En marge de la réforme de l'ONU, un grand défi : faut-il recoloniser l'Afrique ?
Article rédigé par Jean Flouriot, le 16 septembre 2005

Faut-il recoloniser l'Afrique ? Guerres, famines, violences en tout genre, catastrophes naturelles aux conséquences dramatiques, instabilité politique, affrontements ethniques, etc. L'impression donnée par les médias est celle d'un continent bouleversé, de populations abandonnées, d'états déliquescents.

Cette impression est une réalité dans de nombreuses grandes villes, dans les camps de réfugiés, dans les zones de guerre. Et la question nous est posée par des Africains désespérant de leurs gouvernants. Sur 44 résolutions du Conseil de sécurité des Nations-unies votées cette année, 22 concernent l'Afrique.

De fait, plusieurs pays africains sont soumis à une sorte de tutelle internationale. Sur les 18 missions de maintien de la paix entretenues par l'ONU, 9 sont en Afrique : le Congo abrite une "MONUC" (Mission de l'Organisation des Nations-unies au Congo), la Côte d'Ivoire une "MONUCI", le Liberia et la Sierra Leone sont dans la même situation. Au Soudan, c'est une mission de l'Union africaine qui tente de pacifier le Darfour.

Le rôle de ces missions de maintien ou de recherche de la paix est plus ou moins étendu selon la capacité du gouvernement national à maîtriser le pays. Ces missions comportent une composante militaire mais aussi des instances politiques en relation avec les gouvernements locaux. Au Liberia, les Nations-unies viennent d'installer une Commission gouvernementale qui prend en charge de façon directe une grande partie de l'administration du pays (RFI 14.09.05).

Les opérations de l'ONU sont accompagnées d'interventions bilatérales (opération française Licorne en Côte d'Ivoire, par exemple) et entraînent dans leur sillage d'innombrables ONG internationales spécialisées ou non dont les activités d'urgence deviennent de plus en plus pérennes...

Ces opérations sont fort coûteuses, la MONUC consomme plus de 2 millions de dollars par jour, mais ne semblent pas suffisantes pour atteindre leurs objectifs. Le Conseil de sécurité vient d'augmenter les effectifs de la MONUC et de la MONUCI. Et les opérations militaires ne sont pas des sinécures : les forces engagées doivent faire face à des situations de combat et enregistrent des pertes en hommes.

La collaboration des gouvernements nationaux n'est pas forcément acquise à ces interventions : le public français est au courant des engagements jamais tenus du gouvernement de Laurent Gbagbo et des Forces nouvelles en Côte d'Ivoire, il connaît moins les soubresauts de la "transition" en République Démocratique du Congo. La communauté internationale est interpellée chaque fois que les carences des gouvernants deviennent trop apparentes et sommée de pallier leurs insuffisances, excusées par la situation de " sortie de guerre " du pays.

Ainsi, le processus électoral qui devait aboutir le 30 juin dernier en RD Congo en est encore au recensement des électeurs, entièrement soutenu par des financements internationaux : le gouvernement n'a mis aucun moyen matériel et humain à la disposition de la Commission électorale indépendante (CEI) alors que le président, les quatre vice-présidents, les 60 ministres et vice ministres et les 600 députés et sénateurs consomment 60 % des recettes propres du pays. Il faut noter, au passage, que le budget est alimenté pour 50 % par des apports de fonds extérieurs. Il est de plus en plus évident pour la population congolaise que ses gouvernants se sont installés dans la " transition ", qu'ils y prospèrent et n'ont pas l'intention de la voir aboutir.

Alors faut-il aller plus loin, s'investir d'avantage dans la gestion du pays ? La grande misère de la population, l'incapacité à remettre en route les grands services publics (la rentrée scolaire n'a pas lieu en RD Congo en raison d'une grève des enseignants qui exigent un salaire équivalent à 80 euros par mois alors que le gouvernement ne leur en propose que le tiers...), peuvent plaider pour encore plus d'interventionnisme. En RD Congo, le Comité international d'appui à la Transition (le CIAT) veut mettre en place une commission mixte de "bonne gouvernance" qui soulève des protestations : selon une expression éprouvée, cette Commission porterait atteinte à la souveraineté nationale ! Comment la bonne gouvernance pourra-t-elle s'imposer lorsque se manifestera une "opinion publique" manipulée par les réseaux clientélistes et la solidarité ethnique ?

Et, finalement, ces interventions extérieures qui imposent la "non guerre" plutôt que la paix, quel objet ont-elles ? Le bien des populations ou plus simplement sont-elles dues à la nécessité de tempérer des processus historiques violents qui ont des conséquences sensibles sur les mouvements migratoires vers l'Europe ?

Car l'Afrique au sud du Sahara est un continent en devenir. Plus de la moitié de sa population a moins de 20 ans et sa croissance démographique, même si les taux de fécondité connaissent partout une baisse sensible, entraîne le doublement de sa population à chaque génération. Dans un contexte de faible développement économique, la croissance de la population est absorbée par l'urbanisation, la recherche de nouveaux espaces agricoles et les migrations, bien plus importantes sur le continent lui-même que vers l'extérieur.

En fait, l'Afrique construit son expérience historique. Les sociétés apprennent, douloureusement, les exigences de l'ouverture au monde initiée par la période coloniale. En un siècle ont surgi des pays de plusieurs centaines de milliers de km2, des villes de plusieurs millions d'habitants ; ces millions d'urbains ont pratiquement tous accès à la télévision d'où ils tirent une image bien déformée de la planète.

Alors, faut-il recoloniser l'Afrique ? c'est évidemment impossible. Ses peuples ont à faire un dur apprentissage qui nécessite le temps long, séculaire, celui des générations. Ce que nous pouvons faire, c'est accompagner avec sympathie, avec un véritable amour, celui qui veut le bien de l'autre, les processus en cours. C'est la mise en action de la vertu d'espérance.

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