Les personnes âgées et la vie, enquête
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

POURQUOI ENQUETER sur " les personnes âgées et la vie " ? La nécessité de notre démarche est née des premiers débats faisant suite au drame de la canicule de l'été 2003, à ces morts dans la solitude, à ces corps " non réclamés ".

Partout, on cherchait les responsables à désigner à l'opinion : familles ou pouvoirs publics ? indifférence ou fatalité ? Avant de prétendre participer à ce débat, bien compréhensible, et qui est loin d'être clos, il a nous paru nécessaire d'interroger les premiers intéressés, les personnes âgées elles-mêmes. Pour promouvoir la dignité et le respect de la vie des plus vulnérables, ce qui constitue notre objet, ne faut-il pas d'abord leur donner la parole ? Or le scandale, si scandale il y a eu, nous a semblé aggravé par leur exclusion du débat.

Nombre de personnes âgées ou très âgées sont considérées comme " sans avenir ". Elles échappent largement aux sondages traditionnels qui tentent de préciser voire de construire cet avenir. Est-ce parce qu'elles ne répondent pas au mobile des enquêtes d'opinion qui entendent mesurer tantôt une capacité de consommation, tantôt les perspectives d'influence en terme de vote ou de pouvoir ? Raison de plus pour recueillir leur avis.

Et nous avions aussi à cœur, au moment où la question de la fin de la vie envahissait le débat médiatique, d'une façon souvent émotionnelle et dialectique, de nous approcher de ceux qui y sont plus directement confrontés pour repartir de la réalité. Ne pouvions-nous échanger directement avec eux sur ce qu'ils ressentent à l'approche de la mort ?

Par ailleurs, dans une communauté nationale obsédée par la rentabilité économique mais qu'on dit également " en quête de sens ", nous nous sommes demandés si nous n'étions pas, nous aussi, privés de quelque chose d'important en étant coupés des générations précédentes.

Nous sommes donc allés à leur rencontre dans quinze régions françaises test. Nous avons longuement interrogé et écouté, six cents personnes âgées, exactement, dont les trois quarts étaient des femmes. Bien décidés à nous laisser surprendre, nous pouvons dire que nous n'avons pas été déçus.

 

Première surprise : nous nous sommes sentis " attendus ". Cela n'étonnera peut-être pas les membres des associations dont l'objet est d'entourer les personnes âgées et qui savent de quoi est fait leur temps. Or les questions que nous avons posées n'étaient ni faciles à formuler, ni à recevoir. La plupart des enquêteurs étaient des inconnus pour les personnes âgées. Et justement, combien de fois avons-nous entendu : " Merci, je n'avais jamais pu parler de ces choses-là, même avec mes proches ! " Quelles choses ? Il suffit de relire notre questionnaire : joies, peines, désirs, conseils, mises en garde, peurs... À l'aboutissement de toute une vie – la moyenne d'âge des personne rencontrées est de 85 ans – n'est-ce pas légitime voire nécessaire de confier à quelqu'un ce qu'est l'essentiel de sa vie ? Et peut-on même parler de véritable aboutissement sans cette possibilité de transmission ? Nous voilà donc dépositaires d'un héritage précieux.

Seconde surprise : dans des moments qui ont naturellement dépassé le cadre impassible d'une enquête d'opinion habituelle, par ces multiples témoignages intimes, souvent émaillés de gestes, de silences et de larmes qui en ont dit plus que les mots, nous avons reçu un véritable message. Cohérent, sage, fragile. On peut pratiquement dire " unanime ". Ce message est d'abord un appel à la fraternité, ce mot de notre devise nationale, décrété en cette année 2004 " grande cause nationale ". Nous l'avons bien reçu, mais pas seulement pour nous-mêmes. Il s'agit aujourd'hui de le transmettre plus largement à toutes les générations.

Pour nous, comme pour ceux que ce message touchera, il nous reste à accomplir l'essentiel : en vivre. Les nouvelles technologies nous poussent en avant. Est-ce une raison pour ne pas emporter dans nos bagages un peu d'une sagesse qui est le privilège de l'âge ? Y aurait-il une fatalité à perdre un tel héritage à chaque changement de génération ? Les personnes qui ont, à double titre, " fait leur temps " ont à nos yeux une certaine légitimité pour confier à nos vies futures, un peu de ce que reflète et enseigne leur vie passée.

Mais nous ne voudrions surtout pas oublier que chaque vie humaine, jusqu'à son terme, a un prix inestimable et qu'elle mérite notre engagement. À ce titre, nombre des enquêteurs ont avoué avoir changé leur regard sur les personnes âgées qu'ils connaissent, après avoir touché du doigt les souhaits ou les détresses de beaucoup. D'autant que ces personnes âgées sont en attente, non de l'impossible, mais finalement de peu. Ce " peu " est à la portée de la main. Il s'agit de dégager quelques heures ou quelques minutes de son temps. De tels moments, croit-on ne pas les avoir ? Sans doute. Mais on découvrira, si on les prend, qu'ils nous sont donnés par ceux – plus souvent d'ailleurs " celles " – qui ont appris avec l'âge à mesurer la vraie valeur du temps donné, gratuitement.

 

Éléments de méthodologie

 

Le questionnaire de l'enquête a été élaboré en partenariat avec des spécialistes du GEPS-Groupe d'études et de protection sociale, déjà sollicités par l'Alliance pour les droits de la vie à l'occasion de démarches similaires (en 2001, enquête auprès de 320 conseillers généraux). Il a été testé dans le département de Haute-Vienne en début octobre 2003 et amélioré à l'issue.

Conduite par 255 enquêteurs formés pour l'occasion, l'enquête nationale a été réalisée du 15 octobre au 15 novembre 2003. En fonction de la capacité de mobilisation des délégations départementales de l'Alliance pour les droits de la vie, elle s'est déroulée dans 15 Régions test. À chaque fois, la personne enquêtée était rencontrée face à face pendant une durée de 1 heure à 3 heures dans un échange à la fois rigoureux et très personnel.

Pour organiser la rencontre avec des personnes souvent très âgées, et ne pas leur infliger d'inquiétude inutile, les enquêteurs ont été parfois aidés par des " ambassadeurs " (bénévoles d'associations, responsables de maisons de retraite). Mais certaines rencontres se sont aussi faites " à l'improviste ", dans la rue.

L'enquête a garanti l'anonymat des personnes enquêtées – sauf exception décidée d'un commun accord en réponse aux sollicitations de la presse – et également celui des institutions d'hébergement collectif qui constituaient le lieu d'habitation du tiers des personnes rencontrées.

Le cartouche d'informations complémentaires permet de détailler les données suivantes sur l'échantillon des 600 personnes âgées :

 

- 75 % sont des femmes,

- 85 ans de moyenne d'âge,

- 53 % de veufs,

- 44 % vivent dans une grande ville - 37 % dans une petite ville - 17 % à la campagne,

- 65 % vivent à domicile - 6 % en foyer - 28 % en maison de retraite.

L'échantillon est riche et diversifié. C'est logiquement que les femmes très âgées, provinciales et vivant à leur domicile y prédominent.

 

 

 

RESULTATS ET ANALYSES

 

 

 

I - LES INDICES D'ISOLEMENT

 

Parmi les personnes enquêtées,

 

23 % ne reçoivent pas un appel téléphonique de leur famille au moins une fois par semaine

25 % n'ont pas l'occasion de rencontrer un ami au moins une fois par mois

28 % n'ont pas l'occasion de parler à un enfant au mois une fois par trimestre

 

• 42 % manquent d'au moins un de ces trois liens,

• 10 % n'ont pas un de ces trois liens,

• 25 % n'ont pas deux de ces trois liens,

• 7 % n'en ont aucun.

 

Ces questions visent à mesurer certaines formes d'isolement. Posées en fin de questionnaire, elles n'influencent pas les réponses sur les activités préférées. Or, d'une part, pour chaque item, environ une personne sur 4 est privée du lien envisagé (un peu moins pour le téléphone, un peu plus pour les enfants), d'autre part, c'est justement ce type " d'activité " relationnelle qui est plébiscitée par les personnes âgées enquêtées (voir point 3). Ces indices d'isolement, léger (1 personne sur 10), moyen (1 personne sur 4), ou sévère (1 sur 14), sont donc souvent des indices de souffrance morale. Ils concernent plus de 4 personnes âgées sur 10.

 

 

 

II - LA CANICULE

 

1- En août dernier, au moment des grandes chaleurs, pouvez-vous nous dire qui s'occupait de vous et sur qui vous pouviez compter ?

 

43 % Ma famille

16 % Des proches (amis ou voisins)

32 % Des professionnels

22 % Personne : je me suis débrouillé seul

2 % Autre…

 

 

 

2- Personnellement, comment avez-vous vécu la canicule ?

 

60 % Sans problème particulier, j'ai eu chaud comme tout le monde

33 % Difficilement mais j'ai tenu le coup

8 % Très difficilement, j'ai beaucoup souffert

 

 

 

3- Parmi ces trois affirmations, à propos des personnes âgées en détresse pendant la canicule de l'été dernier, laquelle correspond le mieux à votre avis ?

 

8 % Les pouvoirs publics sont les premiers responsables

44 % Le problème, aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas assez de solidarité familiale

48 % Je trouve qu'on a exagéré les choses, beaucoup de gens se sont mobilisés

 

40 % des personnes âgées disent avoir souffert ; plus d'une sur cinq ne pouvait compter sur personne… Seuls 8 % des personnes âgées considèrent que ce sont les pouvoirs publics qui sont responsables et près d'une sur deux souligne même la forte mobilisation de la société. En revanche, 44 % déplorent le manque de solidarité familiale. Ces résultats convergent avec ceux d'enquêtes d'opinion qui ont, récemment, dédouané les pouvoirs publics aux yeux du troisième âge vis-à-vis du drame de la canicule.

 

 

 

III - LA VIE AUJOURD'HUI

 

Avertissement général : à partir de cette question, les enquêtés avaient le choix pour chaque item entre quatre appréciation échelonnées, incitant à la prise de position (pas de position neutre), du type " pas " (noté par nous 0), " peu " (noté 1), " assez " (noté 2) et " très " (noté 3). Les pourcentages obtenus résultent de l'addition des mentions positives de type " assez " et " très ". Ils sont complétés par la note moyenne obtenue.

À chaque question, l'enquêteur avait comme consigne de lire une première fois l'ensemble des items proposés avant de commencer leur évaluation par l'enquêté.

Dans l'analyse réalisée avec les conseils du GEPS, nous nous sommes attachés à évaluer le sens des réponses en fonction du poids relatif accordé aux items les uns par rapport aux autres (principalement en % de réponse positives et accessoirement en note). Compte-tenu du nombre délibérément peu important des graduations proposées (destiné à encourager les réponses spontanées et à faciliter l'exercice pour des personnes fatigables longuement enquêtées), un faible écart entre les pourcentages et les notes est déjà significatif. A fortiori un écart important.

 

4- Maintenant nous allons parler de votre vie actuelle. Pouvez-vous me dire quels sont les degrés d'importance que vous accordez aux choses suivantes ?

(0=Pas important / 1= Peu important / 2= Assez important / 3= Très important )

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

97 % 2,6 Être en relative bonne santé

96 % 2,7 Avoir bon moral

94 % 2,6 Être autonome

94 % 2,5 Être bien soigné

93 % 2,6 Être entouré par ses proches

91 % 2,4 Bien dormir

89 % 2,4 Ne pas souffrir

87 % 2,4 Avoir des amis

84 % 2,5 Vivre chez soi

82 % 2,3 Se sentir utile

81 % 2,1 Être informé

78 % 2,1 Être bien nourri

 

Se détachent la santé et le moral (l'état général), puis l'autonomie et les soins (faire et recevoir l'essentiel), puis advient la relation : les proches — nettement devant les amis (avec assez forte moyenne), puis seulement, ce qui touche au bien-être primaire (ne pas souffrir et dormir) puis au confort secondaire (" être chez soi " et " bien nourri ") qui arrive en queue.

Les items " être utile " et " être informé " qui représentent la connexion à la vie de la société, apparaissent aussi moins essentiels que ceux qui touchent à la présence des proches. Mais il n'y a pas de note basse : ces éléments sont tous jugés importants.

 

5- Et parmi les activités que je vais vous citer, pouvez-vous me dire si elles vous plaisent ?

(0=Ne me plaît pas / 1= Me plaît un peu / 2= Me plaît assez / 3= Me plaît beaucoup )

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

92 % 2,5 Recevoir une visite

86 % 2,4 Recevoir une lettre

83 % 2,4 Voir ou rencontrer des enfants

82 % 2,3 Recevoir un appel téléphonique

78 % 2,1 Participer à une conversation

76 % 2,2 Lire

74 % 2,1 Regarder une bonne émission de télévision

67 % 1,8 Sortir en promenade

64 % 1,7 Être invité chez quelqu'un

64 % 1,8 Ecouter de la musique

61 % 1,8 Prendre de bons repas

56 % 1,6 Participer à une fête

 

Arrivent en tête 4 items de relations avec des proches nécessitant de la part de ces derniers une démarche : la visite d'abord, le courrier ensuite, puis la discussion avec un enfant, puis le téléphone (1). Tout cela est plus apprécié que des items " de loisirs de la vie quotidienne ", dans l'ordre : la conversation, la lecture, la télévision, la musique. Sont assez reléguées les activités qui demandent de la mobilité : promenade, être invité… Les bons repas ou le fait de participer à une fête sont les activités les plus mal notées.

 

(1) À rapprocher des indices d'isolement.

 

6- Pouvez-vous me dire le degré de contrariété que provoque en vous les choses suivantes ?

(0=Pas contrariant / 1= Peu contrariant / 2= Assez contrariant / 3=Très contrariant )

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

93 % 2,6 Être en mauvaise santé

92 % 2,6 Perdre la mémoire

90 % 2,4 Être affaibli physiquement

89 % 2,5 Être coupé de mes proches

88 % 2,4 Être mal soigné

85 % 2,4 Ne plus pouvoir lire

82 % 2,3 Ne pas avoir d'ami

81 % 2,4 Être dépendant

81 % 2,3 Se sentir inutile

76 % 2,2 Ne plus être dans ma maison

74 % 2,1 Ne plus rien apprendre

73 % 2,2 Ne plus avoir mon conjoint

70 % 2 Être mal nourri

69 % 2,1 Ne pas pouvoir pratiquer ma religion

47 % 1,4 Rester toujours au même endroit

 

Logiquement, ce sont d'abord les problèmes de santé physique (y compris affaiblissement) et mentale (perte de mémoire, avec la note la plus forte) qui contrarient le plus. Juste après est signalé : " Être coupé de mes proches " avec une note forte (nettement devant l'absence d'amis, le sentiment d'inutilité ou même la dépendance). Le fait de ne pas vivre dans sa maison ou surtout les problèmes de nourriture sont assez secondaires. À noter que l'immobilité (" rester toujours au même endroit ") est la chose qui contrarie le moins.

Le message central des personnes âgées, c'est d'abord que leurs proches aillent vers elles et leur soient fidèles.

 

 

 

IV - L'EXPERIENCE DE LA VIE

 

7- Vous avez une longue expérience de la vie : selon vous, quelle importance faut-il accorder aux choses suivantes dans la vie ?

(0=Pas important / 1=Peu important / 2= Assez important / 3 =Très important)

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

98 % 2,8 La fidélité

98 % 2,8 La santé

97 % 2,9 L'honnêteté

96 % 2,7 L'amitié

96 % 2,8 La famille

95 % 2,8 La paix

94 % 2,7 La tendresse

92 % 2,5 La disponibilité aux autres

90 % 2,5 Le pardon

87 % 2,4 Le travail

82 % 2,4 La religion

68 % 1 ,7 L'argent

65 % 1,8 Les loisirs

26 % 0,9 Le pouvoir

 

 

 

Avec la santé ce sont les qualités relationnelles (la fidélité qui est la traduction en terme de valeur du concept de lien affectif et l'honnêteté) ou leur support (famille et amitié) qui sont véritablement plébiscités, puis la paix et la tendresse, assez nettement devant la disponibilité, le pardon, puis le travail,… Plusieurs personnes âgées ont spontanément demandé d'ajouter : la patrie. Jusque-là, les notes sont très fortes ce qui dénote l'implication des personnes sur ces items. En queue, l'argent, les loisirs et surtout le pouvoir dont la note est basse.

Avec l'âge, il est possible que les personnes évoluent spontanément vers l'adhésion à une " morale " voire à une " sagesse " qui serait plus difficilement accessible aux personnes plus jeunes, encore occupées par la conquête du pouvoir. Il est vraisemblable également que ce soit " historiquement " que la génération enquêtée, qui était déjà adulte pendant la Seconde Guerre mondiale, et d'âge mûr avant la révolution sexuelle, adhère à des notions avec lesquelles les générations suivantes ont pris leur distance (c'est ce que suggèrerait la mention spontanément ajoutée de façon significative de " patrie "). Au delà de l'impression de rupture que suggère ces réponses au regard de l'esprit de 1968, il n'est pas à exclure, au vu de la réhabilitation récente des thématiques familiales dans les sondages d'opinion chez les nouvelles générations, qu'un " retour de balancier " rapproche plus qu'il n'y paraît les aspirations des jeunes de celles des personnes âgées, par contraste avec la génération actuellement " au pouvoir ".

 

8- Si vous aviez des conseils à donner aux plus jeunes, de quoi devraient-ils se méfier aujourd'hui ?

(0=Ne pas se méfier / 1=Modérément se méfier / 2= Plutôt se méfier/ 3= Beaucoup se méfier)

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

97 % 2,9 La drogue

94 % 2,8 Les sectes

91 % 2,6 La sexualité " débridée "

91 % 2,6 L'oisiveté

91 % 2,6 Les jeux d'argent

84 % 2,3 Le pouvoir de l'argent

82 % 2,2 L'individualisme

77 % 2,1 La société de consommation

71 % 2,0 La recherche du pouvoir

68 % 2,0 L'athéisme

63 % 1,8 La télévision

57 % 1,5 Le refuge dans le travail

57 % 1,6 Les hautes technologies : Internet, jeux électroniques…

16 % 0,5 La religion

 

Les notes sont parfois assez faibles en comparaison de la question précédente : dans certain domaines, les personnes âgées n'entendent pas systématiquement " donner des leçons " aux générations qui les suivent. Mais les items dessinant ce dont il faudrait principalement se méfier sont d'autant plus notables : la drogue (avec une note particulièrement élevée), les sectes, la sexualité débridée et les jeux d'argent puis l'oisiveté… Il s'agit justement de ce qu'on pourrait nommer, en langage d'une autre époque les " vices " (qui brisent les liens affectifs et sociaux et dont on est esclave ou dépendant). Ils sont logiquement contradictoires avec les items préférés de la question précédente puisqu'ils nient le respect de soi-même et des autres.

Même si les outils modernes de consommation ou leurs moyens sont considérés avec une certaine méfiance, ils n'apparaissent pas en tête des choses dont il faudrait se méfier.

On peut signaler la très nette distinction entre secte et religion aux antipodes des niveaux de méfiance.

 

V - L'AVENIR

 

9- Pouvez-vous me dire comment vous éprouvez les peurs suivantes ?

(0=Je n'éprouve pas / 1=J'éprouve peu / 2=J'éprouve assez / 3=J'éprouve beaucoup)

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

84 % 2,5 La peur de perdre la tête

81 % 2,3 La peur de la dépendance physique

78 % 2,1 La peur de souffrir moralement

75 % 2,1 La peur de l'acharnement thérapeutique

72 % 2,0 La peur de gêner mes proches, de peser sur ma famille

71 % 2,0 La peur de souffrir physiquement

61 % 1,9 La peur de mourir sans soutien spirituel

56 % 1,7 La peur qu'on arrête ma vie par l'euthanasie

55 % 1,6 La peur de mourir tout seul

 

La première peur est nettement la dépendance psychique et la seconde, la dépendance physique. Mais l'affirmation des peurs personnelles n'est pas aussi forte que celle des choses dont il faut se méfier… L'acharnement thérapeutique, la souffrance morale puis physique font peur, mais avec des notes déjà affaiblies. 56 % des personnes affirment leur peur de l'euthanasie (ce chiffre nous apparaît important, il dénote qu'il y a des personnes qui ont à la fois peur de l'euthanasie et de l'acharnement thérapeutique). 55 % des personnes ont peur de mourir seules (ce chiffre nous paraît finalement assez faible). Ce n'est pas tant la mort en elle-même qui fait peur que ce qui la précède ; de même ce n'est pas tant la souffrance en tant que telle que la dépendance qui fait peur.

 

10 - Pouvez-vous me dire au moment de la fin de votre vie, parmi les choses suivantes, ce que seraient vos souhaits ?

(0=Pas souhaité / 1= Peu souhaité / 2= Assez souhaité / 3= Très souhaité )

 

% de réponses positives (2 ou 3) Notes moyennes Items classés par % décroissant de réponses positives

90 % 2,5 Le souhait de mourir sans souffrir

87 % 2,5 Le souhait d'avoir eu le temps de revoir mes proches

87 % 2,4 Le souhait d'être entouré

84 % 2,3 Le souhait que ma famille surmonte mon départ

83 % 2,2 Le souhait d'être soigné jusqu'au dernier souffle

83 % 2,3 Le souhait de bénéficier des soins palliatifs

79 % 2,3 Le souhait qu'on respecte mes dernières volontés (testament, funérailles…

67 % 1,9 Le souhait qu'on ne me juge pas par rapport à mon âge et ma santé

20 % 0,6 Le souhait de pouvoir demander l'euthanasie

 

 

 

Atténuation de la question précédente, si " la souffrance physique " était une peur assez faiblement exprimée, le souhait de " mourir sans souffrir " est le mieux noté. Juste après viennent deux items relationnels notés également : être entouré et revoir ses proches. À noter le contraste entre le souhait de pouvoir bénéficier de soins palliatifs (plus de 4 personnes sur 5) et le souhait de pouvoir demander l'euthanasie (une personne sur 5).

En fin de vie, l'urgence est à entourer la personne, à la relation et au traitement de la souffrance et non à la légalisation de l'euthanasie.

 

EN CONCLUSION : UN ROLE APAISANT

 

Deux préoccupations fortes se dégagent aujourd'hui chez les personnes âgées, tant pour leur vie actuelle que future : 1/ le souci de la perte de leur intégrité en terme de santé ; 2/ le souci de la perte du lien affectif avec leurs proches.

Ces deux préoccupations se retrouvent dans l'analyse qu'elles font de la vie en général pour les générations futures. Les " choses importantes " ou " dont il faut se méfier " traduisent la priorité affichée pour la construction familiale et une vie qu'on pourrait qualifier de " saine ".

En revenant à leur vie personnelle, on peut déceler chez les enquêtés une corrélation entre les deux préoccupations dégagées plus haut : la baisse de l'intégrité physique et mentale est indirectement la cause première de la fragilisation ou de la coupure du lien affectif. La baisse du moral est aussi largement la conséquence de l'isolement que provoque le vieillissement physique. Cette corrélation est d'autant plus notable que la réalité ou la menace de la perte du lien affectif marque davantage les personnes âgées que les autres conséquences de leur fragilisation en terme de santé : immobilité, dépendance, problèmes des soins ou de confort de vie. Ces éléments rendent nécessaire une démarche volontariste des proches pour renouer le lien car les personnes âgées, du fait de leur conformation physique et psychologique, préfèrent nettement qu'on aille vers elles de façon simple : visite, lettre, appel téléphonique, rencontre avec des enfants.

Il ne convient donc pas de projeter sur les vies des personnes âgées les désirs, valeurs ou mobiles qui animent les autres générations : esprit de conquête, mobilité, dynamisme etc. En accueillant la part de calme inhérent au grand âge, plus que de cautionner la " passivité " on respecte un besoin d'intériorité et de proximité qui s'harmonise heureusement avec les contraintes de l'âge. Il ne s'agit pas de forcer la nature mais de devenir attentif à un désir sans doute plus discret mais aussi plus profond de jouer un autre rôle dans la société : un rôle apaisant. Mais pour éviter le scandale de l'isolement, pour entendre ce désir de rester relier et en bénéficier, encore faut-il prendre l'initiative, se déplacer et tendre l'oreille.

 

 

 

SYNTHESE COORDONNEE PAR TUGDUAL DERVILLE

Délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie