"Chômage : le gouvernement marque des points." De qui se moque-t-on ?
Article rédigé par Jean-Yves Naudet*, le 07 octobre 2005

Cocorico. Nouvelle baisse du chômage en août, pour le cinquième mois consécutif. 21.500 chômeurs de moins en un mois. Le plan de cohésion sociale porte ses fruits. Les contrats Borloo ont créé des emplois.

Tous les indicateurs de chômage sont à la baisse. Réelle inversion de tendance. Et pour couronner toutes ces appréciations, Dominique de Villepin donne le ton : le gouvernement "marque des points" en matière d'emploi. Oui, mais voilà : nous sommes toujours champions de l'OCDE pour le chômage, près d'un jeune sur quatre est sans emploi, et aucune création nette d'emploi ne pointe à l'horizon. Dans ces conditions, il vaudrait mieux adopter un ton plus modeste et regarder la réalité en face : la France n'a pas vaincu le chômage.

Un taux de chômage de 9,9 %

Premier indicateur important en matière de chômage : le taux de chômage, exprimé en pourcentage de la population active. Celui-là n'a pas été souvent cité dans les commentaires. Et pour cause : il est resté toujours aussi élevé en août, à 9,9 %. Pour faire des comparaisons internationales significatives, il faut citer les statistiques de l'OCDE. Pour l'ensemble des pays membres, le taux de chômage s'établit en moyenne à 6,5 % : nous sommes donc à 50 % au dessus ; il n'y a pas de quoi pavoiser !

Dans l'Europe des Quinze, ce taux est plus élevé que dans l'OCDE, à 7,9 %. Mais nous sommes toujours à deux points au dessus. Quant à la zone euro, qui est la plus touchée par le chômage, elle est à 8,6 % : nous sommes à 1,3 points au dessus. Qu'en est-il des grands pays ? En Allemagne, toujours selon l'OCDE, le taux de chômage est très élevé, à 9,3 %. Mais c'est toujours en dessous de nous. En Grande-Bretagne, il est de 4,7 % : moins de la moitié du nôtre. Aux États-Unis, il est à 5,0 %. Et au Japon, que l'on dit pourtant touché par la crise, il est à 4,4 %. La France est donc, sans aucune ambiguïté, le pays de l'OCDE le plus touché par le chômage, en dépit des "bonnes" statistiques du mois d'août.

Voyons ensuite le nombre de chômeurs : il s'élève fin août à 2.401.800, en recul de 21.500 : la baisse du chômage est donc de 0,9 % en un mois et de 1,8 % en un an. Rien de spectaculaire. Car si l'on parle de recul sur cinq mois consécutif, ce recul était bien insignifiant en avril et mai (-0,1 %). Mais tout cela ne représente que la catégorie 1 de l'ANPE, c'est-à-dire des personnes sans emplois, immédiatement disponibles, recherchant un emploi à plein temps et à durée indéterminée, et ayant travaillé moins de 78 heures dans le mois.

23,1 % des jeunes actifs au chômage

Il y a peu, on comptait dans cette catégorie les personnes ayant travaillé plus de 78 heures dans le mois. Désormais elles sont exclues de cette catégorie 1 et constituent une catégorie à part (la 6). Or cela représente plus de 400 000 personnes. Autrement dit, sans ce nettoyage statistique, nous en serions à plus de 2.800.000 chômeurs ! Si l'on ajoutait les personnes qui cherchent un emploi à temps partiel ou un emploi à durée déterminée, qui sont plusieurs centaines de milliers, on dépasserait nettement les trois millions de chômeurs. Il n'y a donc pas de quoi se glorifier, et ce d'autant moins que les fichiers ont été "nettoyés" : le nombre de radiations par l'ANPE a été en un seul mois de 33.651 emplois, sans compter ceux qui ont été rayés pour absence au contrôle : ont-ils trouvé un emploi ou renoncé à en chercher un dans une période aussi peu favorable ? On n'en sait rien.

Il n'y a pas non plus de quoi crier victoire si l'on regarde la structure du chômage. Certes, le nombre de jeunes de moins de 25 ans au chômage a diminué de 1,2 %. Mais il n'en reste pas moins que le taux de chômage est de 23,1 % dans cette tranche d'âge : n'y a-t-il pas de quoi désespérer la jeunesse ? N'est-on pas en droit de s'interroger sur la qualité de la formation en France ? À titre de comparaison, en Allemagne, il n'y a pas plus de jeunes que d'adultes au chômage. Il n'y a donc pas de sur-chômage des jeunes, par exemple en raison de la formation par alternance. De plus, en France, le niveau excessif du SMIC, charges sociales comprises, vient se retourner contre les jeunes peu formés et les exclut du marché du travail : c'est une constatation encore formulée par l'OCDE à notre égard il y a peu. Mais le sujet est tabou en France. Il ne faut pas toucher au SMIC.

Ce qui se voit et ce qui ne se voit pas

De même, on peut se demander, ce que ne manque pas d'ailleurs de faire le gouvernement, s'il n'y a pas un lien entre ce léger recul du chômage et le plan de cohésion sociale ou plan Borloo. Mais qui aura le courage du dire que ce plan n'est que du traitement social du chômage, pour ne pas dire du traitement statistique du chômage, puisqu'il ne s'agit pas de vrais emplois, mais d'emplois artificiels, aidés par les pouvoirs publics. Et qui dira que le coût de ce plan (7,1 milliards d'euros) a par ailleurs détruit des emplois dans d'autres secteurs, en raison du poids des prélèvements qu'il impose. Il y a un siècle et demi que l'on sait cela et Bastiat l'expliquait fort bien avec son "ce qui se voit et ce qui ne se voit pas" : ce qui se voit ce sont les emplois publics ou parapublics crées ; ce qui ne se voit pas, ce sont les emplois privés détruits. Mais nos ministres n'ont pas lu Bastiat.

Une autre preuve qu'il ne s'agit pas de vrais emplois, créés par des entreprises productives, se trouve dans la stagnation des créations d'emplois en France au premier semestre 2005, avec en particulier seulement 5.000 créations de nouveaux postes au second trimestre. Le chômage diminue donc sur le plan statistique, mais on ne crée pas d'emplois : c'est bien la preuve qu'il ne s'agit que d'une illusion statistique ou d'un traitement social par ailleurs ruineux.

On le voit, nous ne partageons pas l'optimisme du gouvernement et d'une partie des médias et nous ne croyons pas qu'il s'agisse d'une véritable diminution du chômage, puisqu'il n'y a pas de créations d'emplois nouveaux. Pour cela, il faudrait en finir avec les politiques malthusiennes (35 heures, préretraites), redonner au marché du travail sa flexibilité, en particulier en matière de licenciement, et réduire le coût du travail. Nous n'en prenons pas le chemin. Il y aura donc sans doute quelques autres cocoricos statistiques, mais ils ne représenteront pas la réalité du marché du travail français.

*Jean-Yves Naudet est professeur à l'université-Paul Cézanne (Aix-Marseille III), président de l'Association française des économistes catholiques.

> D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à Décryptage

>