne manquera pas d’alliés chez les peuples d’Europe dont les technocrates de Bruxelles brident les souverainetés et contrarient les aspirations. L’Union européenne ira vers un avenir d’autant plus hasardeux que la cohésion et la détermination auront changé de camp.
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