Article rédigé par Thierry Boutet, le 23 mars 2004
Vladimir Poutine n'est sans doute pas un grand démocrate et la Russie n'est pas encore heureuse. Mais le peuple russe est raisonnable et Poutine est sans doute le plus grand chef d'État russe depuis la révolution d'octobre.
Le chemin parcouru depuis qu'il a pris –fermement - les reines du pouvoir est impressionnant et explique pour une bonne part un succès électoral " démocratiquement contrôlé ".
Pour toute une classe moyenne, la vie, au moins dans les grandes villes, est redevenue agréable. Pour beaucoup de ces nouveaux bourgeois, " la Russie est un pays malade, mais elle a un médecin, le pouvoir en place ". Que les Russes aiment ou non leur médecin est une autre question. Ils le supportent. C'est tout ce que Poutine leur demande car le malade est loin d'être guéri.
Quand on parcourt le pays, le " mal russe " apparaît dans toute son étendue. Les routes y sont défoncées, les infrastructures dans un état pitoyable et des zones entières demeurent dans un état de misère et d'abandon digne des pires pays sous développés. Mais l'État, grâce au pétrole, enregistre de larges excédents et la croissance est là. La production repart, les salaires augmentent - un peu - et la misère recule ; surtout l'État semble partout plus fort.
Sur le terrain politico économique Poutine a su affronter les oligarques et remporter des victoires habilement médiatisées. Est-ce à dire que la corruption a cessé et que le pouvoir des hommes d'affaires enrichis par l'achat d'actifs à bon marché est passé ? Évidement non, mais le rapport de force n'est plus le même. Quant à la sécurité, elle tend à revenir. La Russie n'est certes pas encore un État de droit au sens où nous l'entendons : à Samara dans l'ex-fief de l'armement soviétique, en pleine reprise économique, un entrepreneur qui voulait reprendre le contrôle d'une usine a été tiré comme un lapin par un sniper juché sur un toit...Mais ce genre d'actions devient plus rare !
Mikaïl Fradkov, le Premier ministre que Vladimir Poutine a nommé avant même le résultat des élections, est un pur produit de la nomenklatura et des écoles du KGB dont Poutine sort lui-même. Homme de l'ombre et de l'appareil, il est représentatif de ce lobby militaro-policier qui forme la nouvelle aristocratie russe. Grâce à Poutine, celle-ci a conquis les cercles du pouvoir. Elle contrôle la plupart des provinces, et a rapidement mis au pas la presse, chassé de la Douma ceux qui s'opposaient à elle et commencé de soumettre les oligarques ces " barons voleurs " que le peuple russe déteste plus encore que ces anciens kgébistes. Libéré de toute tutelle idéologique la nouvelle classe dirigeante a aujourd'hui les mains libres pour se consacrer aux grand rêve d'expansion qui n'ont cessé de hanter les cercles du pouvoir russe depuis Pierre le Grand.
Le second mandat de Vladimir Poutine, en principe le dernier selon la Constitution, (mais le sera t-il ? ), risque donc d'être celui d'un encadrement de plus en plus étroit de la vie publique. La démocratie telle que nous la concevons en fera sans doute les frais, mais aussi les anciennes provinces de l'ex-empire soviétique qui subiront la pression de Moscou.
Tout se passe comme si les 80 ans de communisme n'avaient été qu'une parenthèse. Le nouveau tsar Vladimir reconstitue l'organisation qui caractérise depuis toujours la société russe : un pouvoir fort soutenu par une Église inféodée, une classe de riches et un peuple de moujiks habitués à souffrir et à courber la tête.
Ets-ce à dire que l'Europe occidentale doit se détourner d'un pays qui ressemble si peu à son modèle de la démocratie ? Huit des anciens satellites soviétiques vont, le 1er mai prochain, entrer dans l'Union. Leur méfiance à l'égard de Moscou est compréhensible et l'Europe aurait tout intérêt à leur donner des garanties de sécurités très fortes. Sans ces garanties ils regarderont vers Washington plutôt que vers Bruxelles. Mais ce serait sans doute aussi une grave erreur de marginaliser Moscou. La Russie mettra cinquante ans à redevenir une puissance de premier plan. Mais elle le redeviendra. Le peuple russe est un grand peuple, et sa vieille culture qui renaît des cendres de l'époque soviétique n'est pas un handicap, bien au contraire.
Si nous voulons que l'Europe respire à deux poumons, comme le souhaite le Saint Père, cela passe par une alliance constructive avec la Russie.
La réconciliation entre l'Allemagne, la France et les peuples de l'Europe occidentale a été la grande œuvre de la diplomatie européenne durant la seconde moitié du XXe siècle. Il serait souhaitable que cette réconciliation gagne l'Est du continent. Les contentieux sont multiples et sans doute plus profonds, mais l'Europe se fera pas dans la paix que si, de l'Atlantique à l'Oural, l'ensemble des nations européennes forme une vaste alliance continentale. Et, c'est aussi pour elles le plus sur moyen de subsister, avec leurs génies et leurs cultures propres, face au nouvel empire américain.
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