Qui doit noter les professeurs ?
Article rédigé par Hélène Bodenez*, le 22 février 2008

En février 2008, à la faveur de la polémique de note2be.com, Hélène Bodenez avait écrit une note que nous remettons dans Décryptage cette semaine. La grève des enseignants jeudi dernier a propulsé à nouveau la délicate question de l'évaluation des professeurs sur le devant de la scène. Loin de remettre en cause l'utilité des syndicats comme par exemple dans le dossier du repos dominical, Hélène Bodenez avait à l'époque pris position pour une évaluation par le chef d'établissement. Il va sans dire que cela allait de pair avec l'obtention de concours qui avaient au préalable sanctionné l'expertise des professeurs, concours aujourd'hui plus que mis à mal.

À l'heure où les syndicats omnipotents informent les professeurs par un billet laconique de leur éventuel avancement et de ces notations administratives des chefs d'établissement qui ne pourront changer rien à rien, il est intéressant de voir surgir sur l'Internet note2be.com, un site de notation des professeurs par les élèves. Il serait dommage de ne pas faire un rapprochement entre les deux événements : une notation officielle vide de sens où l'on avance au dixième de point et le site d'un jury sauvage prétendu pertinent. Parallèlement aux commissions paritaires entre les syndicats et l'Éducation nationale où sont donnés les avancements, dont le fonctionnement ne laisse pas d'interroger (même les non-syndiqués sont informés de leur sort par les syndicats !), pousse, telle une excroissance maligne, une initiative sauvageonne et virtuelle aussi subjective que grégaire qui entend explicitement prendre le pouvoir.

Dans la présentation de ce projet à la presse, les co-fondateurs du site essaient ensuite d'atténuer ce que peut avoir d'anarchique un tel slogan, mais rien ne pourra masquer l'insurrection affichée en cours : il s'agit de liquider ce qui reste encore d'autorité. Et qu'on ne m'objecte pas que tout cela est bon ; Google fait déjà état de liens injurieux typiques des commentaires de bloggeurs insanes, salaire d'une indiscipline généralisée, délocalisée de façon permanente (orthographe d'origine) :

Qui ne sait jamais dit : Quel conn*rd ce prof ;  c'est quoi ce devoir de m*rde ! L'heure de la vengeance à sonné ; ridiculise ton prof sur Not2be.com ! Fais-lui subir la pression du rendage de note (si, si, çà se dit) et inflige un bon et gros 0 (moi sadique ?!). Bien sûr, c'est à toi souvent d'inscrire le nom du prof si tes potes ne l'ont pas fait. Même si dans le fond çà ne sert pas à grand-chose, je ne peux pas décrire le bonheur que çà fait de saquer ces profs et de mettre comme appréciation : devrait se commander un cerveau pour noël ou encore le bon et vieux rageant : peut mieux faire (je le déteste celui là). Bon défouloir ! P.S : Ag***** tu va morfler!!!!! (sic).

Ainsi ouvre-t-on plus grand encore et toujours la boîte de Pandore laissant échapper le mal qui gangrène l'école. Les justifications les plus positives ne sauront faire prendre pour une avancée ce qui relève de la manipulation en plein débat sur l'école. Le site note2be.com pourra bien se dédouaner et se cacher derrière les conclusions du Rapport Attali qui aurait initié cette idée (décision 5) : « L'évaluation des professeurs ne peut pas reposer uniquement sur les notes qu'obtiennent leurs meilleurs élèves ni sur l'examen d'inspecteurs [...]. Elle doit aussi reposer sur une évaluation de leur pédagogie par leurs élèves... ». Il n'en reste pas moins coupable d'amalgame : ce cinquième point concernait d'abord l'évaluation des professeurs de l'enseignement supérieur, pas de ceux de l'enseignement primaire ou secondaire.

Les maîtres de leurs maîtres

note2be.com prétend d'abord améliore[r] les relations entre professeurs et élèves. On ne peut qu'ouvrir des yeux ronds face à une telle affirmation : comment le slogan « Note tes profs, prends le pouvoir » pourrait-il illustrer ce que l'équipe annonce, un site n'opposant pas les élèves et les professeurs ? La base égalitaire, revendiquée ensuite pour les élèves, n'annonce pas non plus grand-chose de bon. Elle sonne purement et simplement la fin de l'éducation. Plus d'autorité, plus d'éducation. Plus d'autorité dans la famille, plus d'autorité à l'école.

Il est donc fini le temps de l'éducation fondé sur le différentiel d'âge, de savoir, de compétences, de sagesse. Les élèves deviennent les maîtres de leurs maîtres. Et les professeurs, à qui les adultes évoluant dans des milieux professionnels peut-être plus brillants et surtout plus lucratifs reprochent tant d'être restés toute leur vie à l'école, devraient donc obtempérer, sans mot dire, infantilisés par leurs élèves. Pourtant l'urgence devrait être plus que jamais à une alliance forte des parents et des professeurs ainsi que l'appelle de ses vœux le pédopsychiatre Marcel Rufo dans un article du JDD (3 février 2008) : « je pense que le métier des parents, une fois pour toutes, consiste à imposer le respect des profs à leurs enfants. »

Comment ne pas voir dans le site note2be.com, qui revendiquera une fois encore la liberté d'expression au nom des droits de l'enfant, un blanc seing donné à des pratiques de déstabilisation accentuant l'indiscipline, fléau d'une école faible ?

Je note par exemple qu'un des noms épinglés sur le site est celui d'un professeur parti à la retraite depuis deux ans. Qui peut décemment croire qu'il s'agit, dès lors, d'une œuvre de vérité constructive quand les élèves qui écrivent sont protégés par un anonymat complet, qu'il y a possibilité de modifier l'identité d'un professeur (dans le forum certains demandent déjà comment l'on fait pour corriger les erreurs), possibilité de voter plusieurs fois sous diverses adresses, possibilité de voter sans même être élève du professeur noté, sans le connaître, ainsi que le fait savoir le site contrenote2be.com? Quelle autre profession doit vivre une évaluation publique, anonyme, par une autre voie que la voie hiérarchique ?

Il n'y aurait, nous dit-on toujours, que des critères de notation strictement liés à la pédagogie : aucun jugement de valeur sur les professeurs, mais une appréciation fine de leurs qualités professionnelles. Comment les élèves pourraient-ils en prendre la juste mesure ?

La note, publique, attribuée à un enseignant par un élève répondrait, nous affirme-t-on encore, aux critères suivants :

Intéressant : le professeur est-il intéressant ? Ses cours sont-ils vivants ? Fait-il participer la classe ?

Clair : est-il clair dans ses exposés, dans ses explications, dans son expression ?

Disponible : est-il présent en cours ? Est-il attentif aux élèves ? Est-il disponible en cas de problèmes ? Est-il disponible en dehors des cours.

Équitable : paraît-il juste avec les élèves ? Ses notes te semblent-elles justes ?

Respecté : a-t-il de l'autorité ? Fait-il respecter la discipline ?

Motivé : est-il motivé par son métier ? Est-il enthousiaste sur les sujets qu'il enseigne ? Sous des dehors objectifs, on repère sans mal dans toutes ces questions toute la marge de subjectivité qu'un jeune esprit en formation, peut-être même en difficulté, aura bien du mal à maîtriser.

Que des adultes, des parents, des chefs d'établissement ne voient pas l'urgence d'intervenir dans cette affaire pour protéger l'autorité, essentielle dans toute éducation, est proprement stupéfiant. Qu'on nous permette d'être sceptiques devant l'opinion d'Isabelle Hannart (SOS-Education), selon laquelle les bons professeurs n'ont rien à craindre de note2be.com : tous les principes peuvent-ils être bafoués au nom d'une libéralisation réelle de l'école ? La publicité n'a-t-elle pas fait d'ailleurs son entrée depuis quelques jours sur le site ? Je ne suis pas loin de penser, en outre, que la mesure de l'indiscipline des établissements sera palpable au nombre de votes d'élèves. En cela il y aura quelque chose d'intéressant à analyser. Certains établissements ne comptent toujours à cette heure aucun vote : seraient-ce des établissements un peu plus tenus ?

Les exigences de l'autorité

On mesure mal combien de tels sites, comme les blogs, sapent la motivation des professeurs, et les atteignent, eux qui ont tant besoin de force et de dynamisme dans la relation si particulière au groupe. C’est un aspect qu'on oublie trop souvent de l'autorité. Le professeur n'est pas toujours en relation personnelle stricte : il doit faire face au groupe qui a sa logique différente de celle de l'individu reçu seul dans un bureau, par exemple. La relation au groupe est usante, et demande une énergie de tous les instants. On ne parle pas à un groupe comme à une personne seule. À une énergie aussi essentielle dans ce métier, il ne faut pas toucher : y toucher c'est fracturer la motivation, mère de toute action et de toute efficacité.

Avec note2be.com, on voudrait achever les professeurs qu'on ne s'y prendrait pas autrement. En tout cas, ce n'est pas ainsi qu'on éveillera de nouvelles vocations. Ce n'est pas avec cet esprit de putsch qu'on fera advenir le mérite que beaucoup espèrent voir évalué à sa juste hauteur.

Qui doit, en fin de compte, évaluer et faire avancer les professeurs ? ni les élèves, ni davantage les syndicats. Et si la solution à opposer pour une notation vraie des professeurs n'était pas toute simple : une liberté plus grande, dans ce domaine très précis de l'avancement comme dans bien d'autres, laissée aux chefs d'établissement, plus qu'aux syndicats, dont tout le monde sait le pouvoir aussi exorbitant qu'intéressé.

 

*Professeur à Saint-Louis de Gonzague, Paris.