Article rédigé par Bertrand de Belval*, le 12 avril 2007
Le procès de l'assassin présumé de la petite Jeanne-Marie et de Julie, s'est ouvert ce mardi 10 avril, pour de longues semaines. Si la justice sera positivement rendue à l'issue de ce qui va sans aucun doute être une épreuve indicible pour les familles et les proches des victimes, elle ne pourra pas combler le vide créé par ces meurtres.
Les premières impressions d'audiences font déjà ressortir l'atroce barbarie des faits – l'addition des mots n'étant même pas assez forte pour décrire la réalité.
Ce procès coïncide avec la fin de la campagne présidentielle. Tel un signe du destin ou de la Providence, ce procès vient alors que les questions de justice n'ont pas été au cœur des projets de candidats. Il n'est pas exagéré de dire que la justice a même été absente du débat. Outreau est déjà loin...
Retour à la vraie vie
La campagne électorale a permis de diffuser des messages à des clientèles diverses et variées en promettant aux uns et aux autres un avoir meilleur. Or ce procès va nous ramener au point de départ de la politique, à la vie dans sa simplicité la plus absolue. Au départ en effet, il s'agit de pouvoir vivre, d'être reconnu en tant qu'être, libre de vivre, humblement. Pour un enfant, vivre, c'est faire du vélo, jouer de la musique, s'amuser avec ses amis, entourer ses parents, frères et sœurs, etc. Pour des parents, c'est voir ses enfants grandir physiquement et moralement, etc. Dans un État, vivre, c'est rencontrer l'autre, ici ou là, à la boulangerie, sur le terrain de sport...
Bref, vivre, c'est voir en chacun une personne à la fois singulière et donc différente, mais surtout unique. Ce visage face à moi n'est pas le néant. Ce fut, par exemple, Jeanne-Marie. Qui n'est plus, là, en chair et en os, alors que son visage demeure celui de l'innocence.
Tout chef de l'État que sera le candidat élu, il demeurera un alter ego en humanité.
Durant cette campagne, nous aurions aimé une présence forte, des personnalités qui témoignent un ancrage dans cette humanité qui est la terre glaise de notre quotidien. Il ne suffit de prétendre incarner une nation, il faut d'abord incarner l'homme intégral pour reprendre une expression de Maritain souvent citée ces derniers temps par le Saint-Père.
Il ne suffit pas d'invoquer une conscience, il importe de puiser au cœur de cette conscience de l'être, dans ce silence intérieur qui arrime au mystère de la vie. Nous avons eu des discours, des petites phrases, etc., mais le supplément d'âme n'a pas pu émerger. Les postures paraissent convenues, il s'agit de plaire. Sans aucun doute. Mais est-ce suffisant ? Ne convient-il pas aussi d'émouvoir, au sens le plus profond, c'est-à-dire de toucher le cœur de chacun, de susciter une authentique charité qui n'est rien d'autre que la manifestation du service ?
Force est de constater que la quête du pouvoir semble plus importante que la volonté de servir, de se mettre en position non pas d'être servi, mais réellement de servir. Mère Térésa disait que les hommes politiques ne se mettent pas assez souvent à genoux. Comme pour les bonnes œuvres , il est plus facile de donner quelques pièces que de donner de sa personne, voire sa personne.
C'est pourquoi, le procès qui s'ouvre à Strasbourg au cours duquel sera examiné la vraie vie , dans ce qu'elle a de plus cru, est de nature à ramener le débat à l'essentiel : qu'est-ce que la vie ? pourquoi n'a-t-on pas le droit d'ôter la vie ? comment est-ce possible de nier l'autre, un enfant ? comment faire pour endiguer ce mal ?...
Retour à la personne
Au fond, tout converge vers un principe : reconnaître la personne comme sacrée. Plus précisément, comme disait Jean Vanier, toute personne est une histoire sacrée .
Loin des discours techniques, nous voudrions plaider pour ce qui nous paraît la condition sine qua non de la politique : commençons par respecter l'homme en tant qu'homme. Le reste est accessoire : si le fondement de la politique n'est pas reconnu, ce qui en constitue la base, le référentiel, la priméité, alors il ne faut pas s'étonner de voir ce qui se passe, dans le registre de l'horreur quand les victimes s'appellent Jeanne-Marie, Julie, et malheureusement tant d'autres. Quand le ver est dans le fruit, il est hypocrite de s'étonner qu'il soit pourri à l'intérieur, alors que son apparence semblait belle.
Il faut espérer que ce procès suscite un retournement des esprits tel que chacun pourra se sentir concerné. Que chacun puisse devenir un objecteur à la négation de la personne. Comme disait Brecht au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, si l'écho de leur voix faiblit, alors nous périront .
Après l'élection, après le procès, on ne manquera pas souligner que la vie continue . Cette expression, pour réaliste et pertinente qu'elle soit, nous est insupportable. Il faut que rien ne soit plus jamais comme avant. Pour cela, que la voix des avocats, des électeurs portent, et qu'ils défendent toute personne contre les négations, certaines terriblement visibles, d'autres plus voilées et insidieuses. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Il se pourrait — espérons — que loin d'être un aboutissement de la politique, l'élection présidentielle, réveillée par le procès de Strasbourg soit le réveil de nos consciences raffermies.
Les martyrs, les chrétiens le savent, sont, bien malgré eux, la seule force du changement, car ils opposent la vérité à la brutalité.
Et à l'heure où s'ouvre le procès de Strasbourg, une jeune femme vient de disparaître à Nantes dans ces conditions qui laissent entrevoir le pire.
Quand cela s'arrêtera-t-il ?
*Bertrand de Belval est avocat.
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