Éthiquement correct : les mots pour le dire
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 02 février 2007

Alors que la controverse sur le Téléthon battait son plein, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, préconisait ni plus ni moins que l'autorisation du clonage embryonnaire [1].

Sous la signature de son rapporteur, le député PS Alain Claeys, on apprenait que cette transgression majeure n'était au fond qu'une simple transposition nucléaire, formule dont on nous dit qu'elle a le mérite de ne pas choquer la communis opinio.

Le procédé n'est pas neuf. L'été dernier, le Rapport Fagniez était remis en catimini au Premier ministre. Son rédacteur, député UMP quant à lui, y demandait aussi un changement de terminologie dans l'une de ses propositions conclusives, optant pour le terme de transfert nucléaire somatique [2]. S'interrogeant sans rire pour savoir si l'embryon cloné est assimilable à un embryon humain, Pierre-Louis Fagniez s'appuyait sur Henri Atlan pour demander qu'on ne le considère comme un être naturel mais comme un artefact ou une unité embryoïde . Lé député évoquait également les travaux des scientifiques asiatiques qui préfèrent faire référence quant à eux au terme de blastocystes de transfert nucléaire .

Dans 1984, George Orwell met en scène une cité terrifiante où la mainmise du pouvoir politique sur l'homme passe par le novlangue, la mainmise du langage. Y serions-nous parvenus ?

Le novlangue a pour but est de réduire le domaine de la pensée en appauvrissant les concepts et en manipulant les idées. Un des ressorts principaux des totalitarismes est en effet la destruction de la langue comme un des meilleurs moyens de destruction de l'humanité de l'homme. De nos jours, on a aussi recours à une discipline de langage, où l'éthiquement sensible se mue en éthiquement correct. Il s'agit d'un langage qui dit le Bien et le Juste en camouflant la réalité. Disciples ingénus du novlangue orwellien, nous forgeons de nouvelles expressions, qui parce qu'elles sont choisies pour être neutres, le moins-disant possibles, font échec au réel, à sa complexité, donc à la vérité.

Nous parlons ainsi d'interruption volontaire de grossesse, d'IVG au lieu d'avortement – on interrompt la vie d'un enfant comme si elle pouvait reprendre un peu plus tard – nous employons l'expression mourir dans la dignité pour désigner l'euthanasie (les Hollandais préférant celle d'interruption volontaire de la vie). La pilule du lendemain masque un avortement chimique, le préembryon ou amas cellulaire préimplantatoire qualifie le jeune être humain pour le donner plus facilement à la science, les diagnostics prénatal et préimplantatoire occultent des pratiques eugénistes massives et la transposition nucléaire n'est bien que l'autre nom du clonage. La réduction embryonnaire n'est ni plus ni moins que l'élimination d'un jumeau dans le sein de sa mère suite à une procréation artificielle et la santé reproductive est le cheval de bataille des agences internationales onusiennes pour diffuser l'avortement au cœur des pays en voie de développement jugés trop féconds. Nous pourrions allonger cette liste...

Des mots qui tuent

La culture de mort est de fait le vecteur de nouveaux mots, d'un discours obligé et conformiste, qui camouflent des pratiques et des ordres implacables, dans l'espoir que ce qui n'est pas nommé ne sera pas défendu et cessera rapidement d'exister. Dans la langue de l'éthiquement correct, le mot n'est plus un instrument pour désigner mais pour interdire à certaines idées d'accéder à la conscience. Ce nominalisme idéologique établit un nouveau lexique se substituant à la réalité pour mieux l'asservir. Le discours bioéthique est devenu un verbiage qui dessert la vérité, une arme stratégique pour justifier le désir de transgression d'une minorité.

Comment débattre honnêtement avec des protagonistes qui ont autorité pour redéfinir les mots en aménageant a priori la réalité en fonction des buts qu'ils se fixent avant toute discussion ? Ils rêvent de bâtir une construction procédant de leur seul vouloir et de leur seule action, explique Michel Schooyans. Les locuteurs s'auto-légitiment en s'appropriant le pouvoir de définir le langage et en utilisant les mots pour modeler l'homme à leur convenance, pour construire le monde et la société qui leur convient [3].

En outre, ce nouveau code moral qui prend sa source dans des sociétés qui se proclament libres et tolérantes, sécrétera des lois qui condamneront les propos inconvenants : délit d'entrave à l'IVG, discrimination homophobe,... L'homme moderne à qui l'on dit qu'il est émancipé n'est pas celui qui agit selon un choix libre et réfléchi mais celui qui adopte les normes morales en cours. Caesar dominus et supra grammaticam, le pouvoir de César s'étend même sur la grammaire, dit l'adage. Parce que mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde , selon le mot célèbre de Camus, l'Église nous invite – c'est bien tout l'objet du Lexique des termes ambigus et controversés sur la famille, la vie et les questions éthiques qu'elle a fait publier il y a quelque temps – à ne pas nous soumettre à cette discipline de parole et à proclamer avec courage la vérité. Une vigilance de tous les instants s'impose en effet pour scruter et ausculter ce langage conventionnel et convenu afin de dévoiler les intérêts obscurs auxquels il collabore.

 

*Pierre-Olivier Arduin, responsable de la Commission Bioéthique et Vie humaine pour le diocèse de Fréjus-Toulon.

[1]Alain Claeys, Les recherches sur le fonctionnement des cellules humaines, Rapport n. 3498, Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, 6 décembre 2006, p. 154.

[2] Pierre-Louis Fagniez, Cellules souches et choix éthiques, Rapport au Premier ministre, La Documentation française, 26 juillet 2006.

[3] Michel Schooyans, Le Terrorisme à visage humain, François-Xavier de Guibert, Paris, 2006, p. 103.

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