Autre monde contre Nouveau monde
Article rédigé par Catherine Rouvier-Mexis, le 24 novembre 2003

Ce samedi 15 novembre, la Grande Arche de la Défense recevait le Forum du Nouveau Monde. Les Cercles libéraux lancés à la rentrée par Alain Madelin tenaient en effet leur premier colloque dans ce décor futuriste.

Thème des débats : " Les quatre vérités de la mondialisation. "

Il y fut beaucoup question des " altermondialistes ", de l'appartenance de leur président actuel au Parti communiste, du fait que la taxe Tobin n'avait pas du tout été voulue par son auteur dans l'optique de l'" altermondialisme " mais au contraire pour améliorer le fonctionnement du marché financier, de l'effet purement médiatique d'une exigence d'annulation de la dette des pays pauvres qui est en réalité, de fait, régulièrement annulée... Le docteur Malhuret, maire de Vichy et ancien président de Médecins sans frontières se surpassa dans cet exercice où il fut fort applaudi. On y dénonça aussi les institutions du vieux monde, l'ONU par exemple, totalement inadaptée aux nouvel ordre international.

Mais il fut aussi question du " Nouveau Monde " que les nouvelles grandes découvertes, essentiellement technologiques, ouvrent a nos yeux émerveillés.

Pierre Bellanger, le fondateur et président de Skyrock annonça ainsi qu'en 2002 la quantité de textes disponibles sur Internet était 500.000 fois celle que contient la plus grande bibliothèque du monde, celle du Congrès américain, et loua la " presque gratuité " de ce nouveau mode de communication qui permet à 633 millions de personnes aujourd'hui de s'inviter en permanence à ce " salon de café mondial ", du village le plus reculé, de la région la plus désertique... Il souligna combien l'enjeu était important. La moitié de la population du monde a moins de 25 ans et 90 % de cette jeunesse vient des pays en voie de développement. Or ce sont eux qui font exploser Internet et la téléphonie mobile qui se développe de 100 % par an en Afrique et en Asie. L'enjeu est culturel et politique — Internet permet " d'éclairer les choix et de faire respecter les droits ", et le téléphone mobile autorise la concertation et l'action rapide – mais aussi économique : sept à huit millions d'abonnés au téléphone mobile de plus en Chine par mois, un chiffre qui fait rêver...

Un nouveau monde ou l'amour et l'intelligence pourraient avoir droit de cité, comme l'a exposé Max-Henri Boulois, soulignant comment lui, et tant d'autres Africains nés dans la brousse africaine, avaient pu, " simplement parce qu'il avait des muscles " venir en Europe, et , pour certains devenir richissimes, et comment il fallait œuvrer pour que demain ce qui est possible dans le domaine du sport le soit dans celui de l'intelligence. Il donna comme exemple de progrès l'évolution des Jeux olympiques depuis Coubertin qui ne connaissait " ni les pauvres, ni les femmes, ni les noirs ". Aujourd'hui, le sport est le lieu ou il n'y a pas de ségrégation. " J'ai su que j'étais Noir quand j'ai quitté le sport " a-t-il dit sans se départir, pourtant, de sa bonne humeur.

Les inconvénients de la mondialisation, qui comme Internet, " multiplie le bien comme le mal ", accroît les marginalisations (davantage de lignes téléphoniques à Manhattan que dans toute l'Afrique), laisse de côté " les 4 milliards d'humains qui ne parlent pas anglais, le milliard qui ne sait pas lire, le milliard et demi qui n'a pas le téléphone ", ne furent pas sous estimés.

Mais – et c'est là que la différence originelle entre libéralisme et socialisme réapparaît – de ce constat on tire dans chaque camp des conclusions opposées. Si, pour les " altermondialistes ", il faut s'attaquer à ces institutions internationales que les hommes ont construites, parce qu'elles sont imparfaites, pour ceux qu'on pourrait appeler les " néomondialistes " il faut, de même qu'on a dépassé en excellence Coubertin dont le projet était pourtant déjà excellent, dépasser l'existant en le perfectionnant grâce notamment aux technologies ébouriffantes de ce début de troisième millénaire.

À la journée des " quatre vérités de la mondialisation ", il n'y avait pas d'espace jeux et de spectacles comme au Forum social européen, mais le spectacle était dans la salle, et il était dans l'ensemble, plutôt revigorant.

 

> Pour en savoir plus sur l'" altermondialisme " :

Extraits de Catherine Rouvier, Sociologie politique, n. 308-309-310 (Litec, à paraître en février 2004) :

308.- Les " alter-mondialistes " n'ont commencé vraiment à faire parler d'eux qu'avec les émeutes du sommet de Cologne en 1999, à Seattle, puis à Gênes en 2001 lors de la tenue du G8. L'altermondialisme constitue une sorte de radicalisation du mouvement écologiste. Multiforme, cette nébuleuse est née avec la création du Forum " anti-Davos ", le Forum social mondial de Porto Alegre (Brésil) de 2001. Ce rassemblement connaîtra un succès grandissant (15.000 participants en 2001, 50.000 en 2002, 100.000 en 2003...). Le Forum social européen qui s'est tenu en novembre 2003 à Saint-Denis (Ile-de-France) en est la version régionale (50.000 participants).

C'est le Parti des Travailleurs brésilien (PT) qui a porté le mouvement altermondialiste sur les fonts baptismaux. Rendu maître de la ville de Porto Alegre en 1989, puis de l'État du Rio Grande, le PT porte son chef, Lula, à la présidence de la République brésilienne. Avec le Brésil, la France est devenue la seconde base active du mouvement. On y retrouve la Confédération paysanne de José Bové et le mouvement ATTAC fondé par Bernard Cassen, dont le président actuel est Jacques Nikonoff, membre du Parti communiste.

309.- L'action de ces mouvements est toujours spectaculaire, violente (en France contre les plantations de maïs transgénique, ou les fast food...). Mais la formation et l'information ne sont pas négligés.

Des livres, des tracts, des sites Internet :

1/ dénoncent les ennemis : le FMI, la Banque mondiale, l'OMC, l'OCDE, la Banque centrale européenne, les États-Unis, les multinationales, le libéralisme, ou plus précisément la mondialisation des échanges et sa réglementation actuelle jugée " ultra libérale " ;

2/ donnent le programme : face à une économie assise encore largement sur le contrat, la productivité, le rendement, la spéculation financière, il faut une économie qui repose sur la décision à la majorité, la négociation permanente, la redistribution par la réglementation, la " publicisation " des services, de l'agriculture, de la culture. La remise de la dette des pays pauvres, l'instauration de la taxe Tobin sur les tractations financières, de taxes sur les investissements directs étrangers, et sur les bénéfices des multinationales, l'extension de normes internationales du travail, l'harmonisation des modes de production et des salaires dans tous les pays, une libéralisation totale des flux migratoires, une citoyenneté et une démocratie mondiales sont l'image de l'altermondialisme. Le projet est ambitieux, et les moyens mis au service de sa propagande est considérable.

 

310.- Curieusement, en effet, ces irréductibles opposants sont généreusement financés par les pouvoirs publics. Le Forum altermondialiste de Saint-Denis a reçu des subventions d'un million d'euros de la ville de Paris, 570.000 euros de la municipalité de Saint-Denis, et des contributions substantielles des départements voisins, de Matignon, du Quai-d'Orsay... Au total, un budget de 4.353.000 euros.

 

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