Article rédigé par Document, le 10 juin 2005
[Discours du pape Benoît XVI au congrès ecclésial du diocèse de Rome "Famille et communauté chrétienne, formation de la personne et transmission de la foi" – Basilique Saint-Jean-de-Latran, 6 juin 2005.
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Le mariage et la famille ne sont pas en réalité une construction sociologique fortuite, fruit de situations historiques et économiques particulières. Au contraire, la question du juste rapport entre l'homme et la femme plonge ses racines au cœur de l'essence plus profonde de l'être humain, et ne peut trouver sa réponse qu'à partir de là. On ne peut donc la séparer de la question antique et toujours nouvelle de l'homme sur lui-même : qui suis-je ? qu'est-ce que l'homme ? Et cette question, à son tour, ne peut être séparée de la question sur Dieu : Dieu existe-t-il ? et, qui est Dieu ? quel est vraiment son visage ? La réponse de la Bible à ces deux questions est unitaire et comporte deux significations qui sont liées : l'homme est créé à l'image de Dieu, et Dieu lui-même est amour. C'est pourquoi la vocation à l'amour est ce qui fait de l'homme l'image authentique de Dieu : il devient semblable à Dieu dans la mesure où il devient quelqu'un qui aime.
Au cœur de l'essence profonde de l'être humain
De cette connexion fondamentale entre Dieu et l'homme, il en découle une autre : la connexion indissoluble entre l'esprit et le corps : l'homme est en effet une âme qui s'exprime dans le corps, et corps qui est vivifié par un esprit immortel. Le corps de l'homme et de la femme a donc lui aussi, pour ainsi dire, un caractère théologique, il n'est pas simplement corps, et ce qui est biologique dans l'homme n'est pas seulement biologique, mais expression et accomplissement de notre humanité. De même, la sexualité humaine n'est pas à côté de notre être comme personne, mais lui appartient. C'est seulement quand la sexualité s'est intégrée dans la personne, qu'elle parvient à se donner un sens à elle-même.
Ainsi, des deux connexions, de l'homme avec Dieu et, dans l'homme, du corps avec l'esprit, il en découle une troisième : la connexion entre personne et institution. La totalité de l'homme inclut en effet la dimension du temps, et le "oui" de l'homme veut dire aller au-delà du moment présent : dans sa totalité, le "oui" signifie "toujours", il constitue le domaine de la fidélité. C'est seulement à l'intérieur de ce domaine que peut croître cette foi qui donne un avenir et permet que les enfants, fruit de l'amour, croient en l'homme et dans son avenir en des temps difficiles. La liberté du "oui" se révèle donc comme une liberté capable d'assumer ce qui est définitif : la plus grande expression de la liberté n'est pas alors la recherche du plaisir, sans arriver jamais à une décision vraie. Apparemment cette ouverture permanente semble être la réalisation de la liberté, mais ce n'est pas vrai : la véritable expression de la liberté est en revanche la capacité de se déci! der pour un don définitif, dans lequel la liberté, en se donnant, se retrouve pleinement elle-même.
Dans le concret, le "oui" personnel et réciproque de l'homme et de la femme ouvre le domaine pour l'avenir, pour l'humanité authentique de chacun, et est destiné en même temps au don d'une nouvelle vie. Pour cette raison, ce "oui" personnel ne peut pas ne pas être un "oui" responsable aussi publiquement, par lequel les époux assument la responsabilité publique de la fidélité qui garantit aussi le futur pour la communauté. Personne d'entre nous en effet n'appartient exclusivement à soi-même : c'est pourquoi chacun est appelé à assumer au plus intime de soi sa propre responsabilité publique. Le mariage, comme institution, n'est donc pas une ingérence indue de la société ou de l'autorité, l'imposition d'une forme, de l'extérieur, dans la réalité la plus privée de la vie ; il est en revanche une exigence intrinsèque du pacte de l'amour conjugal et de la profondeur de la personne humaine.
Les différentes formes actuelles de dissolution du mariage, comme les unions libres et le ‘mariage à l'essai', jusqu'au pseudo mariage entre personnes du même sexe, sont des expressions d'une liberté anarchique, qui se fait passer à tort pour une véritable libération de l'homme. Une telle pseudo liberté se fonde sur une banalisation du corps, qui inclut inévitablement la banalisation de l'homme. Son idée de base est que l'homme peut faire de soi ce qu'il veut : son corps devient ainsi une chose secondaire, manipulable du point de vue humain, qu'il peut utiliser comme il veut. Le principe du libertinage, qui se fait passer pour une découverte du corps et de sa valeur, est en réalité un dualisme qui rend le corps méprisable, en le plaçant pour ainsi dire en, dehors de l'être humain authentique et de la dignité de la personne. (à suivre)
Mariage et famille dans l'histoire du salut
La vérité du mariage et de la famille, qui plonge ses racines dans la vérité de l'homme, a trouvé sa réalisation dans l'histoire du salut, au centre duquel se trouve la parole : "Dieu aime son peuple." La révélation biblique en effet, est avant tout expression d'une histoire d'amour, l'histoire de l'alliance de Dieu avec les hommes : pour cela, l'histoire de l'amour et de l'union d'un homme et d'une femme dans l'alliance du mariage a pu être prise par Dieu comme symbole de l'histoire du salut. Le fait inexprimable, le mystère de l'amour de Dieu pour les hommes, reçoit sa forme linguistique du vocabulaire du mariage et de la famille, en positif et en négatif : l'approche de Dieu à son peuple est présenté en effet dans le langage de l'amour de deux époux, alors que l'infidélité d'Israël, son idolâtrie est désignée comme adultère et prostitution.
Dans le Nouveau Testament, Dieu radicalise son amour jusqu'à devenir Lui-même, dans son Fils, chair de notre chair, vrai homme. De cette manière, l'union de Dieu avec l'homme a pris sa forme suprême, irréversible et définitive. Et, pour l'amour humain, est ainsi tracée également sa forme définitive, ce "oui" réciproque" qui ne peut être révoqué : elle n'aliène pas l'homme, mais le libère des aliénations de l'histoire pour le ramener à la vérité de la création. La sacramentalité que le mariage prend dans le Christ signifie donc que le don de la création a été élevé au rang de grâce de rédemption. La grâce du Christ ne s'ajoute pas du dehors à la nature de l'homme, elle ne lui fait pas violence, mais la libère et la restaure, en l'élevant précisément au-delà de ses propres limites. Et comme l'incarnation du Fils de Dieu nous révèle sa véritable signification dans la Croix, de même, l'amour humain authentique est don de soi, et ne peut exister si on veut le soustraire à la Croix.
Chers frères et sœurs, ce lien profond entre Dieu et l'homme, entre l'amour de Dieu et l'amour humain, trouve sa confirmation aussi dans des tendances et des développements négatifs, dont tous notent le poids. L'avilissement de l'amour humain, la suppression de la capacité authentique d'aimer se révèle en effet, à notre époque, l'arme la plus adaptée et la plus efficace pour chasser Dieu de l'homme pour éloigner Dieu du regard et du cœur de l'homme. De manière analogue, la volonté de "libérer" la nature vis-à-vis de Dieu amène à perdre de vue la réalité même de la nature, y compris la nature de l'homme, en la réduisant à un ensemble de fonctions, dont on peut disposer selon son plaisir pour construire un soi-disant monde meilleur et une soi-disant humanité plus heureuse ; on détruit en effet le dessin du Créateur, et ainsi, la vérité de notre nature.
Dire oui à la vie et au sens de la vie
Dans la génération des enfants également, le mariage reflète son modèle divin, l'amour de Dieu pour l'homme. Chez l'homme et chez la femme, la paternité et la maternité, comme le corps et comme l'amour, ne se laissent pas circonscrire dans le biologique : la vie est donnée entièrement seulement quand, avec la naissance, on donne aussi l'amour et le sens qui rendent possible de dire oui à cette vie. C'est précisément de là qu'il devient tout à fait clair combien est contraire à l'amour humain, à la vocation profonde de l'homme et de la femme, de fermer systématiquement la propre union au don de la vie, et plus encore de la supprimer ou de manipuler la vie qui naît.
Aucun homme et aucune femme, toutefois, par eux seuls et uniquement par leurs propres forces, ne peuvent donner à leurs enfants de manière adéquate l'amour et le sens de la vie. Pour pouvoir en effet dire à quelqu'un "ta vie est bonne, même si je ne connais pas ton avenir", il faut une autorité et une crédibilité supérieures à ce que l'individu peut donner tout seul. Le chrétien sait que cette autorité est donnée à cette famille plus vaste que Dieu, par son Fils Jésus-Christ et par le don de l'Esprit Saint, a créée dans l'histoire des hommes, à savoir, l'Église. Il reconnaît là à l'œuvre cet amour éternel et indestructible qui assure à la vie de chacun de nous un sens permanent, même si nous ne connaissons pas l'avenir.
Pour cette raison, l'édification de chaque famille chrétienne se place dans le contexte de la plus grande famille de l'Église, qui la soutient et la porte avec soi et garantit qu'il y a le sens, et qu'il y aura aussi sur elle à l'avenir le "oui" du Créateur. Et réciproquement l'Église est édifiée par les familles, "petites Églises domestiques", comme les a appelées le concile Vatican II (Lumen Gentium 11 ; Apostolicam Actuositatem, 11), redécouvrant une expression patristique antique (Saint Jean Chrysostome, In Genesim serm. VI, 2 ; VII, 1). Dans le même sens, Familiaris consortio déclare que "le mariage chrétien... est le lieu naturel dans lequel s'accomplit l'insertion de la personne humaine dans la grande famille de l'Église" (n. 15) (à suivre).
La figure du témoin dans l'éducation
De tout cela découle une conséquence évidente : la famille et l'Église, concrètement, les paroisses et les autres formes de communauté ecclésiale, sont appelées à la collaboration la plus étroite pour cette tâche fondamentale qui comprend, inséparablement, la formation de la personne et la transmission de la foi. Nous savons bien que, par une œuvre éducative authentique, une théorie juste ne suffit pas, ni même une doctrine à communiquer. Il faut quelque chose de beaucoup plus grand et de plus humain, de cette proximité, quotidiennement vécue, qui est propre à l'amour et qui trouve son domaine le plus propice avant tout dans la communauté familiale, mais aussi ensuite dans une paroisse, ou un mouvement ou une association ecclésiale, où se rencontrent des personnes qui s'occupent de leurs frères, en particulier des enfants et des jeunes, mais aussi des adultes, des personnes âgées, des malades, des familles elles-mêmes, parce que, dans le Christ, elle veulent leur bien. Le grand patron des éducateurs, saint Jean Bosco, rappelait à ses fils spirituels que "l'éducation était une chose du Cœur de Dieu et que Dieu seul en était le patron" (Epistolaire, 4, 209).
La figure du témoin est, dans le concret, centrale dans l'œuvre d'éducation, et spécialement dans l'éducation à la foi, qui est le sommet de la formation de la personne et son horizon le plus adapté : il devient point de référence précisément dans la mesure où il sait rendre raison de l'espérance qui soutient sa vie (1 Pet 3, 15), il est personnellement engagé par la vérité qu'il propose. Le témoin, d'autre part, ne renvoie jamais à lui-même, mais à quelque chose, ou mieux à Quelqu'un plus grand que lui, qu'il a rencontré et dont il a expérimenté la bonté vraie. Ainsi, chaque éducateur et témoin trouve son modèle insurmontable en Jésus-Christ, le grand témoin du Père, qui ne disait rien de lui-même, mais parlait comme le Père le lui avait enseigné (cf. Jn 8, 28).
C'est là le motif pour lequel, à la base de la formation de la personne chrétienne et de la transmission de la foi, se trouve nécessairement la prière, l'amitié personnelle avec le Christ, et la contemplation en Lui du visage du Père. Et la même chose vaut, évidemment, pour tout notre travail missionnaire, en particulier pour la pastorale familiale : que la Famille de Nazareth soit donc, pour nos familles et pour nos communauté, un objet de prière constante et confiante, ainsi qu'un modèle de vie.
Chers frères et sœurs, et spécialement vous, chers prêtres, je connais la générosité et le dévouement par lequel vous servez le Seigneur et l'Église. Votre travail quotidien pour la formation des nouvelles générations à la foi, en lien étroit avec les Sacrements de l'initiation chrétienne, mais aussi par la préparation au mariage et par l'accompagnement des familles dans leur chemin souvent non facile, en particulier dans la grande tâche de l'éducation des enfants, est la voie fondamentale pour régénérer toujours à nouveau l'Église, et aussi pour vivifier le tissu social de notre ville bien-aimée de Rome.
La prison du relativisme
Continuez donc sans vous laisser décourager par les difficultés que vous rencontrez. Le rapport éducatif est une chose délicate par sa nature : il met en cause la liberté de l'autre qui, même si c'est avec douceur, est toujours amené à prendre une décision. Ni les parents, ni les prêtres ou les catéchistes, ni les autres éducateurs ne peuvent se substituer à la liberté de l'enfant, du garçon, ou du jeune auquel ils s'adressent. Et, de manière spéciale, la proposition chrétienne interroge à fond la liberté, en l'appelant à la foi et à la conversion.
Aujourd'hui, un obstacle particulièrement insidieux pour l'œuvre d'éducation vient de la présence massive, dans notre société et dans notre culture, de ce relativisme qui, ne reconnaissant rien comme définitif, laisse comme ultime mesure seulement le propre "moi" avec ses désirs, et, sous l'apparence de la liberté, devient pour chacun une prison, parce qu'il sépare l'un de l'autre, en amenant chacun à se retrouver enfermé dans ! son propre "moi". À l'intérieur d'un tel horizon relativiste, une véritable éducation n'est donc pas possible : sans la lumière de la vérité, tôt ou tard, chaque personne est en effet condamnée à douter de la bonté de sa propre vie et des rapports qui la composent, de la validité de son engagement pour construire quelque chose de commun avec les autres.
Il est donc clair que nous devons non seulement chercher à dépasser le relativisme de notre travail de formation des personnes, mais que nous sommes appelés à nous opposer à sa suprématie destructive dans la société et dans la culture. Le témoignage, et l'engagement public des familles, sont donc très importants, à côté de la parole de l'Église, spécialement pour réaffirmer le caractère intangible de la vie humaine depuis sa conception jusqu'à sa fin naturelle, la valeur unique et irremplaçable de la famille fondée sur le mariage, et la nécessité de mesures législatives et administratives qui soutiennent les familles dans leur tâche d'engendrer et d'éduquer les enfants, tâche essentielle pour notre avenir commun. Pour cet engagement également, je vous exprime un merci de tout cœur.
Sacerdoce et vie consacrée
Un dernier message que je voudrais vous confier concerne le soin des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée : nous savons tous combien l'Église en a besoin ! Pour que ces vocations naissent et parviennent à maturation, pour que les personnes appelées se maintiennent toujours dignes de leur vocation, la prière surtout est décisive, et elle ne doit jamais manquer dans chaque famille et dans chaque communauté chrétienne.
Mais, est fondamental également le témoignage de vie des prêtres, des religieux et des religieuses, ainsi que la joie qu'ils expriment pour être appelés par le Seigneur. Et, ils sont de même essentiels l'exemple que les enfants reçoivent au sein de leur propre famille, et la conviction des familles elles-mêmes que, pour elles aussi, la vocation de leurs propres enfants est un grand don du Seigneur. Le choix de la virginité par amour de Dieu et des frères, qui est requise pour le sacerdoce et pour la vie consacrée, est unie en effet avec la mise en valeur! du mariage chrétien : l'un et l'autre, de deux manières différentes et complémentaires, rendent visible d'une certaine manière le mystère de l'Alliance entre Dieu et son peuple.
BENEDICTUS pp XVI
© Traduction Fides. Titre et intertitres de la rédaction.
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