Article rédigé par Thierry Boutet, le 28 juillet 2004
L'Assemblée a réformé sans surprise après quinze jours de débat le pilotage de l'ensemble du système d’assurance-maladie. La gauche et l’UDF, opposées au volet financier du texte, y ont vu l'amorce d'une privatisation du système de santé.
Au cœur de cette réforme figure la création de l'UNCAM, qui aura pour mission de coordonner l'action des différentes caisses d'assurance maladie. Mais les questions de fond demeurent. Sur quels critères fonder une politique de santé publique ? Derrière les impératifs comptables, comment changer les comportements ? Ce sera le thème du colloque proposé par la Fondation de service politique au Sénat, le 27 septembre prochain.
QUELLES QUE SOIENT NOS RETICENCES, nous allons devoir apprendre à distinguer l’augmentation de la consommation médicale des français, l’accroissement des dépenses de santé publique, l’explosion du déficit de l’assurance maladie. Sans quoi, notre système de santé - qui perd 14 milliard par an – explosera, malgré les nouvelles mesures de gouvernance adoptées.
La consommation médicale, toutes catégories confondues, augmente. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle. Engels le soulignait déjà au XIXe siècle : plus un pays se développe, plus les dépenses primaires (nourriture, logement) ont tendance à décroître relativement aux dépenses qui améliorent la qualité de vie. Sur les quarante dernières années, les dépenses de santé sont ainsi passées en France de 3,5% du PIB en 1960 à 10%. Dans le même temps l’espérance de vie passe de 73,6 ans à 82 ans ; 7 pour les femmes et de 67 à 75, 2 pour les hommes. Qui se plaint que l’on vive mieux et plus vieux ? Un enfant naissant en 2004 a une chance sur deux de fêter le XXIIe siècle. Or statistiquement, sur l’ensemble d’une vie, 80% des dépenses se font dans la dernière année d’existence.
Un signe de développement économique et sociale
Que les Français dépensent plus pour leur santé n’est pas, en soi, une catastrophe. Au début du siècle les dépenses de transport ou de loisir étaient très faibles dans la consommation des ménages. Personne ne regrette qu’elles aient augmentées. Cette augmentation est créatrice de richesse. La part de l’industrie automobile dans le PIB de la France est important et nous exportons des millions de voitures chaque année. De même l’accroissement des dépenses de santé permet de faire vivre une recherche et une industrie pharmaceutique à haute valeur ajoutée. Face aux économies émergentes cette industrie " high tech " nous permet de tenir notre rang économique dans le monde. Le décryptage du génome en est la preuve. Une part significative de la croissance américaine actuelle est due à ses investissements dans le domaine des hautes technologies. Ne regrettons pas trop vite que les Français consomment de plus en plus de médicaments et que les laboratoires français gagnent de l’argent.
D’où viennent les déficits ? La vraie question est de savoir si l’explosion des dépenses de santé publique est due à l’augmentation de la consommation de médicaments, aux soins hospitaliers, à des mesures sociales nécessaires ou à une gestion dispendieuse.
Le décryptage du génome en est la preuve. Une part significative de la croissance américaine actuelle est due à ses investissements dans le domaine des hautes technologies. Ne regrettons pas trop vite que les Français consomment de plus en plus de médicaments et que les laboratoires français gagnent de l’argent.
Les experts divergent sur les chiffres mais, grosso modo, la répartition des dépenses de santé est la suivante : Médicaments 21%, Honoraires 26,7%, Hôpital 44,7 %, autre 7,3%.
L’essentiel de l’augmentation des dépenses ne concerne pas la médecine de ville et la consommation de médicaments mais les dépenses hospitalières. Ce sont les soins lourds qui coûtent le plus cher.
Quant à la dérive des coûts de santé publique, ils ne sont pas dus, essentiellement depuis 15 ans, à un changement profond de comportement des patients mais aux mesures sociales successives qui ont été prises par l’Etat. Depuis 15 ans ce sont des décisions politiques qui ont accrus les dépenses de santé, bien plus que les changements de comportement.
Le coût de la Couverture médicale universelle (CMU) est estimé entre 85 et 130 millions. Comme celui des 35 heures ou la carte vitale. Ces mesures ont chargé la barque de l’assurance maladie dans une proportion qui suit à peu près l’augmentation des dépenses et des déficits !
L’Etat est généreux avec notre argent ou celui de nos enfants. Presque tous les assurés ont aujourd’hui un accès aisé aux soins avec un bon niveau de prise en charge. Les régimes obligatoires remboursent 76% des dépenses globales de santé soit un taux de prise en charge de 81% pour les biens et services faisant parti des soins reconnus par l’assurance maladie ; ce niveau de prise en charge résulte d’un taux de remboursement (entre 65 et 80% pour les biens et services) et d’un puissant système d’exonération permettant un remboursement quasi complet dès que les dépenses sont élevées. Chaque année, 5% des personnes couvertes mobilisent ainsi 60% des remboursements.
Ce succès social nous vaut la réputation d’être la meilleure médecine curative au monde, même si l’Etat français n’est pas très bon gestionnaire de ses hôpitaux. Un important gâchis existe et jusqu’ici les gouvernements successifs ne sont parvenus qu’à des résultats cosmétiques. L’hôpital public a du mal à accepter une certaine rigueur " manageriale " et les bonnes pratiques du privé. Il est significatif que les chiffres manquent ou qu’ils soient très difficiles à trouver. La comptabilité publique n’est pas une maison de verre.
À cette opacité qui favorise des pratiques coûteuses s’ajoute une générosité tous azimuts. Il suffit de se présenter dans un hôpital public français pour être soigné. Ainsi de nombreux anglais à la retraite achètent des maisons en France pour bénéficier de soins gratuits " made in France ". Ce n’est pas être xénophobe de dire que nous soignons gratuitement de très nombreux pauvres du tiers monde. Ce choix honore la France. Mais ces dépenses ne devraient-elles pas être prise en charge sur des budgets propres au Ministère de la coopération ou des affaires étrangères. Cela ne changerait peut-être rien au final mais cela aurait le mérite d’être plus clair et ne viendrait pas polluer le débat sur l’assurance maladie.
Des solutions existent
Entre le modèle trop " libéral " américain et le modèle trop " étatiste ", un nouveau système d’assurance maladie respectueux du patient et des droits de la personne est donc à inventer. La réforme adoptée par l’Assemblée nationale en a l’ambition. Elle n’est pas totalement dénuée d’intérêt… si elle aboutit.
Premier volet majeur de la réforme, le dossier médical partagé. Cet outil informatisé vise à rassembler les données médicales d’un patient, les rendant accessibles à tous les professionnels le prenant en charge ; ce dispositif de " traçabilité médicale " permettra d’améliorer la coordination des soins, augmenter les échanges entre les réseaux privés et publics et gagner du temps quand un malade " lourd " arrive aux urgences.
Seconde mesure : un taux de remboursement unique pour tous les génériques d’un même médicament, quelle que soit la marque choisie par le patient. Afin d’encourager les pharmaciens dans ce processus, ils pourraient être intéressés à leur vente. De plus, l’idée de dé-rembourser certains médicaments permettrait 250 millions d’euros d’économie par an. Une estimation largement contestée. Une étude du CREDES laisse planer le doute quand à lson impact financier. Une analyse réalisée sur le premier trimestre 2004 au Pays-Bas montre que l’effet est l’inverse à celui attendu, du fait de transferts vers des traitements plus coûteux. Par ailleurs, les laboratoires font justement remarquer que ce ne sont pas les dépenses de médicaments qui coûtent le plus cher et qu’il faut protéger une recherche médicale qu’ils financent, en France, à plus de 90 %. La diminution de leur marge pourrait signifier à terme la disparition de certains d’entre eux. L’expérience allemande où des déremboursements ont été engagés au début de l’année laisse apparaître dès à présent une situation critique pour cette industrie.
Troisièmement, le médecin généraliste deviendrait le point de départ d’un " parcours médical imposé ". Les consultations de spécialistes ne seraient bien remboursées que si le patient a préalablement consulté son médecin généraliste. Sinon le spécialiste serait autorisé à " augmenter ses honoraires" et ce dépassement ne serait pas remboursé. Là, aussi, forte résistance des médecins et des patients.
Moins controversé, le projet de s’attaquer aux arrêts de maladie abusifs. Le médecin fautif pourrait ne plus avoir ce droit de prescription durant un temps ( sanction que les médecins espèrent voir jugée selon des critères médicaux), et le patient abuseur pourrait se voir obligé de rembourser les indemnités journalières s’il y a une absence de pathologie justifiant cet arrêt.
Cinquièmement, il est prévu d’en modifier le système de dotations des hôpitaux. Plutôt que de continuer sur le système de la dotation globale, la proposition de doter un établissement en fonction de l’activité est pertinente, étant donné les écarts existant en matière de densité d’activité d’un hôpital à l’autre. Mais, cette mesure pourrait être une manière d’encourager les médecins y travaillant à la " course aux malades ".
Le gouvernement propose, aussi, plusieurs mesures de " bonne gouvernance " : une Haute Autorité scientifique composée de 12 spécialistes déterminera " le panier de soins remboursables" et établira les bases d’une bonne pratique médicale ; certains estiment que ses membres devraient mieux représenter tous les domaines d’intervention, médecins, hôpitaux, assureurs, gestionnaires.
Enfin l’État confiera la gestion de l’assurance maladie à un conseil d’orientation et à un directeur le soin de fixer les actes et les produits remboursables ainsi que le taux dans les limites fixées par l’État ; le pouvoir opérationnel appartiendra au directoire de l’assurance maladie et la mise en place d’un comité d’alerte en cas de dérives par rapport au budget fixé par l’Etat ; enfin l’Union des caisses maladie coordonnera les trois grands régimes (salariés, non salariés, agriculteurs.)
Mais tout ceci ne va faire qu’égratigner la montagne de nos dépenses de santé publique.
Le ministre de la Santé a beau avoir pris comme leitmotiv de sa réforme "soigner mieux en dépensant moins", il faudra bien payer plus. Et cela risque de faire mal.
La CSG des retraités imposables, qui est aujourd’hui de 6,2%, serait relevée de 0,4 point, (560 millions) la portant donc à 6,6%, encore loin de celle des salariés (7,5%). Par équité, la contribution sociale (rebaptisée " contribution sociale de solidarité ") des entreprises serait aussi augmentée : le taux actuel prélevé sur le chiffre d’affaire est de 0,13% et rapporte 3,3 milliards d’euros ; il serait relevé à 0,16% et rapporterait 780 millions.
Par ailleurs, et malgré l’hostilité des syndicats, une contribution d’un euro sera exigée des patients pour chaque feuille de soin ; ne sont pas concernés les femmes enceintes, les enfants et les bénéficiaires de la CMU (Couverture maladie universelle.) Cette participation glanerait 650 millions d’euros ; cependant, par mesure d’équité, un plafond va être discuté pour les personnes les plus malades ayant recours aux médecins fréquemment.
La CRDS, (Contribution pour le remboursement de la dette sociale), sera prolongé. À la fin de cette année, le total des pertes accumulées atteindra, en effet, les 32 milliards d’euros. À l’origine la CRDS devait rembourser cette charge jusqu’en 2014 en alimentant la Caisse d’amortissement de la dette sociale. Par l’allongement de sa durée de vie, le gouvernement envisage d’alléger d’un milliard d’euros les frais financiers de la dette de l’assurance maladie. L’annonce de ce projet qui consiste a faire payer nos dettes par les générations futur pose un problème de justice et a suscité un tollé des syndicats.
En définitive, le gouvernement souhaite s’orienter vers des changements structurels en mettant en place une véritable régulation médicalisée. La réforme essaie de redéfinir le contrat fondamental de confiance entre le patient et le soignant. Elle vise à mettre en place un cadre, certes plus strict, en équilibrant les intérêts en apparence opposés entre le public et le privé, la logique humaine et la logique économique, le cadre libéral et interventionniste. Un seul intérêt, nous dit-on, prévaut sur tous les autres : celui du patient.
Ces bonnes intentions vont-elles continuer de paver l’enfer du déficit de notre système de santé ou est-ce l’hirondelle qui annonce le printemps et surtout que restera t-il du projet du gouvernement qui a suscité plus de 7 000 amendements ?
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