Non à l'euthanasie des petites communes !
Article rédigé par Roland Hureaux, le 05 février 2010

Voilà dix-huit ans que ça dure. Chacune des lois touchant à l'organisation des collectivités locales contient des dispositions tendant à vider de leur substance les communes, petites et grandes. Faute de pouvoir rayer d'un trait de plume ces entités millénaires (certaines datent de la période La Tène III [1]), la technocratie, ambitieuse de les réduire comme les légions romaines voulaient réduire la dissidence des villages gaulois, leur fait une guerre d'usure, profitant de chacune des réformes pour avancer ses pions.

C'est avec la loi Joxe de 1992 que tout a commencé [2], puis il y eut la loi Pasqua (1995), la loi Chevènement (1979) : chaque fois, l'étau se resserre. La seule pause de ce rouleau compresseur mu par une technocratie impitoyable fut la loi Raffarin de 2005. Sans doute parce que l'ancien Premier ministre connaissait mieux la France profonde, pour la première fois, une loi de décentralisation ne portait pas atteinte aux prérogatives des petites communes. Las, avec le projet actuellement en discussion au Parlement, le mouvement a repris.
Moins médiatisé que la question du département, parce qu'il touche moins aux intérêts des grands élus, députés, sénateurs, présidents de conseil régional et régional, ce volet de la loi est pourtant le plus lourd de conséquences en termes de civilisation.
Les communes avaient été dès 1992 encouragées à s'intégrer dans des communautés de communes (en zone urbaine, communautés d'agglomération) destinées à se substituer aux anciens syndicats. Théoriquement libres d'adhérer, les petites communes furent soumises à une forte pression des préfets ; il fut même établi en 1975 que les dotations de l'État seraient proportionnelles au degré d' intégration financière des communautés désormais tenu pour une fin en soi.

Non seulement ce dispositif n'entraîna nulle part de vraie réflexion sur l'aménagement du territoire [2], mais il fut le point de départ, promesses de financement aidant, d'une multiplication de projets dispendieux. Les nouvelles entités furent aussi le prétexte de recrutements massifs : environ 250 000 nouveaux postes de fonctionnaires, alors même que les effectifs des communes continuaient d'augmenter.
Dispendieuse rationalisation
La raison de cette aberration ? Notre classe dirigeante s'est persuadée au fil des ans que 36 682 communes étaient un archaïsme, un handicap pour la France. Ignorants du terrain, oubliant que sur les 500 000 élus locaux, 450 000 étaient des bénévoles, ou que la plupart des petites communes étaient gérées par leurs conseils municipaux avec la même parcimonie que des propriétés privées, certains y ont même vu une source de gaspillage. Jamais au demeurant un créateur de richesse quel qu'il soit (chef d'entreprise, agriculteur, artisan) ne s'était plaint du morcellement communal, au contraire.
C'est à tort que l'on a dit que le projet de loi actuellement soumis au Parlement sanctuarisait la commune. Sans aller jusqu'à reprendre les propositions de la commission Balladur qui prévoyait son évaporation , il met néanmoins en place toutes les armes pour lui donner le coup de grâce. L'élection au suffrage direct des délégués communautaires, conjuguée à l'intégration financière, vide de toute raison d'être les instances communales. Le poids des petites communes dans les conseils communautaires est réduit, la création de communes nouvelles fusionnées est encouragée, la rationalisation de l'intercommunalité ne doit subsister, selon certains préfets, que trois ou quatre grands ensembles par département ; enfin le pouvoir de police du maire pourra être transféré aux exécutifs intercommunaux. Même si la commission compétente du Sénat a atténué certains aspects du projet, son sens général demeure.
Dans une société qui perd ses repères, est-il donc si urgent de détruire un des plus anciens qui soient, de transformer nos communes en lieux-dits, de remplacer, car c'est bien à cela qu'on aboutira, un demi-million de bénévoles par des fonctionnaires ?
Toute la mécanique que nous venons de décrire repose sur l'illusion de la fausse modernité propre aux modes de pensée idéologiques : quand comprendra-t-on qu'en préservant, en pleine révolution industrielle, le décorum de la monarchie britannique, Disraeli fut plus moderne que Ceausescu rasant les villages pour les remplacer par des blocs HLM ? Quand notre élite reconnaîtra-t-elle que 36 000 communes, coopérant dans la liberté et sans perspective de fusion, sont pour la France une force et non une faiblesse ?
[1] Second âge du fer, jusqu'à la conquête romaine (Ndlr).
[2] La loi Marcellin de 1972 qui déjà visait à la réduction du nombre des communes, mort-née, n'a qu'un intérêt historique.
[3] Sauf au sein des pays qu'il est pourtant question d'abolir.
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