Le tintamarre complaisant autour de la sortie du livre d'Élisabeth Badinter sur le conflit entre la femme et la mère est très instructif sur l'état du féminisme aujourd'hui [1]. Mais l'adoption d'une résolution européenne par les députés français, le 23 février, pour aligner le droit des femmes françaises sur les législations européennes les plus progressistes, est autrement plus grave.

Mardi dernier, les députés français ont adopté à une large majorité une proposition de résolution visant à promouvoir l'harmonisation des législations européennes applicables aux droits des femmes . Ce titre modifié par un amendement de l'UMP remplace suivant le principe de la clause de l'européenne la plus favorisée . Sept parlementaires seulement ont voté contre : MM. Alain Marty, Etienne Pinte, Jean-Frédéric Poisson, Christian Vanneste (UMP), Mme Véronique Besse, MM. Dominique Souchet et François-Xavier Villain (non-inscrits), mais une centaine de députés n'ont pas participé au scrutin.

Pour mieux comprendre, il faut remonter à l'année 2005. Le mouvement Choisir, créé par Simone de Beauvoir et présidé par Gisèle Halimi, avait entrepris une croisade pour faire adopter par l'Union européenne et les États membres une législation fondée sur les droits des femmes les plus progressistes. Il s'agissait de comparer les différentes législations nationales pour obtenir que les droits soi-disant protecteurs de la femme, soient garantis par l'Union européenne et les États membres.
Avec acharnement Gisèle Halimi s'est impliquée jusqu'à cette année 2010 qui doit marquer le succès de sa démarche.
La clause de l'européenne la plus favorisée s'articule autour de plusieurs thèmes :
1- Choisir de donner la vie
Choisir de donner la vie , c'est surtout choisir de ne pas la donner, puisque le but est d'obtenir que l'avortement devienne un droit de la femme .
À ce jour aucun pays européen, aucune instance communautaire ou internationale ne définit l'avortement comme un droit . La France, dans sa loi de 1975 ne remet pas en cause – dans les principes – le respect de tout être humain dès le commencement de la vie , mais autorise la dépénalisation de l'avortement pour des motifs de détresse de la femme. Il est vrai que dans la pratique, le motif de détresse est remplacé par la libre décision de la femme. Si bien que dans l'opinion l'avortement est devenu un droit .
Si les féministes des années soixante-dix, comme Gisèle Halimi ou Élisabeth Badinter, militent pour un droit à l'avortement c'est qu'elles savent que c'est le seul moyen de l'imposer aux États réfractaires, car un droit est opposable aux États dès lors qu'il est reconnu par une instance supranationale (Union européenne, Conseil de l'Europe ou ONU).
Lors du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, plusieurs États, dont la France par la voix de Rama Yade, ont essayé d'obtenir la création de ce nouveau droit, sans succès.
S'il s'agit d'adopter par principe le droit le plus protecteur pour la femme, qui décidera quel est l'État européen le mieux placé en matière d'avortement ? Quel pays sera déclaré le plus protecteur ? Que signifie protéger la femme ? En quoi la durée légale de l'avortement est-elle ou non protectrice de la femme ?
Et si on se posait la question de la législation la plus protectrice pour l'enfant à naître ?
2- La lutte contre la violence faite aux femmes
Nous sommes tous d'accord pour que la violence contre les femmes disparaisse. Mais il faut être bien naïf pour croire qu'un bracelet électronique règlera tous les problèmes. Aucune solution durable ne sera obtenue tant qu'on ne prendra pas la cause à sa source. Comment notre société est-elle arrivée à ce point de violence dans les couples ou chez les jeunes ? Notre société hédoniste et individualiste nous empêche de regarder et d'accueillir l'autre pour ce qu'il est, dans son identité et sa dignité.
La résolution aurait pu aborder un autre aspect de violence totalement oublié : celle de la traite des femmes. Alors qu'en Europe, 300 000 femmes sont vendues pour l'industrie du sexe ou le travail clandestin, aucune mention n'a été présentée pour mettre fin à ce fléau.
Or la France a ratifié la convention de Varsovie du Conseil de l'Europe en juillet 2007. Cette convention prévoit de mettre en œuvre des mesures pour lutter contre la traite des êtres humains, notamment, les enfants et les femmes. Où en est le gouvernement dans cette mise en œuvre ? Quelles sont les mesures en termes de formation, de soins pour ces femmes dont la santé est déplorable, d'accueil pour qu'elle puisse espérer une vie plus digne ?
La santé de la femme ne se réduit pas à la reproduction ou à la sexualité, comme veulent nous le faire croire les féministes radicales.
3- La lutte pour l'égalité homme/femme
Ce thème est régulièrement débattu au Parlement européen. C'est en quelque sorte un ensemble de revendications pour mettre fin à l'oppression des femmes, en niant toute différence entre l'homme et la femme, tout en revendiquant des droits spécifiques.
Ainsi on retrouve aussi bien les inégalités dans le travail que celles dans la vie familiale. Que certaines inégalités demeurent dans le domaine de l'emploi, c'est certain : inégalité salariale, inégalité des retraites.
Transposer ces inégalités dans la famille et le couple montre qu'on ne sait plus sur quoi est fondée l'égalité.
C'est ainsi que les féministes radicales considèrent que la maternité est un frein à la carrière professionnelle des femmes. La Commission des droits de la femme du Parlement européen vient d'adopter une proposition pour allonger le congé de maternité à 20 semaines. Ce texte, soutenu par la gauche, a été jugé excessif par le député européen Philippe Juvin, secrétaire national de l'UMP, qui souligne que l'émancipation des femmes, l'accès à l'égalité réelle femmes-hommes sont les enjeux qui doivent aujourd'hui nous mobiliser. Comme le décrit Mme Badinter dans son dernier ouvrage, Le Conflit, la femme ne peut être vue uniquement par le prisme de la maternité . Et le parlementaire dénonce la gauche qui ré-enferme la femme dans le modèle opprimant de la maternité exclusive . Ladite proposition sera votée au Parlement européen en mars.
Or la France est le pays où la démographie se porte le moins mal en Europe, même si elle peine à renouveler ses générations et où le taux d'emploi est le plus élevé, signe que la dialectique femme au foyer / femme au travail ne fonctionne plus. Les jeunes femmes ne veulent plus être écartelées entre le travail et leur famille. Elles veulent être femme, épouse et mère .
Une féministe des premières heures, Yvonne Knibiehler [2] regrette aujourd'hui que le féminisme initial n'ait pas pris en compte la maternité, car pensait-on, on ne pouvait être femme et mère : Il faut être un sujet femme épanoui et aussi, éventuellement une bonne mère...
Ou encore cette jeune femme, Eliette Abécassis [3], qui analyse les causes du nouvel esclavage des femmes :

Le féminisme radical s'est construit contre l'homme tout en le prenant comme modèle, contre l'ordre établi, contre le féminin et donc contre l'identité profonde de la femme.
Il s'est construit sur le déni de la femme, oubliant que malgré les diverses situations, on observe une constante : la femme enfante et cela fait toute la différence.
Les hommes ne trouvent plus leur place car l'homme a été déconstruit par le féminisme.

Ce débat repose sur l'articulation entre nature et culture : l'homme postmoderne veut être la mesure de toute chose et se construire selon ses propres désirs et s'affranchir ainsi de la nature. Ce qui fait dire à Élisabeth Badinter dans son livre cité que la maternité est une construction sociale.
Avant elle, Judith Butler affirmait que l'homme et la femme sont des constructions sociales ou culturelles [4]. Cependant, les éco-féministes renvoient à une construction tout aussi erronée : l'instinct maternel de la femme ne serait ni plus ni moins que celui de l'animal, c'est-à-dire de la nature non humanisée .
Or si l'homme et la femme se reçoivent d'un donné de nature, d'une transcendance, la culture l'assume sans la renier.
L'égalité de l'homme et de la femme est fondée sur la dignité et les droits dont sont titulaires tous les êtres humains. Leur différence sexuelle ne sont pas une entrave à cette égale dignité, mais un appel à une œuvre commune manifestée d'une manière toute spéciale lorsque enfant paraît et permet d'exercer l'un sa paternité, l'autre sa maternité.
Ces questions nous appartiennent
Ces réalités humaines qui concernent le couple, la famille et le don de la vie, relèvent de la compétence des États. Si bien que l'adoption de la résolution socialiste est une entorse au principe de subsidiarité. Il est inacceptable qu'a priori, un État accepte une législation d'un autre État au motif que la femme serait mieux protégée ou que ses droits seraient mieux garantis, sauf à renier ce qui nous reste de démocratie.
Que nous restera-t-il du congé parental si envié par nos voisins européens ou du bonus des mères de famille au moment de prendre leur retraite, si ces mesures empêchent l'égalité homme/femme ?

La seconde difficulté réside dans la définition de progrès en matière de droits des femmes. Aucun organisme n'est habilité à juger si telle pratique est plus ou moins protectrice de ces droits. Ces questions du vivre ensemble doivent être décidées par le peuple ou ses représentants. Que des parlementaires acceptent volontairement d'être dessaisis de leur responsabilité à dire le droit est tout simplement irresponsable.
Ces questions nous appartiennent et il faut qu'elles le restent !
*Elizabeth Montfort est ancien député européen, présidente de l'Alliance pour un Nouveau Féminisme européen.

Pour en savoir plus :
La proposition socialiste de résolution européenne
La résolution de la commission Femme du Parlement européen sur le congé de maternité
Le résultat du vote des députés

[1] Elisabeth Badinter, Le Conflit, Flammarion, 2010. Lire l'analyse de Tugdual Derville, Élisabeth Badinter, anti-verte de rage, Libertepolitique.com, 12 février 2010.
[2] Yvonne Knibiehler, Qui gardera les enfants ? Mémoire d'une féministe iconoclaste. Calmann-Lévy, 2010.
[3] Eliette Abbécassis, Le Corset invisible, Albin Michel, 2007, p. 16.
[4] Judith Butler, Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion. La Découverte, Paris, 2005.