L'amertume de l'opinion israélienne à l'issue de la guerre de l'été 2006 n'est pas sans fondements. L'objectif de cette guerre, la destruction du Hezbollah, n'est pas vraiment atteint. Même affaibli, le mouvement chiite se trouve auréolé de la gloire d'avoir résisté, plus qu'aucune force musulmane ne l'avait encore fait, au tout puissant Tsahal.
La partie la plus radicale de l'islam se trouve ainsi placée en position de leadership moral, non seulement au Liban mais dans tout le Proche-Orient.
Ceux qui voudraient porter la guerre en Iran pour mettre fin à ses projets nucléaires sont avertis par une expérience en champ clos : la capacité de résistance des guerriers chiites est considérable. Surtout, les bombardements massifs opérés au Liban, qui ont causé plus de 1000 victimes civiles ont encore altéré l'image d'Israël : comment qualifier ses adversaires de "terroristes" alors que dans votre camp, les victimes sont principalement des soldats et dans le camp adverse principalement des civils ?
La contrepartie espérée de tous ces points négatifs, l'espoir que le plan de paix de l'ONU permettra de neutraliser le Hezbollah, est pour le moment aléatoire.
L'exemple américain
Qu'Israël ait voulu éradiquer la menace permanente que faisait peser le "parti de Dieu" sur sa frontière Nord est compréhensible. Mais sans être spécialiste des questions militaires, on peut s'interroger sur les moyens employés. Quelle que soit sa rationalité militaire (mais seul le succès permet de consacrer celle-ci), une stratégie qui consiste à démolir un pays pour neutraliser quelques centaines de miliciens opérant dans une bande frontalière de quinze kilomètres est difficilement compréhensible. Comment ne pas y reconnaître la contagion des idées et des comportements du grand protecteur de l'État d'Israël : les États-Unis ?
Des bombardements massifs d'infrastructures pour isoler et démoraliser les combattants adverses (au risque de " dommages collatéraux " considérables), le souci prioritaire d'économiser la vie de ses propres soldats : n'est-ce pas l'essentiel de la méthode américaine depuis longtemps ? Elle se résume à un principe : risque minimum pour nos soldats, risque maximum pour les civils du camp adverse. Conforme à la rationalité démocratique pour laquelle la vie des citoyens de son camp (mais de ceux là seulement) est sacrée, elle va à l'encontre tant de la tradition chevaleresque que du droit de la guerre selon lesquels la guerre est d'abord une affaire de soldats. Qui doutera que cette dernière rationalité soit plus universelle – et en définitive plus civilisée – que l'autre qui pourtant se réclame de la démocratie ?
De manière cynique, on dira que de telles méthodes ont encore des chances d'être excusées si elles réussissent. Or du Vietnam à l'Irak en passant par l'Afghanistan, elles ont abouti au contraire à enliser la grande puissance yankee dans un bourbier sans gloire.
Risquées pour les Américains, ces méthodes le sont bien davantage pour Israël. Les ressources d'un État de 7 millions d'habitants ne sauraient être comparées à celles d'un État de 250 millions. Les États-Unis peuvent demeurer relativement indifférents à une guerre menée en leur nom par des soldats professionnels généralement recrutés aux marges de la société. Ils peuvent même se sentir peu concernés par un conflit lointain : qu'importe à l'Américain du Middle West qu'on le déteste à 15.000 km (pourvu qu'il n' y ait pas de nouveau 11 septembre !). Que lui importe même un lamentable enlisement qu'il ne percevra qu'à travers des media orientés ? Mais il est clair que telle n'est pas la position d'Israël : non seulement ses ressources ne sont pas illimitées, son armée repose sur la conscription, mais le peuple israélien se trouve dans le voisinage immédiat de ses adversaires ; il ne peut se permettre ni d'alimenter chez eux une haine inexpiable, ni de donner l'impression de l'enlisement.
En voyant l'état-major israélien utiliser des méthodes aussi grossières que celles de l'armée américaine, on a peine à reconnaître l'infaillible intelligence tactique à laquelle Tsahal nous avaient autrefois habitués.
Imprégnation générale
Il faut faire certes dans ces méthodes la part de l'impulsion politique et notamment de celle du premier ministre Ehud Olmert, un civil qui, à la différence de son prédécesseur, avait à faire la démonstration de sa virilité guerrière, ce qui confirme que quand il s'agit de faire la guerre, les civils sont souvent plus dangereux que les militaires.
Mais il faut surtout faire la part de l'imprégnation générale d'une société qui depuis plusieurs années n'a d'autre interlocuteur, d'autre référent que le grand frère d'outre-Atlantique. Cela n'est pas seulement vrai en matière militaire : la manière dont un ultra-libéralisme ravageur mine l'héritage travailliste de la démocratie israélienne, contribuant sans nul doute à y affaiblir le sens de la citoyenneté, se trouve à l'avenant.
Même si le soutien américain lui sera longtemps nécessaire, il se peut que l'avenir de l'État d'Israël, qui passe de toutes les façons par la recherche patiente d'une cohabitation durable avec les autres peuples du Proche-Orient, implique une sérieuse remise en cause de l'influence et des méthodes d'outre-Atlantique.
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