Note du conseil Pontifical Justice et Paix
Article rédigé par Thierry Boutet*, le 27 octobre 2011

Le conseil Pontifical Justice et Paix a rendu public lundi 24 octobre au cours d'une conférence de presse une note intitulée :  Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d'une autorité publique à compétence universelle . Participait à cette présentation le Cardinal Turkson son Président, Mgr Mario Toso et le Professeur Leonardo Becchetti, Professeur d'Economie Politique à l'université de Tor Vergata à Rome.

Nous aurons l'occasion de revenir sur ce document tant en raison des questions qu'il soulève que de l'autorité dont il émane. Avec l'observatoire Cardinal Van-Thuân sur la doctrine sociale de l'Eglise (Vérone), le Centre de réflexion sociale catholique de l'université Saint-Paul d'Arequipa (Pérou), la Fondation Paul-VI (Madrid), nous avons publié pour la France les deux premiers rapports annuels sur la doctrine sociale de l'Eglise dans le Monde (Liberté Politique N° 20 et 51). Ce travail préfacé par Mgr Rino Fisichella, Président du Conseil Pontifical pour la nouvelle évangélisation, a été commenté et présenté sur le site Librertepolitique.com par Mgr Crepaldi, ancien président de l'observatoire Van thuan et Secrétaire du Conseil Pontifical Justice et Paix.

C'est la raison pour laquelle nous attachons beaucoup d'importance aux travaux du Conseil Pontifical justice et paix. Cette commission fondée par Paul VI est devenue en 1988 l'un des douze conseils de la Curie romaine. Le paragraphe 1 de la constitution apostolique Pastor Bonus qui le crée le 28 juin 1988 indique dans son paragraphe 1 que le conseil   approfondit la doctrine sociale de l'Eglise, faisant en sorte qu'elle soit largement diffusée et mise en pratique par les individus et les communautés, en particulier en ce qui concerne les relations entre ouvriers et employeurs, relations qui doivent être imprégnées toujours davantage de l'esprit de l'Evangile

Dans un registre plus technique que strictement doctrinal, la note qu'il vient de publier ouvre des pistes de recherche, prend position dans des débats légitimement controversés, appelle des discussions. Dans ce but et pour avancer dans la réflexion comme nous y invite le Conseil nous en donnons ci-dessous une présentation résumée et exposons les premières questions et les premiers commentaires des experts de la Fondation que nous avons consultés. S'agissant de réactions données  à chaud , nous assumons leurs réponses mais nous gardons volontairement l'anonymat sur leurs auteurs qui auront à cœur de revenir sur le contenu de cette note ultérieurement ici même. Nous espérons apporter ainsi notre contribution à la recherche que conduit le conseil Pontifical Justice et Paix.

La note d'un peu plus d'une dizaine de pages ne se contente pas d'analyser une situation. Elle n'en reste pas seulement au rappel de grands principes ni même à des orientations générales.

Elle propose des solutions d'ordre technique et politique plus prudentielles que magistérielles et prend partie dans des débats, comme la taxe Tobin, sur lesquels les avis des experts s'opposent.

Dans la préface ses auteurs citent l'esprit de Populorum progressio et mentionnent la réunion du G20 de 2009, ce qui est assez rare dans un texte du magistère ; enfin ils inscrivent leurs propositions pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d'une autorité publique à compétence universelle dans la ligne de l'encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI. Voilà pour les sources principales auxquelles on peut ajouter la constitution pastorale Gaudium et Spes du Concile, l'encyclique Pacem in terris de Jean XXIII et un ou deux autres textes comme la lettre apostolique Octogesima adveniens de Paul VI ou l'encyclique Centesimus annus de Jean Paul II.

L'IDOLÂTRIE DU MARCHE

Cela dit, le texte situe sa réflexion résolument dans une perspective mondiale, mondialiste, diront certains, et commence par un constat qui n'est pas nouveau :  Dans les différentes phases de développement de la crise, on retrouve toujours une combinaison d'erreurs techniques et de responsabilités morales , (n°1).

Et plus loin, il ajoute :  l'importance des facteurs éthiques et culturels ne peut donc pas être négligée ou sous-estimée. En effet, la crise a révélé des attitudes d'égoïsme, de cupidité collective et d'accaparement des biens sur une vaste échelle. Personne ne peut se résigner à voir l'homme vivre comme un loup pour l'homme , selon le concept mis en évidence par Hobbes .

Ce rappel des causes éthiques de la crise auquel on ne peut que souscrire précède une analyse cursive des mécanismes de celle-ci.

Le document pointe une orientation de style libéral – réticente à l'égard des interventions publiques dans les marchés ,  qui dit-elle,  a fait opter pour la faillite d'un institut international important, en pensant ainsi pouvoir limiter la crise et ses effets. Ce qui, hélas, a entraîné la propagation du manque de confiance, qui a induit des changements soudains d'attitudes réclamant des interventions publiques sous différentes formes et de vaste portée (plus de 20 % du produit national) afin de tamponner les effets négatifs qui auraient emporté la totalité du système financier international. . Le coupable serait donc l'idéologie du marché :  Avant tout un libéralisme économique sans règles ni contrôles. Il s'agit d'une idéologie, d'une forme d' apriorisme économique qui prétend tirer de la théorie les lois de fonctionnement du marché et celles dites lois du développement capitaliste, en exacerbant certains aspects. Une idéologie économique qui fixe à priori les lois du fonctionnement du marché et du développement économique sans se confronter à la réalité risque de devenir un instrument subordonné aux intérêts des pays qui jouissent concrètement d'une position avantageuse au plan économique et financier. (N°1)

La critique du libéralisme au sens philosophique (et non de l'économie de marché), n'est pas nouvelle dans les textes du Magistère ; en revanche attribuer les causes de la crise à un trop grand respect des mécanismes du marché est une position discutable même si elle émane d'une autorité de ce niveau. De nombreux économistes et experts, y compris parmi les catholiques, voient au contraire dans la crise une conséquence de la violation des règles du marché par des  autorités   qui loin de le laisser jouer ou de le réguler au sens libéral du terme l'ont perturbé à des fins plus politiques qu'économiques.

Toujours est-il que le Conseil Pontifical Justice et paix met en garde  contre le risque d'idolâtrie du marché qui ignore l'existence des biens qui par leur nature ne sont et ne peuvent être de simples marchandises (n°2) et souhaite promouvoir une  éthique de la solidarité , régulant le marché. Toute la question est comment.

UNE BANQUE MONDIALE

La solution privilégiée par la note du Conseil pontifical Justice et Paix serait dans une  autorité politique mondiale , (n°3) dont elle reconnaît les difficultés et les obstacles à surmonter pour qu'elle puisse voir le jour. Elle n'en trace pas moins les contours et la méthode. Nous citons intégralement ce passage qui est le cœur du message :

 Il s'agit d'un processus complexe et délicat. Une telle Autorité supranationale doit en effet être structurée de façon réaliste et mise en oeuvre progressivement ; elle a pour but de favoriser l'existence de systèmes monétaires et financiers efficients et efficaces, c'est-à-dire de marchés libres et stables, disciplinés par un ordonnancement juridique approprié, fonctionnels au développement durable et au progrès social de tous, et s'inspirant des valeurs de la charité et de la vérité.

Il s'agit d'une Autorité à dimension planétaire, qui ne peut être imposée par la force mais doit être l'expression d'un accord libre et partagé, en plus des exigences permanentes et historiques du bien commun mondial, et non le fruit de contraintes ou de violences. Elle devrait résulter d'un processus de maturation progressive des consciences et des libertés, ainsi que de la conscience de responsabilités toujours croissantes. En conséquence, la confiance réciproque, l'autonomie et la participation ne doivent pas être négligées comme étant des éléments superflus. Le consentement doit impliquer un nombre toujours plus grand de pays adhérant avec conviction, à travers le dialogue sincère qui ne marginalise pas mais met en valeur les opinions minoritaires.

L'Autorité mondiale devrait donc impliquer tous les peuples de façon cohérente, dans une collaboration au sein de laquelle ils sont appelés à contribuer, avec le patrimoine de leurs vertus et de leurs civilisations.

La constitution d'une Autorité politique mondiale devrait être précédée d'une phase préliminaire de concertation, dont émergera une institution légitimée, apte à offrir un guide efficace et à permettre en même temps à chaque pays d'exprimer et de poursuivre son bien propre.

L'exercice d'une telle Autorité placée au service du bien de tous et de chacun sera obligatoirement super partes, c'est-à-dire au-dessus de toutes les visions partielles et de chaque bien particulier, en vue de la réalisation du bien commun. Ses décisions ne devront pas être le résultat de la toute-puissance des pays plus développés sur les pays plus faibles. Elles devront, au contraire, être assumées dans l'intérêt de tous et pas seulement à l'avantage de certains groupes, que ceux-ci soient formés de lobbies privés ou de gouvernements nationaux.

Par ailleurs, une Institution supranationale, expression d'une communauté des nations , ne pourra exister longtemps si, au plan des cultures, des ressources matérielles et immatérielles, des conditions historiques et géographiques, les diversités des pays ne seront pas reconnues ou pleinement respectées. L'absence d'un consensus convaincu, alimenté par une communion morale permanente de la communauté mondiale, affaiblirait l'efficacité de l'Autorité correspondante.

Ce qui est valable au niveau national l'est aussi au niveau mondial. La personne n'est pas faite pour servir l'Autorité sans condition, cette dernière ayant pour tâche de se mettre à son service, en cohérence avec la valeur prééminente de la dignité de l'homme. De même, les gouvernements ne doivent pas servir l'Autorité mondiale inconditionnellement. C'est plutôt celle-ci qui doit se placer au service des différents pays membres, selon le principe de subsidiarité, en créant, entre autres, les conditions socio-économiques, politiques et juridiques indispensables aussi à l'existence de marchés efficients et efficaces, parce que superprotégés par des politiques nationales paternalistes, et parce que n'étant pas affaiblis par les déficits systématiques des finances publiques et des produits nationaux qui, en fait, empêchent les marchés eux mêmes d'opérer dans un contexte mondial en tant qu'institutions ouvertes et concurrentielles. (n°3)

Il s'agit d'un projet grandiose, ambitieux, presque utopique, dont l'échéance est manifestement lointaine si l'on s'en tient aux conditions préalables que la note évoque.  Dans le parcours pour constituer une Autorité politique mondiale, il est impossible de séparer les questions de la gouvernance (c'est-à-dire d'un système de simple coordination horizontale sans une Autorité super partes) d'avec celles d'un shared government (c'est-à-dire d'un système qui, en plus de la coordination horizontale, instaure une Autorité super partes) fonctionnel et proportionnel au développement progressif d'une société politique mondiale. La constitution d'une Autorité politique mondiale ne peut être réalisée si le multilatéralisme n'est pas d'abord pratiqué, non seulement au niveau diplomatique, mais aussi et surtout dans le cadre des programmes pour le développement durable et pour la paix.

On ne peut parvenir à l'instauration d'un Gouvernement mondial si ce n'est en donnant une expression politique à des interdépendances et des coopérations préexistantes.

Il s'agit donc bien, même dans le respect du principe de subsidiarité, dont la mention est ici assez théorique, d'une marche vers un  gouvernement mondial et qui doit s'appliquer en premier lieu à la réforme du système financier et monétaire mondial.

 On voit, sur le fond, se dessiner en perspective l'exigence d'un organisme assurant les fonctions d'une sorte de Banque centrale mondiale règlementant le flux et le système des échanges monétaires, à la manière des Banques centrales nationales .(n°4).

A terme cette banque centrale mondiale aurait à moraliser la finance par des mesures telles que :

  • la  taxation des transactions financières ,
  • la  recapitalisation des banques par des fonds publics en mettant comme condition à ce soutien un comportement vertueux et finalisé à développer l'économie réelle
  • la séparation des activités bancaires des marchés financiers.

Le texte du Conseil n'en énumère pas d'autres et l'on peut penser que ceux-ci sont donnés à titre d'exemples.

Enfin la note conclut dans un style assez hégélien sur le dépassement des Etats.  L'ordre international décrit comme  westpahlien  devrait selon la logique des contractualistes du XVIIIème siècle dont la note manifestement s'inspire dépasser cet  état de nature qui les voit luttant entre eux pour s'orienter vers  un nouvel état de droit au niveau supra national (p11).

Une construction à opérer dans un esprit de pentecôte et non dans l'esprit de Babel rappelle l'ultime paragraphe.

QUESTIONS ET VOIES DE RECHERCHE

Or c'est bien là que le bât blesse et pose des questions politiques tout autant qu'économiques.

Comme le bon grain et l'ivraie, l'esprit de Babel côtoie, en effet, en ce monde l'esprit de pentecôte ; tantôt l'un semble plus apparemment à l'œuvre que l'autre, mais  qui garantira aux  citoyens du monde que nous seront devenus que l'autorité mondiale ainsi créée aura plus de vertu que la FED ou le FMI, voire l'ONU dont on décrie si facilement l'esprit de Babel ?

Est-il possible de dénoncer à la fois, les technostructures, le déficit de politique, le manque de démocratie et espérer que le monde sera mieux régi par une autorité centrale disposant d'immenses organismes universels et de fonctionnaires nommés par d'autres administrations coupées de leurs territoires, en toute opacité démocratique, pour faire appliquer des mesures décidées par d'autres délégués d'un bout à l'autre de la planète ? Pourquoi ces organismes ne deviendraient-ils pas d'immenses nomenklaturas voire des KGB mondiaux ?

Depuis deux cents ans - et en dépit ou à cause des progrès de la démocratie-, le pouvoir des Etats n'a cessé de croître, comme le décrivait déjà Bertrand de Jouvenel il y a plus d'un demi siècle, tandis que le principe de subsidiarité n'a pas cessé d'être piétiné. Comment est-il possible d'imaginer qu'une autorité publique universelle, à supposer qu'elle ait des vertus, n'aura pas les mêmes défauts, en plus grands, que nos Etats nationaux sans parler des institutions internationales actuelles ?

De ce point de vue la note du conseil pontifical Justice et Paix, a le mérite de rouvrir le débat politique sur la gouvernance mondiale.

L'un des experts proche de l'AFSP que nous avons contacté n'hésite pas à écrire que dans la note,  l'essai de conciliation de l'autorité supranationale avec le principe de subsidiarité relève de la haute voltige intellectuelle , mais ajoute-t-il  je ne suis pas très convaincu par le résultat. Il me semble même que la faiblesse de l'argumentation montre qu'on ne passe pas le test du respect de ce principe décisif.   C'est en effet gênant pour l'organe de promotion numéro un de la Doctrine Sociale de l'Eglise , commente un  autre qui fait remarquer qu'espérer trouver une solution à la crise actuelle dans une mutualisation toujours plus grandes des problèmes encourage la fuite en avant car bien souvent  la taille du problème s'accroît plus que proportionnellementle temps que le niveau supérieur de décision soit opérationnel, en admettant qu'il soit pertinent .

Pour un des experts de l'AFSP sollicité par le site Liberté Politique, la note exigerait  une analyse précise de la réalité de ces marchés et de ces activités qui aurait pu et dû, après jugement moral, donner lieu à ces orientations . Comme le souligne encore l'un d'eux  :  Doter cette autorité mondiale d'une Banque centrale mondiale devrait appeler une réflexion sur sa gouvernance et plus encore sur le type de monnaie qu'elle émettrait et régulerait (fonction d'une banque centrale) Or la note ne l'évoque pas et proposer comme modèle l'ONU pour construire un organe de régulation financier,  confirme qu'on est dans le rêve. pour l'un de nos correspondants, tandis qu'un  autre écrit :  l'idée de banque centrale mondiale me semble incompréhensible. On voit déjà ce que ça donne à 17 avec la BCE et l'euro

Quant aux mesures économiques concrètes proposées par la note : taxation des transactions, capitalisation des banques et séparation des activités bancaires, pour tous nos experts il s'agit de mesures à caractères techniques dont le choix et la  mise en oeuvre sous une forme ou sous une autre ne correspond pas aux préoccupations éthiques de la note et ne relèvent pas de l'enseignement du Magistère.

Plus encore que pour ses aspects politiques, le texte du Conseil Pontifical aborde en effet des questions très pratico pratiques et prudentielles avec le risque d'être critiqué sur un terrain qui n'est plus le sien.

Ainsi l'un des économistes qui suit nos travaux, m'adresse ce mot :  La capitalisation des banques est traitée déjà par Bâle 3. La séparation des activités n'est proposée à ce stade qu'au Royaume-Uni et pose de nombreuses questions; son effet le plus direct serait la domination totale des banques américaines (qui ne l'appliquent plus) sur les marchés. De même pour la taxe (par ailleurs plus compréhensible dans le contexte) : elle est techniquement bien plus difficile à mettre au point et appliquer qu'on ne le dit .  Et un autre, plus sévère, écrit :  Il ne suffit pas de rappeler les encycliques des derniers papes pour trouver des solutions toutes faites, la taxe Tobin...

Faut-il alors  oublier ce texte comme le suggère un dernier correspondant, le revêtir du manteau de Noé ?

Certes, il ne s'agit pas d'un texte du Magistère au sens strict. Il faut rappeler que ce que l'Eglise appelle sa  doctrine sociale  ne comporte que des documents du Magistère le plus élevé, c'est-à-dire des encycliques ou des documents revêtus explicitement d'une autorité particulière. A strictement parler, même des documents comme les discours radiophoniques de Pie XII qui matériellement abordent des questions de  doctrine sociale , ne font pas formellement partie de son corpus.

Le texte du Conseil Pontifical Justice et Paix qui nous est aujourd'hui soumis doit donc être reçu avec l'attention qui convient, comme une contribution intéressante d'un dicastère romain. Il ouvre un débat à la fois sur la nature des interventions de l'Eglise, des lectures qui peuvent être faites des dernières encycliques sociales mais aussi sur la pertinence ou les limites des solutions proposées. Il faut s'en réjouir. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

 

 

 

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