Article rédigé par Michel Gitton*, le 08 avril 2005
Les images, chaque jour plus frappantes, plus émouvantes, qui nous parviennent de Rome et du monde entier attestent l'étonnant impact de ce pape polonais, qu'on avait cru au départ si décalé par rapport aux attentes du monde d'aujourd'hui.
Beaucoup de choses ont été dites déjà sur les raisons de cet extraordinaire respect qui enveloppe à présent le souvenir du pape Jean-Paul II. Son rôle providentiel au moment où le monde sortait de la guerre froide, son engagement courageux pour les droits des minorités et des cultures, son ouverture à Israël, ses rappels de la dignité de l'amour humain, et tant d'autres choses suffiraient sans doute à faire de lui une des figures marquantes du XXe siècle. Mais je ne suis pas sûr que ce soit là la raison profonde de l'attachement que lui vouent tant d'hommes et de femmes si différents par la culture, la nationalité ou l'âge.
Ce qu'en lui beaucoup ont trouvé, pour la première fois peut-être, c'est un père. Quelqu'un qui n'avait pas à se justifier d'intervenir dans la vie des individus et des peuples, quelqu'un qui n'avait pas à se demander si son message passait, tout simplement parce que Dieu l'avait envoyé pour cela : aider cette pauvre humanité à échapper à ses démons et à développer les possibilités qui sommeillent en elle, et qu'il le faisait de tout son cœur, jusqu'à la limite de ses forces. Il suffit de relire n'importe lequel de ses textes - et Dieu sait qu'il en a écrit et prononcé ! -, pour voir cette manière de parler franche, directe, qui suppose un interlocuteur que l'on respecte, mais à qui on veut apporter une lumière, un encouragement, un avertissement. Nulle crainte apparente, nul complexe, pas de retour sur soi, même s'il y a beaucoup d'humilité finalement dans cette manière d'aborder les autres.
La paternité de Jean-Paul II a été tout de suite ressentie par les jeunes, ceux qui ont le plus souffert de l'effacement de toute vraie paternité dans le contexte du monde occidental des années d'après 68. L'ami exigeant qu'il prétendait être a tout de suite trouvé le chemin de leur cœur. Pourtant nul moins que lui n'a pratiqué la démagogie, les appels étaient directs, mais, en osant proposer un christianisme sans concession et quelquefois héroïque, il savait rejoindre l'élan profond de l'être humain que n'ont pas encore étouffé les scepticismes et les cynismes de la vie. La confiance qu'il faisait à ces milliers de jeunes venus l'entendre était à la mesure de son exigence et les fruits ne sont pas près de disparaître.
Jean-Paul II a su vieillir à la barre de l'Eglise et cela aussi était une leçon : on n'est pas père pour une décennie, on l'est jusqu'au bout ou on ne l'est pas. Malgré l'épreuve qu'ont représentée pour lui le déclin de ses forces physiques et la dégradation de son image extérieure, il a persévéré dans son rôle de père et de grand père. Il n'a pas cédé à la revendication de beaucoup qui, voyant dans l'Église une administration à peine différente des autres, auraient voulu qu'il se retire plus tôt pour laisser la place à un titulaire plus performant. Le risque était grand sans doute, mais la leçon est à la mesure du pari : l'Église est apparue, grâce à son courage, comme ce qu'elle est en vérité : un ensemble de rapports humains, où la gestion des choses n'est qu'une conséquence, nécessaire mais secondaire, alors que compte avant tout ce lien d'homme à homme qui unit tous les membres de la famille de Dieu depuis le pape jusqu'au plus récent des fidèles.
Nous avons perdu un père, mais le propre d'un vrai père, c'est qu'il est source de maturité pour ceux qu'il a élevés ; loin de les étouffer, il leur a fait don de cette force qui l'habite, pour qu'ils soient pères à leur tour. Il est encore trop tôt pour voir comment l'influence de Jean-Paul II a renouvelé les plus hautes instances de l'Église. Mais dans l'expérience du vide immense qu'il laisse, soyons sûrs que l'Esprit Saint veille et, si nous pouvons être certains qu'il n'y aura pas un autre Jean-Paul II, il y aura ceux qu'il a entraînés, éveillés, et conquis pour le Christ, et qui seront les pères de demain.
*Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins. Article à paraître dans France Catholique n° 2972, 14 avril 2005 – www.france-catholique.fr
> De Michel Gitton, lire aussi sa chronique précédente : "Merci Jean-Paul" (Décryptage, 4 avril)
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