Article rédigé par Antoine Besson, le 06 août 2011
[SERIE D'ETE] Dans le troisième volet de notre série d'été sur la saga des Harry Potter et ses enseignements philosophiques, libertepolitique.com propose de décrypter les amorces de réflexion contenues dans le discours de Dumbledore. Cette analyse ne prétendra pas faire l'inventaire des intentions de J.K. Rowling, l'auteur des romans, ou l'apologie d'une sagesse inhérente à cette fiction. Cependant, la lecture de ces tomes peut être, à notre sens, l'occasion d'un vrai dialogue avec le lecteur sur nombre de points essentiels et philosophiques. Le directeur de Poudlard est le personnage qui offre les plus nombreuses occasions de réflexions philosophiques. Petit pot pourri de citations des premiers tomes et pistes de réflexion à l'usage des parents de lecteurs.
Harry Potter à l'école des sorciers ou Dumbledore à l'école des Grecs
"Mais ce miroir ne peut nous apporter ni la connaissance, ni la vérité." (L'école des sorciers, p. 212)
Dans L'école des sorciers, Dumbledore cherche à dissuader Harry de se perdre dans la contemplation du miroir du Riséd, un miroir qui montre à celui qui se regarde dedans ce qu'il désire le plus au monde. Au-delà du simple avertissement, son exhortation semble mettre en avant la connaissance et la vérité, deux réalités dont le sens nous échappe parfois.
Par la négative, Dumbledore pourrait inviter le héros à la véritable contemplation philosophique et non celle, artificielle et changeante, de nos simples désirs. Connaissance et vérité apparaissent dans sa bouche comme aimables en elles-mêmes, et donc désirables. Mieux, le vieux professeur semble en faire le véritable but de la vie, ce pour quoi il vaut la peine de vivre, de chercher, voire de lutter. L'arrachement au miroir et à ses mirages sera en effet une lutte pour Harry.
Derrière le discours de Dumbledore, le lecteur pourrait retrouver la perspective aristotélicienne et platonicienne : la connaissance est le bien ultime de l'homme parce qu'elle correspond à un désir profond de ce dernier : tous les hommes ont par nature le désir de connaître[1]. La connaissance spéculative, celle qui est voulue pour elle-même, simplement parce que savoir est un bien, est le meilleur bien de l'homme parce que ce n'est pas une finalité servile, ni un moyen. Contrairement à la connaissance pratique, elle ne consiste pas à savoir pour faire, mais à savoir pour savoir. Elle est donc une connaissance caractérisée par la recherche de la conformité à la réalité étudiée, c'est-à-dire à une connaissance vraie. La vérité est une, connaissable, atteignable, et c'est le but de la vie.
Dans le monde relativiste qui est le nôtre, voilà une belle leçon de Dumbledore, qui nous met à l'école des Grecs, et une toute aussi bonne occasion de méditer avec les lecteurs sur le sens de nos vies, l'apprentissage des connaissances et la vérité.
"des hommes ont dépéri ou sont devenus fous en contemplant ce qu'ils voyaient, car ils ne savaient pas si ce que le miroir leur montrait était réel, ou même possible. [...] Ça ne fait pas grand bien de s'installer dans les rêves en oubliant de vivre, souviens-toi de ça." (L'école des sorciers, p. 212).
La suite du propos sur le miroir du Riséd est également riche en pistes de réflexion, notamment pour notre société du virtuel, de la télé-réalité et des groupes sociaux...
Rêver, c'est bien ; mais ce n'est qu'un bien partiel qui peut devenir comme une fuite, et même comme une drogue ! Quand l'onirique prend le pas sur l'empirique, c'est l'ordre même du réel qui est inversé. Les paradis artificiels de toutes sortes donnent l'illusion du bonheur, de l'achèvement, d'une vie réussie. Mais dans la réalité, celui qui s'y livre oublie de vivre c'est-à-dire ne vit pas ! À force de se réfugier dans un monde parallèle, les repères se brisent, le bon sens est brouillé, l'art d'être un homme se perd. C'est au fond toute la vie de l'homme qui est en danger, parce qu'il ne peut plus – ou ne veut plus – déployer ses capacités réelles. À quoi bon être vertueux ? À quoi bon mener une vie juste ? Pourquoi se démener pour accomplir quoi que ce soit, alors que le rêve offre tant de possibilités et souvent sans effort ?
Une fois de plus, Dumbledore semble rejoindre la sagesse grecque : l'acte – l'existence réelle – est toujours préférable à la puissance – la simple potentialité ou virtualité. Vivre, c'est agir ; être heureux, c'est être actif ! Le tout, en prenant en compte la réalité de notre personne, la réalité d'autrui et la réalité de ce monde – sans doute imparfait – dans lequel nous vivons. Sinon, on prend le risque de vivre comme un légume ou, comme le dit Dumbledore, de devenir fou. Le rêve n'est bon et aimable qu'à la condition d'être au service d'un projet réel, pour un bien réel.
Là encore, cette citation de Dumbledore est une occasion d'un dialogue et d'une prise de conscience avec le lecteur des dangers de la virtualité qui nous entoure et l'occasion peut-être d'aborder la question des priorités.
La Chambre des secrets ou le secret de l'homme et son bonheur
"Ce sont nos choix, Harry, qui montrent ce que nous sommes vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes" (La Chambre des secrets, p. 349).
Nombreux sont les lecteurs qui ont relevé cette maxime. On pourrait dire que c'est la version moderne du fameux Deviens ce que tu es. Les hommes ont en commun un certain nombre de capacités, d'aptitudes : se nourrir, grandir, se reproduire, sentir, imaginer, se souvenir, penser, vouloir. Ils ont aussi des dons différents : les uns sont doués pour le sport, d'autres pour les arts ou la finance... Mais ces capacités, si elles ne sont pas utilisées, sont en fait des talents gâchés, qu'on a oublié de faire fructifier. Ces dons, si extraordinaires soient-ils, sont perdus si l'on n'en fait rien, si on n'agit pas.
La personnalité d'un homme et finalement son bonheur ne dépendent pas de ses compétences qui sont reçues sans mérite de sa part. Ce qui fait une vie belle et bonne, ce sont les actes de la personne. Bien entendu, ce qu'il fait dépendra toujours de ce qu'il pourra faire. Mais s'il donne le meilleur de lui-même, il se perfectionne en tant qu'homme. Est heureux celui qui utilise à pleine puissance ses aptitudes, même si elles ne sont pas extraordinaires. En revanche, celui qui se contente de vivoter, même s'il a des dons extraordinaires, passera à côté de sa vie... et de son bonheur !
C'est par nos actes, par nos choix concrets, que nous devenons ce que nous sommes vraiment. Et c'est pour cela que ce sont ces choix qui montrent ce que nous sommes. Aristote n'aurait pas mieux dit : on ne récompense pas – ni ne blâme – quelqu'un pour ce qu'il aurait pu faire ou pourrait faire, mais pour ce qu'il fait ou a réellement fait.
Ici, Dumbledore fait sienne une maxime qui pourrait être celle de nombreux parents : ne te regarde pas sans cesse, ne sois pas un égocentrique qui se complaît dans l'admiration ou dans la critique de soi-même ; mais vis à pleine puissance. Alors tu seras heureux.
Le Prisonnier d'Azkaban ou des conséquences de nos actes
"Les conséquences de nos actions sont toujours si complexes, si diverses, que prévoir l'avenir est une entreprise bien difficile..." (Le Prisonnier d'Azkaban, p. 453.)
Ici la leçon est double. Comme tout au long de la saga, il y a une critique en règle de la divination, de la prédiction de l'avenir et de la crédulité de ceux qui se fient à leur horoscope. La description du personnage du Professeur Trelawney, y compris dans la bouche de Dumbledore, suffit à illustrer ce point :
Mais cette sentence nous indique aussi que le discernement prudentiel n'est pas celui habituel de l'homme. Beaucoup pensent que, pour savoir ce que l'on doit faire à tel ou tel moment de sa vie, il faut prendre en compte les conséquences de nos actes. C'est une piste intéressante mais qui est très partielle, voire inopérante. En effet, il n'est jamais possible d'envisager toutes les conséquences de nos actes : nous ne pouvons pas prévoir ce qui va s'en suivre de même que nous sommes incapable de prédire l'avenir. Le registre de l'acte humain est celui de la contingence, c'est-à-dire des possibles. Tout peut arriver tant que ce n'est pas arrivé. Les conséquences de nos actes dépendent en effet à la fois de l'ordre de la nature, qui nous échappe, et des décisions d'autrui que nous ne contrôlons pas. C'est ce qui explique la nécessité du discernement prudentiel qui s'opère en composant les principes valables pour tout homme et les circonstances dans lesquelles on se trouve présentement.
Il y aura évidemment des conséquences à nos actes. Nous ne pouvons pas toutes les prévoir parce qu'elles ne dépendent pas seulement de nous et qu'elles sont contingentes. Bien entendu, il faut se demander ce que nos choix entraîneront comme effets. Mais pour agir bien, l'essentiel est d'agir en conformité avec la nature de l'homme en tenant compte du lieu, du temps où nous nous trouvons, de la personne d'autrui, de notre propre personne, etc...
La coupe de feu ou le dépassement de soi pour le bien
"si un jour vous avez à choisir entre le bien et la facilité, souvenez-vous de ce qui est arrivé à un garçon qui était bon, fraternel et courageux, simplement parce qu'il a croisé le chemin de Lord Voldemort" (La coupe de feu, p. 754)
C'est la conditionnelle qui est ici capitale. En quelques mots, Dumbledore rappelle qu'il y a une différence essentielle entre le bien réel et le bien apparent. Celui-ci semble très souvent agréable, plaisant ou facile. C'est tantôt l'argent, tantôt le plaisir, tantôt la gloire. Ou encore la multitude des choses qui sont en fait des moyens et non pas des fins. Dumbledore rappelle ici que le vrai bien, celui qui est une finalité parce qu'il accomplit la nature de l'homme, va très souvent de pair avec l'effort, le dépassement de soi, une certaine discipline et une exigence qui peut aller jusqu'à la bravoure : la vertu. Le vrai bien n'est pas facile, surtout au début. Cent fois sur le métier, il faut remettre son ouvrage, y compris au plan moral.
C'est une leçon de vie pertinente dans notre monde où tout nous est de plus en plus facilité. Le lecteur aura souvent à choisir entre ce qui est facile et ce qui est bien. Le bien a parfois une apparence repoussante pour la sensibilité, mais il est toujours désirable pour notre volonté si elle est convenablement éclairée par notre intelligence. Le cas de Cédric est exemplaire parce qu'il n'a pas choisi de s'arrêter dans le labyrinthe (abandonner), de fuir l'épreuve ni de rejoindre les mangemorts (céder au mal) : il est allé jusqu'au bout de lui-même... pour un bien plus grand qui dépasse à ce moment-là tous les élèves présents à Poudlard. Dumbledore, en tant que directeur d'école, rappelle à ses élèves un principe éducatif capital qui est aussi vrai pour tous les élèves de Poudlard que pour tous les lecteurs de la saga des Harry Potter.
A lire également :
- Les dangers spirituels de la magie (1/6)
- Voldemort : une allégorie du mal dans Harry Potter ? (2/6)
- Dumbledore, l'homme sage dans Harry Potter ? (3/6)
- Poudlard, une école de vie ? (4/6)
- Le jugement moral dans Harry Potter (5/6)
- Ron et Hermione, les leçons sur l'amitié (6/6)
- Harry Potter : ange ou démon ? (conclusion)
Cette série d'articles est réalisée avec l'aimable collaboration d'Antoine Gazeaud, enseignant en philosophie à la faculté de philosophie de l'Institut catholique de Toulouse.
[1] Aristote, Métaphysique, I, 1, 980a 20.
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