Article rédigé par Jean-Marc Nesme, le 06 février 2004
Ce projet de loi me rend perplexe et je m'abstiendrai de le voter car il est une mauvaise réponse à un vrai problème ou, si l'on veut, une fausse bonne idée.
L'article 1er de notre Constitution stipule que " la France est une République laïque ". La Constitution, étant la règle suprême, s'impose à tous. Et qui ne respecte pas la loi suprême, ne respectera pas une loi de circonstance ! Alors, pourquoi promulguer une loi spécifique interdisant les signes religieux ostensibles à l'école laïque alors que l'on sait qu'elle sera inapplicable comme le sont les règlements internes actuels ?
Que cache cette redondance de textes qui risque de tuer toute confiance dans le droit ?
Pourquoi un texte particulier sur la laïcité serait-il plus clair que l'affirmation constitutionnelle du principe lui-même alors que les exégètes ne sont d'accord ni sur les adjectifs (visibles, ostensibles, ostentatoires) ni sur les qualificatifs (signe religieux ou politique) ?
Comment réagira l'opinion dont on connaît la versatilité lorsqu'elle découvrira sur les écrans de télévision qu'une jeune lycéenne catholique ou protestante ou juive ou musulmane est expulsée par la police, de son établissement scolaire ! Cette loi est du pain béni pour les intégristes qui " accueilleront " avec joie et intérêt ces jeunes mis au ban du laïcisme officiel, pour mieux les embrigader. À l'inverse, si la loi n'est pas appliquée, l'État aura, une fois de plus, perdu toute autorité et les intégristes connaîtront une nouvelle victoire avant de préparer et de mettre en œuvre d'autres actions pour tester la résistance républicaine de la France. Cette loi est dangereuse parce qu'elle est une loi de circonstance.
Faudra t-il une autre loi pour dire que notre République est ostensiblement ou ostentatoirement laïque ? Faudra-t-il une loi pour les hôpitaux, une pour les services de l'État, une pour les services municipaux, une pour les cantines scolaires, une pour les piscines... ?
Et l'intégrisme laïque aidant, y aura-t-il, dans l'avenir, une loi pour détruire les calvaires, une pour retirer le mot " saint " du nom de milliers de communes de France, une pour interdire les expositions publiques des œuvres d'art d'inspiration chrétienne qui composent 80 % de notre patrimoine culturel, monumental, pictural, sculptural et musical, une pour rendre obligatoire, après chaque naissance le " baptême républicain "... ?
Pourquoi ouvrir la Boîte de Pandore et risquer de porter atteinte au fragile équilibre entre l'État et les religions ? Pourquoi risquer de raviver de vieilles querelles ? Pourquoi promulguer une loi qui est synonyme de marginalité sociale entraînant le repli communautariste ?
La laïcité, au sens exact du terme, n'a rien à voir avec ce texte de loi. Il est vrai que la notion en a été faussée, spécialement dans certains milieux – l'enseignement — et par certains courants de pensée appelés " libres penseurs " où elle s'est traduite en profession d'athéisme et en propagande athée, ce qui constitue, à l'évidence, une contre-laïcité. " Ainsi comprise, elle veut mettre sous le boisseau, écrivait Jean Foyer, ancien ministre de la Justice, l'expression de toute conviction religieuse ".
Or, au sens de la Constitution, la laïcité n'est pas cela. La laïcité de l'État est le respect intégral des religions et des croyances ; elle n'est pas le laïcisme. La laïcité est tout simplement la tolérance dont l'État est le garant. Le général de Gaulle l'avait bien compris lorsqu'il déclarait " la République est laïque, mais la France est chrétienne ". Si la République est laïque, la société civile, elle, ne l'est pas et, encore moins, laïciste. La vrai laïcité est celle qui contribue au meilleur " vivre ensemble ".
Alors, on nous dit que ce projet de loi est destiné à protéger les écoliers, les collégiens et les lycéens contre les situations tendant à créer un trouble à l'ordre public dans les établissements scolaires publics.
1- Cet argument est spécieux. L'apprentissage de la tolérance, du " vivre ensemble ", du respect de l'autre se fait dès l'adolescence. Faire des adolescents des " abstractions " et faire des établissements scolaires des " sanctuaires " coupés des réalités et du monde extérieur sont le plus sûr moyen de construire une société d'irresponsables, de plus en plus intolérante et individualiste.
C'est de l'ignorance que naissent les haines.
La vraie question n'est donc pas de supprimer les signes religieux à l'école, c'est d'y enseigner le fait religieux car, comme l'écrivait Régis Debray, dans son rapport de février 2002, " l'histoire des religions peut prendre sa pleine pertinence éducative, comme moyen de raccorder le court au long terme, en retrouvant les enchaînements, les engendrements longs propres à l'humanitude, que tend à gommer la sphère audiovisuelle, apothéose répétitive de l'instant ".
2- Cet argument est contraire aux conventions internationales que la France a ratifiées et signées. Dans ses articles 13 et 14, la Convention internationale des droits de l'enfant (O.N.U. 1989) stipule que " les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion ". La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, où le mot laïcité n'apparaît jamais mais le mot religion dans quatre articles, affirme " la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ". Rien ne nous assure que la Cour européenne des droits de l'homme ne sanctionnera pas, dans le cadre d'un contentieux, ce projet de loi sur l'interdiction des signes religieux à l'école.
Cette loi est une loi d'amalgame. Promulguer une loi pour interdire le seul voile islamique n'aurait évidemment pas de sens et serait dangereux. Alors pour éviter le reproche de méconnaître l'égalité de traitement au détriment des seuls musulmans, il nous est proposé d'interdire tous les signes religieux.
On oublie qu'il y a bien longtemps que les élèves catholiques, protestants, juifs et une grande majorité d'élèves musulmans ne créent plus, pour des raisons religieuses, de trouble à l'ordre public dans les cités scolaires. Alors pourquoi une loi d'exclusion qui, sans discernement, met tout le monde dans le même sac ? Cette loi peut être considérée comme humiliante pour une grande majorité de croyants et attentatoire à leur foi.
Il ne faut pas répondre à un fondamentalisme groupusculaire musulman par un fondamentalisme laïciste généralisé.
Cette loi est une loi de déni. La République connaîtrait-elle une crise existentielle si grave qu'elle nierait l'apport du christianisme dans son Droit, dans ses Institutions et dans sa Culture ? Traversait-elle une telle épreuve pour refuser que la future Constitution européenne mentionne dans son préambule les racines chrétiennes de notre continent ?
Saint-Exupéry déclarait " qu'un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir ".
Je crains le " choc des civilisations ". L'histoire européenne du XXe siècle qui a connu les plus grands conflits et génocides devrait nous apprendre que le déni, la cécité intellectuelle et le manque de courage peuvent engendrer les pires catastrophes.
Ce n'est pas en niant ce que nous sommes, en niant ce qu'est notre civilisation, en niant les apports du christianisme que nous serons respectés par l'islam conquérant.
Ce projet de loi est inutile et disproportionné parce qu'il ne traite pas le fond des problèmes et qu'il ignore les groupuscules d'activistes islamiques qui, sous couvert de théologie, cherchent à mener des combats politiques contre la République, contre la France et contre l'Occident, exploitant la misère morale et matérielle d'une population dont les familles ont connu la colonisation et qui s'intègre mal dans notre société, à cause du chômage et de la ghettoïsation.
Mais il ne s'agit que de groupuscules.
S'il est prouvé que ces groupuscules s'apparentent à des sectes et à des groupes terroristes, appliquons les lois en vigueur. Si leurs agissements sont contraires aux Droits de l'Homme tels que nous les concevons (polygamie, répudiation, excision, mariages forcés), appliquons les lois en vigueur.
Promulguer une loi interdisant les signes religieux à l'école semble dérisoire et inutile face aux vrais problèmes.
Loin d'être un signe de soumission, sauf exceptions, le signe religieux est un signe d'appartenance et un signe identitaire. C'est un désir personnel fréquent chez les adolescents pour être reconnu dans leur dignité et dans leur singularité. Mais je préfère les signes religieux aux piercing et aux cheveux verts. Les premiers mènent les jeunes sur un chemin d'espérance ; les seconds les mènent dans une impasse.
Vouloir à tout prix affirmer une univocité du signe religieux s'apparente en réalité à une intolérance et à un jugement de type inquisitorial qui prétend sonder les reins et les cœurs et entend gouverner les consciences.
Au nom de quoi accepterait-on un ou une élève tatouée(e) ou portant des piercings qui peuvent être, eux, provocants et refuserait-on la croix, la kippa, le voile ? J'ajoute qu'il peut paraître assez paradoxale de refuser ces signes religieux au prétexte qu'il violerait la laïcité républicaine et la dignité des jeunes musulmanes voilées alors que la société marchande exhibe, dans la publicité, des corps de femmes nues dans des positions suggestives sans que les farouches défenseurs des vertus républicaines s'en offusquent aujourd'hui.
Notre République est dépressive ; elle doute d'elle-même et de ses valeurs ; alors, elle tente, pour se protéger, de se réfugier derrière des interdits religieux, interdits qu'elle érige, elle-même, en dogmes.
Dans ce projet de loi, les mauvaises questions sont posées ; il n'est pas étonnant qu'il renferme de mauvaises réponses.
Les vraies questions concernent le " vivre ensemble " dans une société complexe, multiculturelle et plurireligieuse.
On a besoin d'une symbolique forte pour dire que toute démocratie est fondée sur le " vivre ensemble ". Mais fallait-il, pour le dire, cette " petite loi " d'exclusion qui risque d'être une impasse.
C'est une République médiatrice qu'il nous faut.
Certes, il est de la responsabilité de l'État de défendre la liberté de conscience et de veiller à une coexistence sociale pacifique entre toutes les composantes de la société. Il est de sa responsabilité de s'opposer à toute forme de violence utilisée pour imposer autoritairement à la société sa foi religieuse.
Mais, si la République doit être vigilante, elle doit être avant tout accueillante et médiatrice, c'est-à-dire capable de mobiliser les familles spirituelles au service de la refondation du lien social, capable de renouveler la pratique d'une laïcité ouverte qui pourrait être la base d'une reconnaissance de la contribution des religions à la vie publique. Cela devrait commencer à l'école.
Ce projet de loi ne nous y conduit pas. Je m'abstiendrai donc de le voter.
Jean-Marc Nesme est député-maire de Paray-le-Monial. Intervention à l'Assemblée nationale, 3-5 février 2004.
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