Article rédigé par Philippe Oswald, le 22 décembre 2011
Bien sympathiques et d’une édifiante générosité, ces fondateurs des « poissons roses » entendus sur Radio Notre-Dame (émission Le Grand Témoin du 13/12/11).
Philippe de Roux, ex-UMP, « poisson pilote », et Nestor Dosso, conseiller municipal PS, « poisson copilote », veulent agir chrétiennement en politique : « Nous sommes des chrétiens, impatients de libérer notre parole et d’être des artisans de justice et de paix. Nous voulons rassembler toutes les personnes de bonne volonté, croyantes ou non, car le message de l’Evangile est universel », déclarent-ils sur leur site. Engagés tous deux dans l’action sociale et humanitaire, ils veulent légitimement aller plus loin : « Nous souhaitons que ce désir de changement ne se limite pas au champ de l’initiative associative mais qu’il soit à la source des décisions politiques de notre pays. » Leur ennemi, c’est « l’idéologie libérale » définie comme « un système instaurant la prédominance des intérêts économiques sur les intérêts humains et la réduction de la valeur des êtres et des choses à une valeur marchande. Les conséquences de cette pensée dominante touchent à la fois le fonctionnement de l’économie, l’équilibre de notre planète et les rapports les plus intimes entre les personnes. »
Bien vu. Le libéralisme érige en effet la liberté en principe premier et absolu devant lequel tout le reste doit plier, au point, expliquait Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium vitae, que « la vie en société en est profondément altérée ». En effet, expliquait le pape, une telle liberté « ne reconnaît plus et ne respecte plus son lien constitutif avec la vérité... Ainsi disparaît toute référence à des valeurs communes et à une vérité absolue pour tous: la vie sociale s'aventure dans les sables mouvants d'un relativisme absolu. Alors, tout est matière à convention, tout est négociable, même le premier des droits fondamentaux, le droit à la vie. » [E.V.n°19 et 20.]
C’est sur la base d’une semblable constatation que nos « poissons roses » ont décidé de faire un acte de « naïveté lucide », comme a dit l’un d’eux sur Radio Notre-Dame. Ils sont « sortis du bocal » des initiatives privées et nous invitent à les imiter pour plonger avec eux… dans le bocal du PS ! « Le Parti Socialiste, nourri par ses divers courants, qui met au centre de son programme la nécessité de la lutte contre les inégalités, nous semble davantage capable de faire évoluer le modèle dominant et de relever les défis du 21ème siècle » lit-on encore sur leur site. Voilà qui est surprenant. L’image du PS n’est pas précisément celle d’un parti en état de relever quelque défi que ce soit, à commencer par celui de ses propres divisions… Mais passons, puisque Philippe et Nestor concèdent que « le PS a besoin de renouveler son programme et son langage, parfois prisonnier d’une vision obsolète ». La lucidité de nos deux poissons semble plus gravement en cause lorsqu’ils présentent le PS comme « l’un des partis modérés » dans lequel un chrétien pourrait s’engager en toute bonne conscience. Modéré, un parti dont le programme, faute de réussir à se démarquer réellement de son frère ennemi libéral sur le plan économique, se présente en fer de lance du libéralisme moral le plus débridé au point de condamner l’UMP à un pitoyable suivisme ? Du « droit » à l’avortement à celui de l’euthanasie en passant par le « mariage » homosexuel et par l’expérimentation sur l’embryon, le PS n’épargne aucun des principes définis comme « non négociables » par le magistère de l’Eglise (cf la Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi à propos de questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, 24 novembre 2002). Ce qui est en cause, expliquait le cardinal Ratzinger dans cette note devenue célèbre, c’est « une juste conception de la personne », principe sur lequel « l'engagement des catholiques ne peut céder à aucun compromis. Sinon c'est le témoignage de la foi chrétienne dans le monde qui serait atteint, ainsi que l'unité et la cohérence intérieure des fidèles eux-mêmes.»
C’est en effet sur la cohérence de leur démarche que devraient s’interroger nos « poissons roses ». Les discussions qu’ils affirment vouloir instaurer au sein du PS sur les questions éthiques en invitant les catholiques et tous les hommes de bonne volonté à les rejoindre, n’ont aucune chance d’aboutir sauf à remettre en cause le « bocal » lui-même. La vision de l’homme, de sa nature et de sa destinée, dont s’inspire le socialisme réputé « modéré », reste celle du matérialisme athée. Son inspiration antichrétienne est même plus radicale que jamais, puisqu’elle joint à l’utopie du paradis sur terre par l’organisation sociale étatique, l’utopie de l’individu roi, maître du bien et du mal, chargé de s’auto-créer en se livrant à toutes les « avancées » du libertarisme à la remorque de la techno-science. Suggérons donc fraternellement aux « poissons roses » de ne pas réitérer avec ce socialisme libertaire la calamiteuse expérience de ces chrétiens des années soixante qu’une générosité mal inspirée poussa à devenir les « compagnons de route » du communisme triomphant. Libéral ou socialiste, le matérialisme consumériste du XXIe siècle n’est pas moins redoutable pour l’humanité que les totalitarismes ennemis du XXe. Chers « poissons roses » n’espérez pas nager à contre-courant en marinant dans ces eaux-là !