Immigration : la faillite de l'intégration
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

VOITURES, écoles, crèches, églises... s'enflamment. Les vandales, en rivalisant dans leur rage destructrice, s'affichent à la une des journaux télévisés. Hallucinés par ces images, les téléspectateurs écoutent commenter la crise d'identité d'une jeunesse black-beur ghettoïsée.

 

L'analyse identitaire de la récente crise des banlieues était assez juste mais elle ne s'en révélait pas moins limitée. À une crise d'identité diagnostiquée depuis des années, on avait déjà tenté d'apporter des remèdes qui, ces derniers mois, démontrèrent leur relative impuissance. Les événements de la fin de l'année 2005 doivent contraindre les autorités à revoir leur copie. Dans ce sens, il serait sans doute opportun de dépasser l'analyse identitaire de la jeunesse des banlieues pour l'élargir à l'ensemble de la société française. La crise des banlieues n'est pas uniquement le problème des banlieues, elle est plus largement le symptôme d'une crise qui touche la société française tout entière .

Au sujet des réponses à apporter à cette crise, on entend aujourd'hui les mêmes propositions qu'hier, des propositions d'ordre matériel comme si le montant alloué à l'intégration allait acheter la paix des banlieues. Dans ces années qui sont, grâce au calendrier électoral, propices aux changements, il est temps en France de repenser l'intégration.

Cet article propose une analyse générale, étayée de cas concrets. Il ne prétend pas rester dans des considérations théoriques. Les puristes excuseront une terminologie parfois maladroite. En parlant d'" immigré ", on a choisi de parler de celles et ceux qui sont arrivés en France depuis le milieu du XXe siècle et qui sont originaires des pays du Sud et plus particulièrement d'Afrique du nord et d'Afrique noire. De première, deuxième ou troisième génération, la plupart d'entre eux constituent encore des communautés homogènes concentrées dans les " banlieues " ou " cités " des grandes agglomérations. En parlant d'" intégration ", on parle en fait plutôt d'insertion mais on a préféré ce premier mot car son sens insiste davantage sur le caractère quantitatif du processus.

 

Le mal-être des banlieues ne se résout pas à coup de subventions

 

Ces dernières années, des associations et des institutions ont œuvré sans relâche dans les cités pour l'insertion des jeunes en difficulté. Certaines ont débordé la dimension purement socioprofessionnelle du problème pour aborder son pendant culturel et identitaire. Au premier rang de ces acteurs du monde associatif, le Fonds d'Action et de Solidarité pour l'insertion pour la liberté et contre la discrimination. Ce fonds public a notamment participé au lancement d'un musée de l'immigration, porte de Charenton à Paris. Il s'agissait de valoriser l'histoire de l'immigration française. On a pris conscience de la nécessité d'intégrer cette histoire des populations immigrées dans la grande histoire de France. Sur le terrain, les associations et les institutions constataient le malaise des jeunes immigrés tiraillés entre leur pays d'origine et leur pays d'accueil. Acceptés ni dans l'un ni dans l'autre, ils n'osent pas regarder le passé de leurs parents ou grands-parents qu'ils dévalorisent souvent. Revenant au pays, les lointains enfants du bled marocain ne sont souvent plus considérés que pour leur argent et en retournant dans les banlieues, ils se retrouvent enfermés dans un univers hermétiquement clos.

Ces jeunes des cités, entre deux mondes, zonent dans les cages d'escaliers des HLM qui constituent leur dernier refuge. Cette profonde souffrance cumulée à une scolarisation difficile, à un environnement insalubre, entraîne logiquement des comportements de type vandale. Le problème d'identité ne trouve pas de réponse appropriée dans les aides financières qu'apporte l'État. Elles sont pourtant nombreuses et tendent même à mettre les quartiers sous perfusion. L'Insertion par l'activité économique permet à ceux qui en ont besoin de bénéficier d'un contrat aidé (CEC, CES...) pour un emploi en chantier d'insertion dans lequel ils apprennent un métier. Les conseils généraux débloquent des fonds importants pour la réhabilitation des infrastructures sportives et des centres socioculturels sans parler des sommes qui sont allouées à leurs budgets de fonctionnement. Les Aides aux personnes isolées soutiennent les familles monoparentales qui se trouvent en situation de grande détresse. Les Programmes départementaux d'insertion sont chargés d'accompagner les bénéficiaires du RMI en finançant les associations qui proposent à ces personnes marginalisées, par le biais des services sociaux (CCAS par exemple), des cours d'alphabétisation, des modules de socialisation... Les grands frères dans les cités sont eux aussi engagés pour encadrer les plus jeunes. Leur rémunération est censée les gagner au camp de l'ordre.

L'argent investi dans ces politiques qui visent l'intégration atteint des sommes astronomiques et pourtant, année après année, les résultats révèlent leur lamentable impuissance. Le nombre des bénéficiaires du RMI explose, les agressions contre les enseignants sont toujours aussi fréquentes... Le mal-être des banlieues est profond. Il ne se résout pas à coup de subventions. La légitimité ou l'utilité de ces aides et de ces investissements n'est pas remise en cause. Cependant, on ne peut s'empêcher de penser que les politiques d'insertion et de la ville sont insuffisantes. Il s'agit aujourd'hui de proposer un nouveau projet de société qui réponde aux défis de l'intégration dans une France devenue dangereusement explosive.

 

L'"hystérie identitaire" dans nos banlieues

 

Manuel Valls, député-maire PS d'Évry parle à propos de la jeunesse des banlieues d'" hystérie identitaire ". À ce sujet, le voile porté par de nombreuses jeunes filles musulmanes en France qui a fait couler tellement d'encre l'année dernière, ne signifie pas nécessairement un attachement scrupuleux à une observance religieuse mais bien plutôt une volonté de s'affirmer dans un pays qui, pour elles, peine à reconnaître leur singularité.

L'attachement des immigrés à leur religion n'en est pas moins vrai : en cela, ils sont en contraste avec la majorité de la population française qui depuis les années 60 connaît une forte baisse de sa pratique religieuse. " Dieu est mort ", ce slogan lapidaire qui couronnait deux siècles d'anticléricalisme en France se voit contesté par les pratiques cultuelles des immigrés exhibant leurs croyances sans complexes. Dieu revient et il revient dans la bouche des pauvres, ce qui, pour plus d'un, ne manque pas de gêner. Les constructions de lieux de prière pour les communautés musulmanes, afro-évangélistes et afro-pentecôtistes deviennent des véritables casse-tête pour les municipalités. Les élus qui acceptent de soutenir leurs projets sont à coup sûr en butte à la méfiance voire même à l'opposition générale.

Dans leur organisation sociale, les immigrés diffèrent encore. Ils s'appuient généralement sur des solidarités familiales et communautaires extrêmement fortes : pays d'origine, lieux de culte fréquentés, villes du pays d'origine, courants politiques du pays d'origine auxquels ils appartiennent encore... La famille constitue un ciment social. Cousins, oncles et tantes se comptent par dizaines et dans une même cité, on est surpris de constater combien les gens se connaissent bien. En cela, ils sont différents des Français de souche qui eux, sont de plus en plus nombreux à pâtir de la fragilisation de leurs liens familiaux. La solitude est un mal qui devient étrangement moderne. Pour répondre à cette détresse, les municipalités en appuyant les initiatives qui " font du lien social ", essayent de recréer à l'échelle des quartiers des réseaux de solidarité.

L'" hystérie identitaire " et l'hyper-sociabilité des quartiers à forte densité immigrée contrastent étrangement avec l'anonymat et l'anémie des autres quartiers qui sont, eux, perçus comme étant tout à fait " normaux ". La comparaison de ces espaces et de leurs cultures pourrait être riche d'enseignements. L'" hystérie identitaire " s'entendrait par rapport à l'identité dominante en France. Oui mais voilà, quelle est l'identité dominante de la France ? Et nous reste-t-il seulement une identité ? Qu'est-ce qui nous distingue ?

En reniant systématiquement l'histoire de nos ancêtres, en relativisant l'utilité sociale de la famille dans son rôle de transmission des valeurs, en rejetant violemment l'idée même de morale, nous foulons du pied notre patrimoine d'identité. La société sans Dieu ni loi fabrique des barbares. Pour ceux qui naissent en France aujourd'hui, l'identification à un modèle français n'a plus aucun sens. Écartelés entre une identité structurée du pays d'origine et cette anti-identité française qui rejette systématiquement toute forme de repères, de référents, les jeunes immigrés sont les premières victimes de cette situation. IAM, rappeur bien connu, chante : " Je ne crois pas que c'était volontaire, mais l'adulte c'est certain / Indirectement a montré que faire le mal c'est bien. / Demain ses cahiers seront pleins de ratures / Petit frère fume des spliffs et casse des voitures. [...] "

Le terme de barbare est à mon avis significatif. Il exprime bien l'incapacité de parler, de s'exprimer dans un langage intelligible par tous. La violence découle directement de cette situation de non communication. IAM dans un autre morceau explique : " Petit frère rêve de bagnoles, de fringues, de tunes / De réputation de dur, pour tout ça, il volerait la Lune. / Il collectionne les méfaits sans se soucier / Du mal qu'il fait, tout en demandant du respect. " La consommation, succédané de religion d'une société déspiritualisée, apparaît aux jeunes immigrés comme étant le seul vecteur d'intégration. Mais difficile pour eux de rentrer dans la transe consumériste. Ils ne parlent pas le même langage. Alors pour obtenir ce que les autres achètent, eux volent et, de rage, flambent.

 

Redécouvrir l'hospitalité en France...

 

Il y a, qu'on le veuille ou non, un fossé entre les villes qui sont immigrées et celles qui ne le sont pas, ou tout du moins, pour les grandes villes, il y a un fossé entre les quartiers qui sont immigrés et ceux qui ne le sont pas. Les immigrés sont les nouveaux pauvres. Et comme tous les pauvres de la terre, ils font peur. Impuissants à enrayer cette peur, le respect et la tolérance sont pourtant largement ressassés dans les écoles et les médias. La peur accélère l'éclatement des territoires où Français d'extractions ancienne et nouvelle se retrouvent de plus en plus rarement.

Dans nos villes, cette distance est très bien illustrée par la situation des Français de souche qui travaillent au service de l'État dans les quartiers immigrés et qui sont très peu nombreux à y habiter. Pour mesurer ce phénomène, il faudrait calculer le pourcentage d'enseignants d'écoles ZEP habitant dans les quartiers de leurs établissements, le nombre de fonctionnaires de catégorie A et B des municipalités de ville immigrée installés dans leur ville de travail... Il y a même certains maires de ces communes à " cités chaudes " qui préférèrent habiter une ville à quartiers " cosy ", loin de la commune dont ils ont pourtant la charge. Le soir venu, les cadres de la fonction publique désertent les quartiers qu'ils administrent. S'y sentant étrangers, ils sont réticents à l'idée de s'y installer.

Le non-respect du quota des 20 % de logements sociaux par ville est tout aussi révélateur. Entre le discours volontariste des élus sur le thème de l'immigration et les politiques de la ville qu'ils mènent dans leurs collectivités, on observe un décalage assez manifeste. Nicolas Sarkozy, ancien maire de Neuilly devenu par ailleurs champion de l'électorat musulman, et Bertrand Delanoë, le maire des bobos-parigos, sont à renvoyer dos-à-dos sur cette question des logements sociaux. Mais si la volonté politique manque, à n'en pas douter, c'est l'expression de la volonté des électeurs qui voient d'un mauvais œil boubous et djellabas arriver dans leurs quartiers.

Poser son regard sur la crise identitaire des banlieues renvoie à s'interroger sur l'identité française elle-même. Il est frappant de constater le malaise des éducateurs de rue ou des fonctionnaires de mairie français de souche qui sont confrontés au comportement des jeunes des banlieues. La culture ou la religion de ces personnes avec lesquelles ils travaillent leur apparaît obscure et par ricochet, ils sont amenés à s'interroger sur leur propre identité. On voit bien l'urgence de voir se lever des hommes et des femmes qui sûrs de leur identité française, acceptent de rentrer en dialogue avec les jeunes immigrés des banlieues.

Un éducateur spécialisé et catholique affiché explique comment son travail social dans une cité s'appuie sur son identité de catholique français : " L'Église est la seule à pouvoir rassembler autant de cultures (Antillais, Africains, Tamouls...) et de générations sous un même toit. Elle a une véritable expérience de la mixité culturelle. " Il poursuit. " En catholique, je rayonne des valeurs judéo-chrétiennes qui sont celles de la France. Je suis un témoin actif de ma foi. " Même si l'identité française peut se décliner sur d'autres gammes que celle proprement ecclésiale, cette démarche est intéressante dans le sens où elle tranche avec les attitudes habituelles qui sont justement de ne pas dire qui on est de peur de blesser ou de gêner son interlocuteur.

Dans le même sens, le père Michel Jondot, de l'association islamo-chrétienne Approches 92, ne cache pas son sacerdoce lorsqu'il foule les allées de la cité de La Caravelle à Villeneuve-la-Garenne. Depuis des années, il se bat pour que voient le jour dans les Hauts-de-Seine, des lieux où chrétiens et musulmans puissent se rencontrer. Les langages sont à inventer, explique-t-il. Lui s'est investi dans le travail de mémoire avec les jeunes immigrés et dans celui de l'art en permettant aux femmes du dedans de la cité de rencontrer des femmes du dehors avec qui elles tissent sur des métiers des Gobelins.

Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien, officie lui, à Argenteuil. Il a conseillé à Jean-Louis Borloo qui est son ami, de supprimer les écoles ZEP, de les détruire tout simplement. Il faut, pense-t-il, briser le vase clos en mettant un terme à la ségrégation des populations immigrées qui empêche la majorité de leurs jeunes de voir autre chose que leur cité. Sa conviction : l'école doit redevenir un lieu de mixité, alors il n'y a pas trente-six solutions.

 

...mais une hospitalité bien comprise

 

La générosité vécue dans l'hospitalité ne doit pas nous mener vers l'inconscience qui prévaut dans certains milieux bien-pensants en matière d'immigration. Supprimez les frontières, accueillez l'étranger, brassez les cultures et vous obtiendrez un monde de justice et de paix. Dans l'aire euro-méditerranéenne, on observe le décalage entre les situations démographiques, le contraste dans les développements économiques, le choc des cultures qui ont pour effets directs la misère et la violence dans les villes du Maghreb mais aussi dans nos propres banlieues. Comment alors, face à cette situation dramatique, continuer obstinément à défendre une politique de la porte ouverte au grand vent ?

La difficulté de l'intégration des populations immigrées en France, quelles que soient leurs religions ou leurs origines géographiques, doit nous amener à marquer un coup d'arrêt. Nous ne sommes plus capables d'accueillir et, de toute façon, serait-il raisonnable d'imaginer concentrer sur notre sol toutes les populations des pays du Sud ? La résolution du problème de l'immigration passe, à notre avis, par un engagement volontariste de l'ensemble des forces vives de la société civile et des autorités politiques, par le renouveau d'une idée ou d'une culture nationale, et par une politique de coopération d'envergure avec les pays du Sud et notamment les pays du Sud francophones d'où partent la plus grande partie des flux migratoires en direction de la France.

Dans les parties précédentes de notre étude, nous avons déjà montré pourquoi et comment seul l'engagement de la société dans son ensemble pouvait aboutir à un véritable accueil des populations immigrées. Un sentiment et une expérience professionnelle dans le domaine de l'insertion à Villeneuve-la-Garenne, nous amènent à penser que le volontariat des retraités du papy-boom auprès des populations immigrées de banlieue pourrait être d'une utilité déterminante. Il s'agirait d'une mission de transmission des valeurs constitutives de la culture française, de valorisation des cultures immigrées et d'écoute individuelle. Dans l'accompagnement à la scolarité, dans la participation aux activités sportives ou culturelles des associations de quartiers ou des CCAS, dans l'intervention en école sur les questions de santé par exemple... ces personnes à la retraite apporteraient une aide précieuse. Favoriser le volontariat de ces personnes " inactives " qui représenteront dans les années à venir une part grandissante de la population française permettrait en outre de leur donner une véritable utilité sociale autre que celle de leur simple capacité à consommer.

Nous avons aussi constaté que la société française se montrait incapable d'accueillir, et que cette " faillite de l'intégration " s'expliquait entre autres, par l'affaiblissement de son identité. Dans le discours de pré-campagne présidentielle de Philippe de Villiers, l'expression " patriotisme populaire " revient comme un leitmotiv. Populariser cette vertu républicaine apparaît comme une manière volontariste de rassembler la France éclatée dans ses territoires, ses communautés, ses corporations professionnelles publiques et privées, ses générations. C'est vrai, à n'en point douter, la France a besoin d'une nouvelle unité nationale, d'un élan qui transcende ses divisions, qu'elles soient récentes ou plus anciennes. Mais, pour être populaire, ce patriotisme devra être social en s'adressant à tous les Français et en particulier à ceux dont l'identité est la plus meurtrie. Le patriotisme serait donc compris comme l'attachement à des valeurs intemporelles replacées dans un contexte sociologique mouvant pour pouvoir être partagé par tous les citoyens français quelles que soient leurs histoires, leurs cultures ou leurs religions.

L'hospitalité, enfin, c'est se résoudre à refuser le demandeur d'asile lorsque nos ressources manquent pour l'accueillir. La contrepartie juste de cette politique de rigueur passe nécessairement par une contribution active au développement économique de ces pays que leurs habitants ont toutes les raisons du monde de quitter. À ce titre, la proposition d'une immigration choisie de Nicolas Sarkozy a quelque chose de gênant. Elle s'apparente à s'y méprendre à un néo-colonialisme de bas étage qui ferait fi des besoins urgents des pays du Sud à se constituer des élites formées aux métiers de la médecine, des BTP, de la finance, de la gestion... Une politique de l'immigration responsable va de pair avec une politique de coopération d'envergure dans laquelle est investie une part significative du PIB. Mais quelle formation politique ou quel candidat à la présidence de la République osera défendre cette proposition devant ses électeurs ?

 

FR. LF. DE Q.*

 

 

 

 

 

*Né en 1979, a étudié l'histoire, les sciences politiques et la sociologie à l'université de Paris IV Sorbonne et au Centre d'étude et de recherche sur le Moyen-Orient contemporain de Beyrouth (Cermoc). Ancien élève de l'IEP d'Aix-en-Provence, il a collaboré à l'association Approches islamo-chrétiennes dans le département des Hauts-de-Seine. Il enseigne aujourd'hui à Alep (Syrie) dans un institut de formation aux métiers du tourisme.