Article rédigé par Nicolas Bonnal, le 01 avril 2010
Au fond, l'élection de Simone Veil à l'Académie Française doit-elle nous déranger ? Elle était inévitable, et ce chandelier médiatique descendra au Panthéon de son vivant, contrairement à Rousseau, Voltaire, Jaurès et d'autres. Simone Veil est immortelle, on le sait depuis 1974, quand le prédécesseur de M. Sarkozy à ce poste (et non à son siège) avait déjà pratiqué l'ouverture et ridiculisé l'électeur pourtant éprouvé de la droite française...
En tant qu'écrivain, c'est plutôt à Jean d'Ormesson, increvable courtisan, Talleyrand usagé, que j'ai envie d'adresser ces brèves remontrances. De son œuvre, je n'ai rien retenu, sinon son Plaisir de Dieu, qui était un hommage à la France disparue, qu'il s'était empressé d'ailleurs de saluer (plus que le feuilleton télé éponyme, calme bloc ici bas...). Il n'y a donc rien de personnel : non, j'ai simplement éprouvé de la difficulté à le lire, et l'assimiler.
Il (d'Ormesson) est censé lui (à Mme Veil) écrire un hommage mirobolant : mais que ne lui dit-il ? D'abord qu'elle est numéro 13. Numéro treize, le bougre ! Ensuite il nous rappelle les plaintes de Bérénice... Bérénice, la princesse juive, qui plus est aimée par Titus, l'empereur romain qui lui-même détruisit le Temple...
Dans ce discours peau de vache, sans doute involontaire, le précieux ridicule s'oublie : et il le dit... La passion malheureuse , le commun des immortels , et j'en passe, tant il a besoin de lui rappeler, à la future déité, après une longue liste, combien de médiocres lui ont succédé (à Racine), au siège treize, précisément. On se croirait, vraiment, vraiment, à Notre Cour, celle du roy, mais sans Molière, ou Saint-Simon...
On enfonce le clou, et j'espère (toujours), involontairement : Ils constituent ce que Jules Renard appelle "le commun des immortels"...
Le commun des immortels
Le commun des immortels ? Incorrigible courtisan ! Décidément, dit Cyrano, nous sommes au plaisir des vieux... Si la dame éternelle, dont je ne doute pas de la mémoire [...], avait lu son Saint-Simon, elle saurait enfin ce que ce genre de vacherie signifie... Encore une fois, est-ce bien volontaire (le vieux docteur a 86 ans tout de même, entre lui, l'Eternelle et Messmer récemment "mouru", comme on dit à l'école républicaine, cela fait 250, cela ne nous rajeunit guère) ?
Après... Après ? On passe à la causticité. Je cite le vieux maître, dont j'ai tant adoré la prose du Fig-Mag : Quand Molé reçoit Alfred de Vigny... il le traite avec tant de rudesse que l'auteur... en demeura meurtri... Plus près de nous, Albert de Mun, catholique rigoureux [???] lance, à Henri de Régnier : "Je vous ai lu, Monsieur, je vous ai lu jusqu'au bout. Car je suis capitaine des cuirassiers."
Les vacheries ne s'arrêtent pas là : Votre père avait quitté Paris pour Nice parce qu'il pensait que la Côte d'Azur allait connaître un développement spectaculaire. Elle est bonne, l'allusion ! Il y a mieux : après les Camps, votre libération est loin d'être la fin de vos malheurs sans nom . Oui, parce qu'après il faut affronter les vrais trains de la mort ( des trains entiers partaient régulièrement pour l'Angleterre ou pour les Pays-Bas afin de permettre à des femmes des classes aisées de se faire avorter ), comme si l'avortement, avant la loi Veil, justement, supposait — c'est ce que le texte dit — que les femmes étaient déportées pour ne pas mettre au monde...
Cerise sur le gâteau : l'Europe, car notre adorateur ne s'en remettra jamais, de l'échec de Giscard : Votre conception de l'Europe a fini par évoluer. Vous croyez moins désormais à un édifice européen monolithique qu'à un agrégat de nations.
Jean d'Ormesson avait introduit Marguerite Yourcenar à l'Académie française. Nous sommes en d'autres temps. Dans cette société d'admiration mutuelle , comme dit le vieux ponte, tout le monde a sa place à l'Académie : le présentateur télé, la comédienne, le fumeur repenti... Cette prose tartufe nous l'aura rappelé.
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