VT & SR

Quelle est cette tragédie où l’intrigue amoureuse et l’intrigue politique sont étroitement enlacées ? Où l’amour se fait tremplin vers le pouvoir, et où la politique croit imposer sa loi à l’amour ? Amour et politique peuvent-ils jamais se confondre sans former une tragédie ? Ces deux fatalités ennemies ne s’accordent-elles que pour le malheur de leurs victimes ?

On l’a compris : je n’écris pas une introduction au « Bajazet » de Racine ; mais je décris une Valérie Trierweiler qui est ici Roxane, la sultane qui a jeté son dévolu sur un Bajazet-Hollande, aimable mais qui ne peut complètement renoncer à son ancienne amante et lui doit un service que la politique lui impose.

La chronologie est éloquente. Au soir du premier tour, mal engagée pour être élue députée face à Olivier Falorni, ce socialiste dissident et désormais son seul adversaire après le retrait ou la disqualification des autres, Ségolène Royal recherche tous les soutiens possibles, y compris de l’Élysée. En dépit de sa promesse de ne pas interférer avec les élections législatives qui sont du ressort du gouvernement, François Hollande ne peut le refuser à son ancienne compagne. Ce sera un service minimum : « Ségolène Royal est l’unique candidate de la majorité présidentielle qui peut se prévaloir de mon soutien et de mon appui ».

Oui mais, ce faisant, François Hollande s’est affranchi de sa nouvelle compagne, Valérie Trierwieler, qui réagit aussitôt par le « tweet » que l’on sait : « Courage à Olivier Falorni qui n’a pas démérité, qui se bat aux côtés des rochelais depuis tant d’années dans un engagement désintéressé ». Ce n’était ni un faux ni une maladresse. L’occasion était trop belle de « tuer » (politiquement s’entend) sa rivale en frappant le coup de grâce : qu’avait-elle eu besoin de se faire parachuter des Deux-Sèvres à La Rochelle et de clamer d’avance son ambition pour le « perchoir »[1] ? Ambition imprudente quand on est trop faible pour l’assouvir et qu’on est du mauvais côté de l’homme auquel on fait appel. Quant au porte-à-faux où François Hollande se trouve désormais, Valérie Trierwieler est trop intelligente et trop politique pour ne l’avoir pas voulu : il fallait lui rappeler qui l’a fait roi, lui montrer crûment que son appui ne valait rien, et l’obliger à assister à la mort de « l’autre ». Car Ségolène Royal sera probablement battue.

Valérie Trierwieler pourrait reprendre à son compte, de façon très exacte, cette interpellation de Bajazet par Roxane, à la scène 4 du cinquième acte de la pièce de Racine :

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« Ma rivale est ici. Suis-moi sans différer.

Dans les mains des muets, viens la voir expirer.

Et libre d’un amour à ta gloire funeste,

Viens m’engager ta foi : le temps fera le reste.

Ta grâce est à ce prix, si tu veux l’obtenir. »

"

Quand l’amour et la politique se mêlent en désordre au sommet de l’État, la question du statut de la compagne du Président est largement dépassée : on est entré dans le domaine de la tragédie. Ceux qui ne voulaient voir dans Valérie Trierweiler qu’une « first girlfriend » [2] à défaut d’une « first lady » en restent au vaudeville et passent à côté de la vérité humaine. Racine connaît mieux le cœur des femmes que Labiche. Lorsque les passions humaines ne sont plus canalisées par la morale et les institutions, ne reste que la violence qui finit toujours par tuer.

On avait failli en arriver là avec le déchirement du couple de Nicolas Sarkozy au lendemain de sa prise de fonction. Ceux qui ont organisé sa rencontre avec Carla Bruni avaient compris que seul le mariage, fût-il arrangé, stabilise un homme pourvu que, à ce niveau et compte tenu des exigences de la fonction, la nouvelle épouse ait du métier. L’actuel couple présidentiel, dans sa modernité cyniquement assumée, tout en se croyant libre, est plutôt asservi à une dépendance autrement redoutable, celle des passions, passion amoureuse et passion du pouvoir mêlées. Dans cet emmêlement, on vient de voir où est la main de fer ; et de comprendre qu’elle ne sera pas toujours gantée de velours. Jusqu’à ce que la tragédie l’emporte elle aussi.

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[1] C'est-à-dire la présidence de l’Assemblée nationale qu’elle considère comme un dû en raison de son statut politique.

[2] L’expression a été inventée par les journalistes américains embarrassés pour la qualifier lors du premier voyage du « couple » présidentiel aux États-Unis.