Nouvelle victoire du Mammouth ?
Article rédigé par Document, le 02 décembre 2005

Le Premier ministre peut déclarer la guerre à l'échec scolaire, le Mammouth sait se faire respecter. À peine installé, le Haut conseil de l'Éducation créé par la loi Fillon pour renouveler le système éducatif, se déconsidère en lâchant un scientifique de renom scandalisé par son conformisme, le mathématicien Laurent Lafforgue (médaille Fields, 2002).

Le jeune chercheur (39 ans) nommé par le chef de l'Etat, a été prié de démissionner pour "propos violents" contre le système scolaire.

Il lui est reproché notamment d'avoir contesté le recours aux experts de l'Education nationale dans les réunions du HCE, experts qu'il juge responsables de l'échec du système. Pour M. Racine, président du Haut conseil, la mise en cause des instances dirigeantes de l'Éducation nationale " rendait impossible un débat serein au sein du HCE visant à construire un consensus ou tout au moins une majorité solide ".

M. Lafforgue maintient son diagnostic, et reproche à son tour au responsable du HCE sa cécité à l'égard des prétendus "progrès remarquables accomplis par notre système éducatif dans les dernières décennies". Là où M. Racine veut résorber "les poches d'échec" de l'école, le mathématicien démissionné voit plutôt un système qui s'est obstiné à résorber les poches de succès, "le mot "succès" étant entendu non pas au sens de l'obtention d'un diplôme mais au sens de l'acquisition de véritables connaissances qui font accéder à la culture ou à la science) et de diminution de l'égalité des chances".

Le Haut conseil de l'Education (HCE), créé par la loi Fillon sur l'école, est composé de neuf membres nommés par le président de la République, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que le président du Conseil économique et social. Il doit émettre des avis sur le contenu du socle commun de connaissances à maîtriser en fin de troisième, pierre angulaire de la réforme Fillon, et se prononcer sur la formation des enseignants.

Certes, la violence des propos de M. Lafforgue est incontestable. Elle trahit seulement une indignation qui ne peut laisser indifférent. "Pour couper court à toutes éventuelles déformations ou exploitations de citations tronquées," explique Laurent Lafforgue, il a publié sur son site sa correspondance avec le président du HCE, dont nous publions un extrait :

" Monsieur le Président du HCE,

Je vous remercie de votre message ci-dessous qui nous donne l'ordre du jour de la prochaine réunion. Je ne peux m'empêcher de réagir sur certains points qui me plongent dans le désespoir.

Le principal est le suivant : - appel aux experts de l'Education nationale : Inspections générales et directions de l'administration centrale, en particulier direction de l'évaluation et de la prospective et direction de l'enseignement scolaire,

Pour moi, c'est exactement comme si nous étions un "Haut Conseil des Droits de l'Homme" et si nous envisagions de faire appel aux Khmers rouges pour constituer un groupe d'experts pour la promotion des Droits Humains.

Je m'explique : depuis un an et demi que j'ai commencé à m'intéresser sérieusement à l'état de l'éducation dans notre pays – en lisant tous les livres de témoignage d'instituteurs et de professeurs que j'ai pu trouver, en recueillant systématiquement tous les témoignages oraux ou écrits d'enseignants avec qui je peux être en contact, en interrogeant moi-même des jeunes pour jauger ce qu'ils savent ou ne savent pas – je suis arrivé à la conclusion que notre système éducatif public est en voie de destruction totale.

Cette destruction est le résultat de toutes les politiques et de toutes les réformes menées par tous les gouvernements depuis la fin des années 60. Ces politiques ont été voulues, approuvées, menées et imposées par toutes les instances dirigeantes de l'Éducation nationale, c'est-à-dire en particulier : les fameux experts de l'Education nationale, les corps d'inspecteurs (recrutés parmi les enseignants les plus dociles et les plus soumis aux dogmes officiels), les directions des administrations centrales (dont la DEP et la DESCO), les directions et corps de formateurs des IUFM peuplés des fameux didacticiens et autres spécialistes des soi-disant "sciences de l'éducation", la majorité des experts des commissions de programmes, bref l'ensemble de la Nomenklatura de l'Education nationale.

Ces politiques ont été inspirées à tous ces gens par une idéologie qui consiste à ne plus accorder de valeur au savoir et qui mêle la volonté de faire jouer à l'école en priorité d'autres rôles que l'instruction et la transmission du savoir, la croyance imposée à des théories pédagogiques délirantes, le mépris des choses simples, le mépris des apprentissages fondamentaux, le refus des enseignements construits, explicites et progressifs, le mépris des connaissances de base couplé à l'apprentissage imposé de contenus fumeux et démesurément ambitieux, la doctrine de l'élève "au centre du système" et qui doit "construire lui-même ses savoirs". Cette idéologie s'est emparée également des instances dirigeantes des syndicats majoritaires, au premier rang desquels le SGEN.

Tous ces gens n'ont aujourd'hui qu'un but: dégager leur responsabilité et donc masquer par tous les moyens la réalité du désastre.

J'avoue ne pas savoir s'ils étaient de bonne foi ou bien s'ils ont délibérément organisé la destruction de l'Ecole.

Je ne sais pas non plus lesquels parmi eux – une minorité de toute façon – n'ont pas participé à la folie collective ni lesquels y ont participé mais se rendent compte aujourd'hui des conséquences dramatiques des erreurs accumulées depuis des décennies et seraient prêts à repartir dans une meilleure direction. A priori, j'ai la plus extrême défiance envers tous les membres de la Nomenklatura de l'Education nationale. [...]"

Pour en savoir plus :

Sur le site de l'Institut des hautes études scientifiques, le dossier de Laurent Lafforgue sur sa démission

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