Article rédigé par Jérôme Vignon* et Fr. de Lacoste Lareymondie**, le 20 mai 2005
L'hebdomadaire Famille chrétienne publie cette semaine un débat entre deux chrétiens opposés sur le projet de Constitution : Jérôme Vignon, favorable au oui et François de Lacoste Lareymondie, partisan du non.
Nous sommes heureux de publier cet échange, avec l'aimable autorisation de l'hebdomadaire.
FAMILLE CHRETIENNE – Quatre-cent-quarante-huit articles, trente-six protocoles, deux annexes et cinquante déclarations : pourquoi un projet de Constitution aussi long et compliqué ?
Jérôme Vignon - La construction européenne est compliquée par nature. Cette complexité tient à l'enjeu même de cette construction qui consiste plutôt à créer une " démocratie entre les nations " qu'une démocratie entre des individus. La tâche de l'Europe et celle des nations qui la composent sont ainsi complémentaires. Mais à des tâches distinctes correspondent des structures différentes. Ainsi les structures de l'Union européennes sont elles peu familières et exigent-elles un effort d'explication de la part des responsables politiques et de compréhension de la part des citoyens. En l'absence de cet effort, beaucoup de débats sont décevants. Je persiste à croire qu'un tel effort constitue un passage obligé pour que chacun puisse se situer comme Français et comme Européen.
François de Lacoste Lareymondie - Je partage votre exigence de pédagogie dans le débat référendaire. On constate un appétit de connaissance qui se traduit par une floraison de livres à grands tirages sur l'Europe. Il y a une volonté indéniable de répondre à la question posée par le référendum. En même temps, le débat souffre d'un déficit au niveau officiel où l'on se contente d'idées générales, voire approximatives.
La construction européenne est-elle condamnée à être perçue comme un processus ésotérique ?
FLL - C'est bien le problème posé par une construction devenue trop technocratique. Le gouvernement français y a ajouté un facteur de confusion, qui porte sur les objectifs de l'Union européenne. En poussant la candidature turque et en écartant la mention des " racines chrétiennes " dans le préambule du Traité, il a semé le trouble. Or beaucoup d'électeurs ont aujourd'hui l'impression, justifiée, qu'on leur demande à la fois d'entériner ces options et de signer un sauf-conduit pour la suite.
JV - Les responsables politiques ont pour devoir d'éclairer les enjeux du référendum. Pour moi, le Traité vient répondre à l'attente d'un meilleur futur. Je remarque que, dans le cœur des Français, la question de l'Europe continue d'être associée à l'avenir. L'Europe a une vertu " téléologique ", c'est-à-dire qu'elle nous pousse à considérer les finalités, à porter notre regard plus loin.
Robert Schuman, père de l'Europe, est en passe d'être béatifié. Le présent Traité est-il en continuité ou en rupture avec son intuition ?
FLL - Je ne vais pas parler à la place de Robert Schuman ! La situation a tellement changé en l'espace de 50 ans. Au départ, il y avait chez lui la volonté de faire la paix en instaurant un mécanisme de confiance entre les nations. Cet objectif est réalisé, et nul n'envisage de revenir en arrière. Mais cela n'implique pas approbation des mécanismes institutionnels actuels ; surtout s'ils nous éloignent de l'inspiration des pères fondateurs.
JV - Certains n'hésitent pas à convoquer l'avis du général de Gaulle sur le Traité ! A mon avis, l'inspiration des pères fondateurs n'est pas dénaturée par le Traité, bien au contraire. Schuman fut un homme des frontières, à cheval sur l'Allemagne, le Luxembourg et la Lorraine, à cheval aussi entre l'économique et le social, car engagé dans les conflits du travail de son époque. En tout cela, il était inspiré par la doctrine sociale de l'Eglise, acceptant ces tensions et refusant les simplifications abusives. Dans ce même esprit, il a conçu la construction européenne, comme une réponse " audacieuse ", selon ses propres termes, aux défis de l'unité internationale et même mondiale. Le Traité constitutionnel refuse lui aussi les simplifications, assume la même tension entre l'identité respectable des Etats et l'approfondissement de leur union. Il fait donc un pas de plus dans la voie ouverte par Robert Schuman.
Une " constitution " est-elle absolument nécessaire au fonctionnement de l'Europe à 25 ? Un simple Traité international ne suffirait-il pas ?
FLL - En fait, ce texte est un monstre juridique qui s'est attribué le titre de constitution. Les rédacteurs n'avaient pas mandat pour le faire. Normalement, il revient au peuple de réunir une assemblée constituante pour élaborer un texte soumis ensuite à son approbation. Ce Traité reflète une tentative prométhéenne. Dans la forme, il ressemble à une constitution mais, dans le fond, c'est un traité international. Première ambiguïté !
JV - Vous avez raison sur ce point : le Traité constitutionnel n'est pas une " constitution " parce qu'il résulte de la signature d'Etats libres et souverains et non de l'adoption par une assemblée constituante. On fait ici un faux procès aux partisans du oui. Ce projet n'a pas l'intention de dissoudre les nations puisque le préambule fait appel au " respect de l'identité nationale des Etats membres ". La nouveauté du texte présenté aux Français, c'est sa qualité constitutionnelle qui découle d'une garantie plus claire des droits fondamentaux et de la clarification des compétences respectives de l'Union et des Etats. C'est un progrès réel par rapport aux traités antérieurs de Rome, Maastricht ou Nice.
Quelle est la nouveauté du projet de constitution par rapport aux traités antérieurs qui ont jalonné la construction européenne ?
JV - L'évolution est dans la ligne de la déclaration Schuman du 9 mai 1950, qui vise une construction européenne par étapes, sur la base de réalisations concrètes : le marché agricole, l'union monétaire, la politique étrangère, etc. Les acquis de ces réalisations sont repris dans la dernière partie du Traité. Mais celui-ci aborde aussi une question nouvelle. Des droits et des principes fondamentaux contenus dans une Charte (deuxième partie du Traité) vont gouverner explicitement les politiques européennes. Pour les nouveaux adhérents à l'union européenne, il ne s'agit plus de rejoindre un club pragmatique mais une communauté de valeurs. L'Union s'est forgée sur la base de politiques économiques communes. Le moment est venu, après la chute du Mur de Berlin, après l'effondrement des régimes communistes, de passer à une autre étape. La réunification de l'Allemagne a été suivie par un élargissement de l'Union qui constitue lui aussi une forme historique de réunification. Le Traité a pour ambition de déterminer sur quelles valeurs nous sommes unis.
FLL – La principale innovation, c'est vrai, concerne la " Charte des droits ", non dans sa rédaction puisqu'elle est reprise textuellement d'une déclaration annexée au Traité de Nice, mais en ce qu'elle serait rendue juridiquement contraignante. Pour un chrétien, cette charte comporte des points positifs mais aussi un certain nombre de difficultés sérieuses... D'une part, les droits proclamés sont hétéroclites : le droit à la vie ou la liberté religieuse y sont mis sur le même plan que la protection des consommateurs ou l'accès aux documents administratif. D'autre part, nombre d'entre eux sont assortis d'exceptions qui peuvent les dénaturer. Enfin, sa portée réelle ne sera pas celle que l'on croit parce que la clé de son interprétation, qu'aurait fourni la référence aux racines chrétiennes, a été délibérément enlevée ; elle est livrée à la Cour de Justice dont la jurisprudence est déjà de nature positiviste, c'est à dire conditionnée par la seule réglementation communautaire.
Le préambule du Traité constitutionnel ne fait pas référence aux origines chrétiennes de l'Europe mais évoque les " héritages humanistes et religieux " de l'Europe. Est-ce trop vague ou déjà assez explicite ?
JV - Je suis de ceux qui regrettent que les racines chrétiennes n'aient pas été mentionnées. Pour élaborer ce texte, la Convention a consulté des représentants de la société civile et des responsables des Eglises. Je me souviens d'avoir présenté une déclaration commune avec des amis protestants et orthodoxes dans le but de faire valoir l'utilité de reconnaître les sources chrétiennes des valeurs défendues par la Convention. Dans le concert des chefs d'Etat, il n'a pas été possible de faire justice à l'Histoire – les valeurs des Lumières ont pourtant une teneur chrétienne. L'adoption du texte final a résulté d'un compromis.
Je voudrais souligner cependant l'importance de l'article 52 qui formalise, au bénéfice des Eglises, quelque chose en germe dans la pratique mais jamais encore institutionnalisé. Désormais, les institutions européennes s'engagent à maintenir un " dialogue régulier, ouvert et transparent " avec les Eglises. Cet article n'est pas facultatif et oblige les institutions européennes. Il permet aux chrétiens de faire entendre leur voix et de donner leur avis sur les politiques de l'union. Ceux qui ont pour tâche de former les consciences – les religions – ont donc leur mot à dire dans le débat. Cela est très important. Si le Traité ne fait pas de référence nominale aux racines chrétiennes, il comporte une obligation de dialogue entre les Eglises et les institutions européennes.
La charte des droits fondamentaux semble rester floue sur des points capitaux comme le respect de la vie humaine et le mariage. Adopter le Traité, est-ce ouvrir la porte à la légalisation du mariage homosexuel en France ?
JV - Le Traité constitutionnel offre des avancées concernant les valeurs (dignité humaine, droit à la vie, droit à l'intégrité de la personne, etc.). Mais ces avancées ne s'appliquent que là où les politiques européennes sont déjà compétentes. L'Union n'a pas compétence pour définir ce qu'est une famille. Certains partisans du non laissent entendre que demain l'adoption d'enfants par des couples homosexuels sera permise par le Traité. C'est un cas de figure fantasmatique ! Le texte n'offre aucune possibilité dans ce sens.
FLL - Il existe un principe qui prime tous les autres : celui de la " non-discrimination ", y compris sous l'aspect de " l'orientation sexuelle ". Déjà inscrit dans la charte à l'article 81, il est repris de façon plus développée dans l'article 118, au début de la 3e partie, en tant que principe général applicable à toutes les politiques communautaires. Ainsi, ce principe dont la Cour de Justice a déjà fait un de ses piliers jurisprudentiels majeurs, serait constitutionnalisé et pourrait être imposé aux Etats dans la mise en œuvre desdites politiques ; en outre, il permettrait à la Cour de donner une lecture de la Charte qui en contredirait l'inspiration initiale. C'est sans doute pourquoi les associations homosexuelles ont salué dans cet article 118 un " progrès " notable. En l'état, le droit s'éloignera peu à peu, mais sûrement, de l'anthropologie chrétienne à laquelle il était censé se référer.
JV - La question de la non discrimination est difficile, je le reconnais. Elle l'est aussi à l'intérieur de chaque pays. Mais je crois que le Traité va permettre une application plus claire, plus transparente. Dorénavant, chaque initiative importante de la Commission européenne fera l'objet d'un débat public national, puisque, si le nouveau Traité était adopté, les parlements nationaux auraient la possibilité d'interrompre, à la majorité des 2/3, les processus qui leur apparaîtront contraires au bien de leur nation.
En matière d'éthique et de respect de la dignité humaine, pensez-vous que l'adoption du Traité constitutionnel constitue une avancée réelle ?
FLL - Illustration de ce caractère formel et ambigu : les articles 61, 62 et 63 traitent de la dignité humaine. Mais les rédacteurs du Traité précisent que seul le clonage reproductif est interdit, signifiant a contrario que le clonage thérapeutique est autorisé. Or chacun sait que, par construction, tout clonage est reproductif !
JV - Je comprends les craintes de vos lecteurs. Mais il faut relire le préambule de la charte des droits fondamentaux : " L'Union contribue au développement de ces valeurs, dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples d'Europe... " La France n'ira pas, à cause du Traité, aussi loin que la Hollande en matière d'euthanasie. Elle ne suivra pas non plus l'exemple d'un pays comme le Danemark sur l'avortement. Tout simplement parce que le Traité ne prévoit pas d'imposer la moindre chose aux traditions nationales, au-delà de ce qui a pu être reconnu comme réellement et fondamentalement commun. Il ne faut pas attribuer au Traité plus qu'il ne dit ! Sa principale vertu est d'éclairer par des valeurs communes la mise en oeuvre des politiques européennes, que ce soit par les institutions de " Bruxelles " ou par les Etats.
FLL - Réponse paradoxale de Jérôme Vignon ! Si cette charte n'a pas de portée commune, pourquoi l'inclure dans le Traité et la rendre contraignante alors que nos pays n'en on pas vraiment besoin ? Ils se réfèrent tous peu ou prou aux mêmes valeurs et les appliquent déjà. Je remarque néanmoins que plusieurs pays (mais pas la France) ont émis des réserves sur sa portée, et que l'Irlande et Malte ont éprouvé le besoin de préciser que son adoption ne devrait pas avoir pour conséquence d'autoriser chez eux l'avortement...
Les évêques européens, par la voix de la COMECE, ont affirmé que le Traité reflétait les principes de l'anthropologie chrétienne. Cela va-t-il de soi ?
JV - La COMECE a raison de souligner que la charte européenne, inscrite dans la seconde partie du Traité, est imprégnée de l'anthropologie chrétienne. C'est pourquoi je suis en total désaccord avec François Lacoste-Lareymondie sur son interprétation de cette charte. La non mention des racines chrétiennes n'implique pas, ipso facto, que toutes les sources religieuses ou philosophiques y soient équivalentes ! Et je vais vous dire pourquoi : jamais la personne n'y est considérée de manière isolée. Le préambule de la charte stipule que la " jouissance de ces droits entraîne des responsabilités et des devoirs tant à l'égard d'autrui que de la communauté humaine et des générations futures ". Voilà une précision capitale qui n'est pas la marque de n'importe quel humanisme. Le texte s'engage ici contre un libéralisme sans limites où toutes les formes de liberté sont possibles au titre d'une extension indéfinie des droits individuels. Il y a un contrepoids – typiquement chrétien – qui se traduit par une responsabilité, une solidarité. Quand on a une vue d'ensemble sur les valeurs du Traité, on s'aperçoit qu'elles établissent une " citoyenneté de relation " directement inspirée par l'anthropologie chrétienne.
FLL - L'essentiel va se jouer ailleurs, sur le terrain de l'application. La preuve en a déjà été donnée : ce n'est pas un hasard si, en vertu de la non discrimination, la France a été obligée d'abolir l'interdiction du travail de nuit pour les femmes ! Sans me départir du respect que je dois au secrétariat des conférences épiscopales européennes dont les considérations demeurent beaucoup trop générales, je souligne à l'inverse que l'Eglise déclare " qu'elle n'a pas qualité pour exprimer une préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle de l'Europe " (Exhortation Ecclesia in Europa de 2003, § 19) : c'est précisément notre rôle de laïcs responsables d'y voir clair, d'en débattre et d'en décider.
Le christianisme a-t-il encore les moyens d'inspirer les valeurs de l'Union ?
JV - Je vis dans un monde pluraliste. Tous les jours, je suis confronté à des collègues qui ne partagent pas ma foi. C'est mon lot. Il faut que les Eglises rendent compte de la valeur de leur vision. Les chrétiens ne peuvent prétendre imposer leurs vues au monde. Il leur appartient de donner à voir que leurs valeurs sont fécondes, sont sources de vie.
FLL - Je suis d'accord sur le constat. Je suis également d'accord sur la méthode. J'en tire, ici sur le terrain dont nous débattons, une conclusion différente, précisément parce que je ne souhaite pas voir ces valeurs galvaudées.
Sous couvert de renforcer la démocratie au sein de l'union européenne, le Traité ne risque-t-il pas de nuire à la souveraineté des 25 ?
JV - Il faut laisser sa chance au Traité constitutionnel. A écouter les partisans du non, le texte est perdant à tous les coups : soit il empiète sur les prérogatives des Etats, soit il n'apporte rien d'efficace. Cette posture est intenable. En vérité le texte soumis à l'approbation des Français est un travail unique au monde. C'est un travail collectif à 15 puis à 25 Etats pour avancer le plus loin possible, un travail mûri pendant quatre années, si l'on tient compte de l'élaboration de la Charte par la première convention, préparé non par des fonctionnaires, mais par des experts constitutionnels et par une majorité d'élus.
Je pratique un optimisme de détermination comme Jean Monnet. Depuis cinquante ans, la construction européenne est pragmatique. On lui a reproché son caractère économique et sa faiblesse démocratique. L'occasion est donnée d'aller plus loin. L'intuition des pères de l'Europe, c'est que la souveraineté se partage, elle n'est pas absolue. L'union européenne fonctionne sur la base d'une souveraineté partagée et d'une délimitation des compétences. Plus la confiance est acquise et plus les champs des collaborations peuvent s'étendre. Ce qui est difficile à comprendre, pour certains partisans du non, c'est que la souveraineté partagée n'est pas une souveraineté perdue ! Si on veut préserver le " dessein " de la France en Europe – un terme gaulliste – il faut abandonner une vision dogmatique de la souveraineté.
En matière d'institutions, le Traité propose plusieurs innovations, notamment la création d'un poste de ministre des affaires étrangères. Cette ambition est-elle compatible avec l'intérêt de la France ?
JV - Jusqu'à présent, la politique économique extérieure de l'union et la politique étrangère ne se rencontraient pas. L'union européenne, géant économique, n'avait pas les moyens de parler d'une seule voix sur un plan politique Un progrès majeur du Traité est de confier à la même personne – le " ministre des affaires étrangères de l'Union " – la formulation cohérente des propositions de politique économique extérieure et de politique étrangère. Vous imaginez le nouveau poids de la France dans sa relation avec l'Afrique par exemple. Le dessein français sur l'Afrique sera renforcé par l'Union. C'est d'ailleurs un signe que l'Union africaine regarde l'Union européenne comme un modèle combinant autonomie et capacité de décision. Je précise une chose : la souveraineté française ne va pas disparaître puisque la politique étrangère sera soumise à la règle de l'unanimité.
FLL – Un ministre des Affaires étrangères de l'Union pour faire une politique étrangère unique ? Le Traité cherche à nous vendre quelque chose qui n'existe pas ! Je ne vois pas comment des Etats européens aux intérêts divergents et aux vues opposées vont pouvoir mener une action diplomatique commune. Le couple franco-allemand marche assez bien quand les deux diplomaties s'épaulent. Mais se mettre d'accord à 25 est impossible. Vouloir une politique étrangère commune, c'est prendre le risque d'étaler nos divergences au grand jour comme sur l'affaire irakienne ! Les grandes affaires internationales n'ont rien à voir avec le calendrier interne de l'Union. C'est l'urgence qui commande. Un tel dispositif peut à la rigueur fonctionner par temps calme. Mais lorsque survient la tempête, cela ne marche plus !
JV - Je reconnais que nous sommes encore loin d'une politique étrangère de l'Union en bonne et due forme. La règle de l'unanimité constituera encore une difficulté majeure dans les cas de décisions d'urgence. Mais la politique étrangère, ce n'est pas seulement l'urgence ni la guerre. Peut être est elle plus encore que jamais la préservation de la paix, par la justice économique et sociale. Devant les Nations Unies déjà, Paul VI expliquait que " le développement est le nouveau nom de la paix ". Si demain l'action diplomatique de l'Union intègre d'avantage des actions économiques, environnementales, sociales qui favorisent les conditions de la justice internationales, l'Union favorisera la paix. Aujourd'hui, l'Europe est déjà capable de parler d'une seule voix pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est un premier pas, auquel le nouveau Traité donne la possibilité de s'inscrire dans une action politique.
FLL - Un dispositif administratif ne garantit pas une diplomatie à part entière. Bien entendu, la paix est le fruit de la justice. Mais je ne vois pas ce qui empêche les Etats d'établir des liens de coopération dès aujourd'hui. C'est une litote de dire que la France n'a plus les moyens de sa politique sur la scène mondiale. En revanche, la voix de la France est forte quand elle reste elle-même.
L'idéal porté par le Traité ne semble pas enthousiasmer les Français. Pourquoi ?
JV - Il faut prendre ce travail pour ce qu'il est. La construction à 25 suppose des compromis mais c'est un exemple de construction sans égal dans le monde. L'Union est l'art du possible à mi chemin entre une souveraineté nationale intangible et une intégration fédéraliste. Un récent sondage paru dans La Croix montre que 80% des parents ont conscience que l'Europe sera déterminante dans la vie de leurs enfants. Il est temps de considérer les " plus " qu'apporte le Traité en terme de démocratie, de valeurs. Cette occasion ne se représentera pas.
FLL - Il y a toujours une tension entre le possible et le souhaitable. Mais la politique ne peut se réduire à l'art de l'empirique ! Pour moi, l'enjeu du référendum ne réside pas dans ce tout ou rien : une réponse négative ne nous ferait pas sortir de l'Europe ni n'en bloquerait le fonctionnement. La question à se poser est comment améliorer le fonctionnement de l'Union ? Le projet de Traité n'y répond pas vraiment, et ne remédie ni à l'excès technocratique ni au flot réglementaire. Le référendum nous offre la chance d'une remise à plat d'une Europe devenue abusivement uniformisatrice, qui prend le chemin de la paralysie. Si la France dit non au Traité, cela ne sera pas une faute. Seul un grand pays est capable de faire enfin avancer les choses. Son refus sera positif.
*Jérôme Vignon travaille à la Commission Européenne où il occupe le poste de Directeur pour la Protection Sociale et l'Intégration Sociale au sein de la Direction Générale de l'Emploi, des Affaires Sociales et de l'Egalité des Chances. Agé de 60 ans, il est diplômé de l'Ecole Polytechnique et père de six enfants. De 1981 à 1984, il a été chargé de la question macro-économique au sein du Cabinet du Ministre de l'Economie et des Finances, Jacques Delors.
**François de Lacoste-Lareymondie est vice-président de la Fondation de service politique et élu local, François de Lacoste Lareymondie a 55 ans. Il est père de huit enfants et cadre supérieur dans la finance. Ancien officier de la marine, puis diplômé de l'ENA, il a été notamment chef du bureau des affaires internationales du ministère de la Mer. François de Lacoste-Lareymondie collabore régulièrement à la revue Liberté politique.
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