Immigration: la culture, pourquoi faire?
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 24 septembre 2008

Liberté politique. — Dans son message à l'occasion de la Journée mondiale pour la paix, le pape Jean Paul II a proposé une analyse du phénomène de l'immigration, recommandant que l'on recourt pour cela, non à des " formules magiques ", mais à des " principes éthiques de fond ".

Derrière les flux migratoires, il y a le choc des cultures. Au nom du respect des personnes, le pape invoque la nécessité d'un équilibre entre les cultures, fondé sur des " valeurs communes ". En prend-on le chemin ?

 

Yves Meaudre. — Le regard que nos contemporains portent sur l'étranger, quelqu'il soit (celui qui est autre) est cruellement narcissique. Les pays du tiers monde subissent une hémorragie terrible, puisqu'en favorisant inconsidérément les flux de population, on les prive de leur première richesse : les hommes. On s'obstine à vouloir ignorer les solutions qui consisteraient à prendre le problème en amont, tenant compte des exigences du bien commun international qui suppose effectivement le respect des cultures, avec les conséquences morales et politiques que cela implique. Pour cela il faudrait sortir la France et l'Europe de leur nombrilisme. Le cardinal Ratzinger a parlé justement d'eurocentrisme. Mais il est impossible de faire entendre raison aux responsables politiques, comme s'ils étaient tous frappés d'autisme sur ce point. La seule obsession de notre continent est de concurrencer économiquement et financièrement l'Amérique. Dans les faits, l'Europe ne veut se construire que sur de seules bases financières, avec n'importe qui et n'importe comment, dans une précipitation qui rappelle la fébrilité des vieillards angoissés par l'idée de ne pas réaliser ce qu'ils ont rêvé. On ne s'étonnera pas alors si le phénomène de l'immigration est si souvent traité de manière passionnée ou mécanique, comme si une personne exilée ou immigrée n'était qu'un ventre.

 

Votre regard est celui d'un praticien de l'action sociale. Le choc des cultures, vous le vivez au quotidien. Vous suivez chaque jour des centaines de jeunes issus de l'immigration asiatique, exilés brutalement avec leurs parents par des régimes totalitaires extrêmement violents, ou nés en France dans des familles déracinées, quand ils ne sont pas abandonnés, en situation très précaire. Il y a beaucoup d'orphelins parmi eux, livrés à eux-mêmes dans des villes riches ou dans des quartiers difficiles qui trahissent l'échec d'un modèle de société. L'Europe se construit-elle comme une terre d'accueil ?

 

Europe des douze, des vingt et bientôt des trente, l'Europe rêvée de la classe politique ne se réalisera pas comme une Suisse confortable, une résidence des Hespérides pour personnes âgées fortunées. Elle s'effondrera dans un invraisemblable chaos. La violence, la lutte pour la survie, l'organisation clanique et les rivalités de tribus organisées selon la race ou la norme, seront le propre de notre vie quotidienne. Est-ce une vision catastrophiste ? Je ne le crois pas, je vois déjà les effets de la misère morale et matérielle qui s'étend. Il ne sert à rien de s'affoler mais il faut le dire : certains quartiers privilégiés des grandes villes et la vie à la campagne témoignent encore pour un temps des dernières heures d'une civilisation où il fait bon goûter la " paix sociale ". Ce répit sera de courte durée. Ces zones protégées seront de plus en plus réduites et réservées à des privilégiés comme je l'ai vu à Manille ou aux États-Unis. Des régions entourées de remparts avec des milices privées qui contrôlent les entrées et les sorties. Les enfants de ces privilégiés sortant des enceintes sous bonne garde pour éviter les enlèvements. Ce n'est pas un roman de fiction que je décris mais une réalité vécue à Makati, village park de Manille. Cette logique s'imposera dans nos cités. Au niveau continental, l'Europe du Nord qui se développe sur le même exemple nous abandonnera pour protéger son niveau de vie et sa sécurité.

La paix telle que nous l'avons connue dans notre enfance aura été le privilège d'un héritage dilapidé. Celui d'une civilisation cassée fondamentalement à la guerre de 1914 et définitivement reniée en Mai 68 où le nihilisme sartrien a voulu détruire ce qui s'apparentait à l'ordre. Cette Europe bénie de Stéfan Zweig, où, comme l'écrivait Péguy, " l'ouvrier partait en chantant à son chantier " s'est éteinte, mortellement blessée au début du siècle.

 

L'anarchie ne dure jamais longtemps. La révolution est-elle devant nous ou derrière nous ? Va-t-on vers une restauration de l'ordre ?

Fondamentalement je ne suis pas aussi pessimiste que votre question le laisse penser, mais je pressens, à vue humaine, la montée en puissance d'un véritable " ordre nouveau ". Celui d'une culture politico-religieuse, conquérante et simplificatrice, qui succédera aux idéologies pour assouvir la violence de vivre d'une jeunesse à l'abandon. Cette culture pourra venir de l'islam, un islam " islamiste " et caricatural mais redoutable, attendant son Saladin pour imposer à des peuples qui ne savent plus qui ils sont, la férule de la dhimitude et l'interdiction aux musulmans comme Averroès d'exister. Un islam marxiste et mafieux d'où le très sage Dalil Boubakeur, recteur de la mosquée de Paris sera chassé. Un islam qui absorbera tous les ferments de révolte et les frustrations prenant le relais du marxisme aujourd'hui mort ou de l'esprit libertaire de 68 décomposé par son incohérence. Un islam assassin qui tuera la magnifique journaliste Nacéra Belloula, musulmane de haut cœur. Un islam qui donne des réponses simplistes à ceux qui posent des questions morales et spirituelles comme on cherche son thème astral dans le journal ; à ceux qui abandonnent à d'autres le soin de juger. Un islam qui vous intégrera dans le camp du plus fort, qui cherchait hier ses héros dans les bidonvilles d'Alger, qui les trouvera demain dans les quartiers abandonnés de Villeneuve-la-Garenne.

Est-ce un hasard si le Gay Pride, le 19 juin dernier, comptait une forte représentation de beurs musulmans, tous en totale contradiction, sinon blasphématoires, envers l'enseignement du Coran ? Cet islam héritier de l'échec occidental sera comparable à celui qui a englouti en trente ans seulement toutes les incohérences religieuses de la Cappadoce épuisée par les hérésies byzantines, qui a dévoré les monophysistes et les nestoriens. Il imposera sa foi comme une évidence irrationnelle. Cet islam conquiert les cités par le haut, c'est-à-dire par la violence purificatrice et la soif de pouvoir. En face, que proposent les chrétiens ? Un Christ en croix. Après la Faucille, le Croissant ; c'est la seule perspective vraiment objective que je perçois à terme. C'est une simple question de mécanique.

 

La religion chrétienne est la religion qui renvoie sans cesse à la dignité de l'homme, à sa responsabilité propre, à sa capacité de jugement, à son courage personnel, à l'effort constant de l'intelligence, à la volonté d'adhérer ou de refuser le propos de Dieu. N'y-a-t-il donc aucune compatibilité entre le christianisme et cet islam " vulgarisé " ?

 

L'exigence constante du pardon est inhumaine. Cela n'a rien à voir avec l'aman, ce geste de l'homme puissant tenant le sort de son ennemi dans sa main et qui, par mansuétude, lui accorde la vie, marquant ainsi la colossale supériorité du " seigneur " sur l'esclave à sa merci. Voyez l'interprétation qu'a tiré le dictateur Bouteflika des honneurs exceptionnels (240 mètres de tapis rouge !) que l'État français lui a réservés ? Sans aucune protestation officielle, il a insulté la France, évoquant sa responsabilité dans la shoah, et infligeant aux harkis le statut de " collaborateurs ". Il prétend ne rien devoir à la France alors que nous venions de lui transformer sa dette en investissement ! La main tendue n'est pour lui que la main de l'esclave. Les hommes politiques français ont révélé leur ignorance abyssale des autres cultures qu'ils interprètent toujours sous le prisme de leur éducation. Résultat : 220 cités n'obéissent plus aux lois de l'État.

Le pardon auquel Dieu nous invite en se livrant et en mourant de la main toute puissante de l'homme sur sa dignité divine est incompréhensible au musulman et même au juif. C'est un blasphème ! Et pourtant c'est par là que l'égalité radicale de l'homme est signifiée. Notre civilisation est résumée en ce lieu précis de l'amour héroïque. Le philosophe cubain Jorge Valls m'a confié que les Aztèques ne furent pas conquis au fil de l'épée de Cortès mais parce que, peuple prisonnier d'une religion inégalitaire, de terreur et de sacrifices humains, ils ont été subjugués de voir ces géants espagnols, cuirassés et terribles se mettre à genoux et pleurer leurs fautes devant des franciscains faméliques aux pieds nus. Le pardon est une valeur universelle, qui dépasse et transcende les cultures.

 

Situer le pardon comme ligne de partage entre les religions peut se concevoir, mais entre des modèles de société ? Où situeriez-vous aujourd'hui la fracture des civilisations ?

 

À Tibhirine. Souvenez-vous du père de Chergé s'adressant à son meurtrier, et que le Saint-Père a cité le 7 mai dernier au Colisée : " À toi, ami du dernier instant... qui affirme agir dans la fidélité à ce que tu crois être l'islam... Merci et À-Dieu. " Comment voulez-vous qu'une population déracinée, en voie de prolétarisation, et qui cède au vertige de la violence ou qu'une une élite engluée dans le culte de l'hédonisme et le refus d'assumer la conséquence de ses actes, consentent à s'élever dans la protection du plus faible et dans le pardon ? La loi de la nature indomptée l'emporte, et tire l'homme vers le bas. Et la nature est darwinienne, elle dévore les faibles.

 

Dans ce contexte, l'arme démographique a-t-elle encore un sens ?

En France, les femmes maliennes ont entre six et huit enfants, et la tendance est à la baisse. On le sait, les Européennes de souche ont 1,48 enfant. Le taux de fécondité des Françaises serait de 1,78 enfant, ce qui est contesté.

 

L'Onu préconise le recours à l'immigration pour compenser les défaillances démographiques européennes.

Lorsque l'Onu — sous tutelle américaine — veut imposer à l'Europe 23 millions d'immigrés supplémentaires, c'est moins par souci de sauver l'économie européenne que dans le but d'instaurer un melting pot généralisé. Le recteur de la Mosquée de Paris lui-même, Ali Boubakheur, regrette que l'" immigration [soit] devenue une plaie du monde moderne ". Consciemment ou non, l'Onu accentue le chaos social et précipite l'Europe et la France dans un épuisement social et conflictuel. Comme elle l'a fait en contribuant à installer de fait une république islamique au cœur de l'Europe. Ne resteraient en concurrence que les États-Unis et l'inassimilable Asie. L'Asie implacablement cohérente, parce qu'elle est structurellement xénophobe et impériale. Elle n'est pas combustible dans le melting pot.

Cette théorie du brassage a été rêvée par d'aimables pasteurs protestants du début du siècle et reprise par de prestigieux intellectuels de l'" élitocratie " mondiale. Quand le terrorisme gouvernemental était contenu par le Rideau de fer, les relations entre les grands de ce monde était excellentes, chaleureuses. Désormais privés de menaces mondiales directes, les hauts fonctionnaires internationaux ont voulu élargir leur idéal humaniste. Ils se sont peu à peu appliqués à modeler les mœurs nationales sur leurs modes de pensée dirigistes et uniformes. Il suffisait de forcer un peu la logique et d'accélérer les mécanismes en provoquant des brassages de population. De cette vision généreuse, on est passé à une vision angélique, or qui fait l'ange fait la bête... et les bêtes sont féroces. Lorsque l'idéologie rejoint l'utopie, le totalitarisme apparaît. Nous y sommes. L'identité des peuples est devenue un tabou.

 

Mais il faut bien trouver une solution à l'absence de travailleurs. Le patronat français vient de relancer le débat sur l'immigration, réclamant des procédures assouplies pour résoudre les pénuries de main d'œuvre.

Les populations immigrées ne viennent pas pour remplacer les cadres issus des grandes écoles ou des universités ; elles ne viennent pas non plus pour remplacer les ouvriers qualifiés dont nous avons besoin. L'emploi pour la main d'œuvre sous-qualifiée est révolu. Les licenciements collectifs et dramatiques des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont soldé cette génération. Depuis dix ans, en France particulièrement, les jeunes cadres fuient leurs pays dans des proportions gigantesques. On évalue l'hémorragie des jeunes cerveaux sortis de certaines grandes écoles à 50 %. Le secteur de la recherche est le plus sinistré. À tel point que les démographes attribuent la disparition d'un demi-million de personnes par rapport à la comptabilité de l'état-civil (naissance-décès), dans le dernier recensement, à la fuite devant la pression fiscale .

 

La population immigrée en France n'est-elle pas capable de s'adapter ?

La plupart des immigrés sont pour la plupart analphabètes et trop âgés pour être formés. On ne peut pas donner une formation d'ingénieur ou de technicien à un homme de vingt ans qui n'a jamais appris à lire ! Or la majorité des immigrés ont entre trente et quarante ans. On sait par ailleurs, pour prendre l'exemple des Maliens que je connais bien, que pour 100 immigrés du Mali, cinq seulement travaillent pour assurer la subsistance du clan.

 

L'immigration demeure donc avant tout alimentaire ?

C'est d'abord une fuite. Les immigrés quittent des régions rançonnées par les dictatures mafieuses que les nations d'Europe, culpabilisées par leur passé colonial, complices de ces régimes par le truchement de certaines sociétés multinationales, ou indifférentes, ont laissé s'installer. Le " tout économique " pousse les politiques à abdiquer leurs responsabilités humaines qu'un discours purement théorique sur les droits de l'homme camoufle hypocritement. On a pu le constater lorsque le chef du gouvernement et le président de la République ont accueilli Den Xiao Pinh avec un luxe de courtoisie et de prévenance inadaptée aux enjeux. Au même moment, la police chinoise traquait Mgr Jacques Lin Xili, qui se cache depuis ; arrêtait trois jeunes prêtres qui confessaient dans l'église de Leqing près de Wenzhou ; tuait le jeune père Yan Weiping du diocèse de Yixian ou encore pendait par les pouces trois jours durant le jeune séminariste de Baoding, Wang Qing. En revanche avec quelle énergie a-t-on condamné l'Autriche qui ne menaçait personne, et dont la modération politique fait plutôt figure d'exemple dans l'histoire europenne ! Que je sache, ni M. Haider, ni le gouvernement autrichien ne se livrent à de telles persécutions.

Là où il y a de l'argent à gagner ou des forces trop importantes à affronter, la conscience humanitaire reste virtuelle. Les Européens droits-de-l'hommistes doivent comprendre ceci : lorsqu'on est père de famille, qu'on ne peut plus cultiver son champ spolié par les soldats comme à Rokah Por Pram (Cambodge), qu'on meurt de faim à la suite des sécheresses et qu'on constate que toute l'aide humanitaire est détournée par des administrateurs territoriaux qui vous imposent leur autorité de fer, il est normal qu'on ait envie de fuir, et il est normal de trouver un appui dans les pays libres.

 

Et l'Afrique ?

Depuis vingt ans, la moitié de l'Afrique noire est retombée sous la violence des combats tribaux. Le racisme ethnique bat son plein et les déplacements massifs des populations désertifient des régions entières. Certains pays se vident. Le Sahel chanté par Alphonse Daudet, est un gigantesque désert parce que l'homme absent ne maîtrise plus l'ensablement.

L'exemple du Nigeria passé de 122 millions à 88 millions laisse rêveur sur les capacités d'analyse des néomalthusiens. Le chiffre fameux d'une population de dix milliards d'hommes semblent relever davantage de l'imprécation symbolique que de la réalité objective. L'immigration issue du trop plein démographique est une explication complètement fausse. Les peuples se déversent en Europe pour des raisons de sécurité, parce qu'on n'y meurt pas de faim, parce que la formation des jeunes y est bonne et que l'organisation logistique de l'économie demeure exemplaire.

 

Cette ruée sur l'Europe est-elle en soi condamnable ?

Avec le métier que je fais, comment voulez-vous que puisse reprocher à des parents désespérés de chercher par tous les moyens à fuir une patrie en proie au totalitarisme de marxistes sanguinaires ou de fondamentalistes fanatiques ? La situation d'un immigré irrégulier en France (plus de trois cent mille personnes selon une estimation basse) est incomparable avec celle d'un habitant du Soudan ou de l'Erythrée, voire même de celle d'un Algérien ou d'un Cambodgien ! En dépit de conditions de vie misérable, ces populations qui ont la télévision (aussi répandue que le coca cola), peuvent constater qu'à deux heures d'avion d'Alger, on vit extraordinairement, confortablement, et en paix.

En Europe, on ne peut imaginer l'extraordinaire effet de fascination pour des parents algériens de pouvoir se dire que demain, leur fille Fatima-Zohra ne risquera pas de se faire égorger à Oued Djer (Blida) ou leur fils de huit ans, Oussama, d'être poignardé comme à Haï-Raïs, ou encore de se faire vendre comme esclave sur les marchés de Karthoum. Tout se sait. La fabuleuse manne répandue par les systèmes sociaux en France a l'effet d'un appel magnétique. Les gens qui s'insurgent contre l'immigration sauvage ne comprennent pas ce que leur propre pays représente et les devoirs que cette richesse impose.

 

Si par hypothèse, cette " invasion ", selon le mot de Valéry Giscard d'Estaing, repris récemment par le cardinal Giacomo Biffi (" il n'y a pas de droit à l'invasion "), se précisait, comment vivrions nous sur le petit Hexagone ?

Si rien n'est fait, ce n'est pas la population immigrée qui s'occidentalisera, c'est la France qui s'africanisera. Restant sauve la richesse et la noblesse de chaque culture, on peut s'interroger : pour quel résultat ? Les immigrés fuient des problèmes qu'ils retrouveront chez nous avant dix ans : insécurité, pauvreté, désespoir. Préserver le meilleur de notre société n'est-il pas pourtant, pour eux-mêmes, un devoir ? On voit bien ici que l'équilibre culturel dont parle Jean Paul II est non seulement une source, mais une condition de la prospérité.

Au lieu de cela, la seule force organisée et culturellement admise viendra d'un islam fort et terroriste. Cette caricature de l'islam, par glissement constant, imposera la discipline de fer de la charia. Rien ne s'y opposera de façon sérieuse. Elle servira de prétexte à toutes les combinaisons mafieuses. Elle sera la seule autorité admise par les populations déracinées. Son idéologie, sa terreur fascineront. Pourquoi les dignitaires musulmans ne condamnent-ils pas ces dérives ? Ils ont peur d'être jugés par leurs pairs comme traîtres à leur croyance sous les yeux des infidèles. Les imams qui proposent leurs bons offices à Marseille ou à Lille pour négocier un rappel au calme ou encadrer dans l'ordre des manifestations protestataires se plaignent d'être de moins en moins obéis !

Parce qu'on refuse d'appliquer le principe d'une loi commune à tous, on féodalise des pans entiers de notre pays. Lorsqu'on voit des parlementaires envisager l'instauration du système des quotas de journalistes ou d'animateurs de couleur dans la presse, c'est le racisme qu'on institutionnalise. Harlem Désir dénonce cette tendance à favoriser la couleur de la peau contre la notion de mérite. C'est l'admission à l'école militaire de Brienne sur les quartiers de noblesse qui est restaurée ou, plus actuel, les handicaps scolaires infligés aux enfants des opposants dans les dictatures.

 

Ce " racisme du pauvre " n'est-il pas un juste retour des choses ?

Peu m'importe que les Français de l'an 2040 soient Noirs ou Jaunes. Ce qui m'angoisse, c'est de pressentir qu'une civilisation reposant sur l'amour du pauvre, le respect de la femme et de l'enfant, le souci constant de développer les qualités personnelles de chacun, le respect infini de l'égale dignité de tout homme, qu'il soit à naître, vieux, malade ou bien portant, blanc ou noir, le sens d'un Dieu respectueux de la libre adhésion de l'homme à son amour, la distinction nette entre le temporel et le spirituel, entre le politique et le religieux puissent disparaître. Ce que je redoute, c'est que les mafias ethniques déterminent la vie politique et se définissent en rapport de force.

 

Mais l'Occident n'a-t-il pas su digérer ses guerres fratricides, les génocides monstrueux du xxe siècle et tant d'autres crises profondément déstabilisatrices ? Sa culture est-elle si moribonde ?

À vues humaines, on peut le craindre. Les guerres laissent toujours des traces. De mon point de vue, comme je l'ai dit, la chute date de 1914. Les coups de butoir du grossier laïcisme fondamentaliste n'a d'égal que sa force à survivre par la dénonciation et la haine ; l'hétérophobie fait partie de ce combat. La charia simplifie à l'extrême le religieux confondu avec l'idéologie, débarrassant l'homme de toute responsabilité et de toute réflexion.

Ce qui faisait la grandeur de l'Occident, c'était sa capacité à juger et à exprimer la liberté personnelle de chacun. La France des tribus gauloises, si compliquée à gouverner en raison de sa diversité, avait une fascination pour la liberté et pour la dignité de l'homme. Le principe du débat, de la disputatio est condamné. C'était là la grandeur de notre formation aux humanités, malgré parfois son côté pénible et intellectuellement " tricotant ".

 

Qui remplacera l'image de ce Français impertinent, cet Astérix batailleur et fort en gueule ?

Le prolétaire. Ce qui signifie au sens exact du terme, " celui qui ne possède rien ", ni patrie — le seul bien du pauvre — ni son autonomie à pouvoir faire vivre sa famille par sa seule force, ni sa langue, ni sa famille, ni lieu, ni clocher, ni instruction, ni capacité à juger. Il ne prendra plus le risque de juger. Les systèmes jugeront à sa place. Hier c'était le marxisme qui n'est jamais arrivé à occuper plus de vingt pour cent des consciences ; aujourd'hui un vide se fait par le politiquement correct ; demain ce sera l'" islamisme ". Nous n'y échapperons pas.

Le " politiquement correct " avait déjà préparé les hommes à cette réduction servile. Le fondamentalisme le terrorisera encore et le mènera plus bas encore, rendant odieux toute idée du religieux. C'est sans doute la raison objective de l'étrange silence des fondamentalistes laïques sur le réel danger que représente l'islam intégriste.

 

Ne nous refaites pas la théorie du complot...

Je ne pense pas qu'il y est un complot d'intention mais de fait, je pense qu'une mécanique collective de conditionnement des esprits, qui échappe à peu près à tout le monde, est née de la lâcheté des consciences et de l'appétit de domination des puissants. Des occasions habilement saisies, il y en a certainement. L'extraordinaire couardise des " bons " facilite la descente aux enfers. Les Américains ne sont pas mécontents de voir le principal noyau de la résistance à son hégémonie s'embourber. Elle réagit avec ce contentement malsain qu'ont certains amis en constatant qu'un de leur proche un peu trop brillant puisse boire un peu la tasse... pour lui donner une petite leçon d'humilité. Les Anglo-Saxons ont toujours éprouvé à l'égard de la France un certain agacement. De Gaulle n'a jamais vraiment été digéré parce qu'il représentait l'archétype du Français fascinant pour les non alignés .

Mais l'appétit de puissance mal contrôlé est un jeu dangereux. Il faut faire comprendre aux Américains que notre civilisation est commune. L'attitude anglo-américaine à l'égard des islamistes en Algérie est irresponsable. Une vision du monde réduite à une politique d'intérêts se retourne toujours contre ses auteurs.

 

L'immigration divisent les partisans de l'" assimilation " à ceux de l'" intégration ". N'était-il pas de toute façon impossible d'associer des peuples aussi divers à une civilisation aussi différente ?

 

La question n'est pas d'assimiler ou d'intégrer, la question est de respecter chacun dans la reconnaissance de valeurs communes que nous abandonnons chaque jour davantage ! En contrôlant les flux d'immigration avec intelligence et respect, nous aurions pu offrir à ces peuples, aguerris aux épreuves physiques et morales, l'intelligence de la force au service du faible, la valeur de la communauté élargie à la nation, qui sont à l'honneur de notre histoire, et qui sont de fait, assimilables par toutes les cultures.

Oui, il était possible d'offrir des messages de vie sociale sans ambiguïté. Au lieu de cela, nous avons limité notre mode de vie à la seule possession de biens consommables. Nous avons donné l'impression que les immenses richesses dont nous disposions étaient tombées du ciel parce que les esprits nous étaient favorables. Nous avons laissé croire que cette richesse était sans rapport avec la cohérence d'une morale sous-tendant autant le corps politique que la vie économique, et faisant du respect de la vérité et de la parole donnée ainsi que la protection du plus faible le principe du contrat et de la notion du juste prix.

 

Comment expliquez-vous l'abandon de ces règles de vie, somme toute assez simples ?

Les Européens sont en quête d'un bonheur éperdu, pioché dans une mayonnaise culturelle incertaine, du laïcisme le plus poussiéreux à un bouddhisme tellement relifté que les bouddhistes les plus scrupuleux se demandent ce qu'est ce " machin-là ! " (sic), en passant par tous les ersatz pseudo-mystiques du New Age. La seule culture rejetée pour elle-même en Europe est celle qui est constitutive de sa civilisation. Les vieux laïques ont vaguement essayé de transmettre une morale des droits de l'homme et des lumières. Mais la morale républicaine est trop glacée pour être compréhensible par des peuples façonnés par le sens religieux. Cela ne durera pas.

 

Lors du récent sommet de Nice, les États membres de l'Union européenne ont rejeté toute référence religieuse dans la rédaction de la charte des droits fondamentaux. Cette rupture volontaire, exigée par l'actuel gouvernement français, a suscité l'indignation de Jean Paul II. Pensez-vous qu'elle soit à ce point si grave ?

En refusant de nous aimer tels que nous sommes, tels que l'histoire nous a construits, nous nous privons des moyens d'action nécessaires à toute coopération harmonieuse du dialogue pacifique entre les cultures. Pour préserver notre capacité d'action, encore formidable, il faut s'entendre sur l'essentiel, s'unir sur un socle culturel commun. À cette condition, la puissance de l'Europe, qui demeure considérable, peut encore jouer. J'y associe naturellement les États-Unis.

 

Pratiquement, quelles sont les priorités ? Si la résorption des chocs migratoires est un problème culturel, les décisions politiques doivent agir sur deux fronts : à l'intérieur des pays d'accueil, et auprès des pays pauvres. L'action internationale, quasi exclusivement économique, doit donc être réorientée ?

Je crois à la possibilité d'un " plan Marshall " s'appliquant à l'ensemble de l'économie africaine, et régissant précisément la " politique de comptoirs ", cynique et exclusivement intéressée, pratiquée par certaines multinationales. On ne peut accepter qu'un groupe industriel ou financier exploite la richesse d'une région sans que les bénéfices fussent partagés de façon précise et visible par la population. Ceci est vrai dans d'autres parties du monde, notamment en Asie. L'exemple de la Birmanie réinvestissant 40 % des dividendes de Total dans son équipement militaire, équipement utilisé exclusivement contre son propre peuple est absurde.

Plus fondamentalement, mettons les choses en ordre, et cessons de soumettre la politique aux impératifs économiques. Il faut réinventer un plan de coopération rigoureux engageant les États pour 25 ans (une génération). Pourquoi ne pas définir des unions entre pays africains et pays européens en fonction de leur histoire et de leur langue ? L'ambassadeur Gilbert Perol évoquait la nécessité du retour au mandat. L'idée a été reprise par Valéry Giscard d'Estaing, mais sans la développer. La France devrait jouer un rôle pilote à l'égard des États européens pour assurer la formation de cadres africains s'engageant par contrat à servir leurs pays pendant au moins dix ans.

 

L'établissement de la démocratie en Afrique relève-t-il de l'impératif politique ?

Quelques pays y sont parvenus mais rétablir la démocratie est un vœu pieux dans des sociétés à culture tribale. Dans de nombreux États, la vie démocratique relève de la gesticulation à l'attention de la Banque mondiale. La priorité, c'est de soutenir les gouvernants qui ont le souci du bien commun et de la formation de leurs élites. Au risque de choquer, je prétends que face à l'urgence, il faut redécouvrir des Senghor ou des Houphouët-Boigny, quelle que soit la constitution du régime politique. La neutralisation des tyranneaux qui exploitent, pillent et tuent leurs compatriotes, avec parfois la complicité des Occidentaux qui recyclent à leur propres profit les fonds de l'aide internationale est nécessaire au développement des peuples qui s'épuisent sur d'immenses et riches territoires. Au Cambodge, les ressources sont aujourd'hui exploitées pour le seul intérêt de groupes internationaux et les potentats locaux. Un célèbre trafiquant s'est vu attribué 30 % du territoire du Cambodge soit 6.800.000 hectares. En 10 ans, le pays a connu une déforestation de 60 % du territoire avec des conséquences écologiques dramatiques pour la population. Les lois votées sont de pure forme.

Disons-le : sur le continent africain, il est possible d'assurer la paix en s'appuyant sur l'expérience acquise à travers la politique de coopération dans les années 60. La diplomatie onusienne, trop velléitaire, n'a jamais pu assimiler ce que notre culture africaine nous a donné. Comparez le prodigieux fiasco des Américains en Somalie et le doigté des Italiens confrontés à la même situation ! La finesse des peuples ne s'improvise pas. L'Onu ne sait pas travailler dans le temps et demeure trop soumise à des influences contradictoires. Elle est obsédée par l'envoi de contingents " représentatifs " de la communauté internationale mais dont l'expérience et la discipline — qui restent à prouver — n'a d'intérêt que pour les soldats magistralement soldés. J'ai pu constaté l'immense gâchis de l'Apronuc au Cambodge : on s'est contenté d'une parodie de démocratie pour justifier son retrait. Au Kosovo, malgré le charisme et l'énergie de Bernard Kouchner, les moyens et l'analyse rigoureuse font cruellement défaut. Ne parlons pas de la Sierra Leone ou du Timor ! L'Onu a toujours échoué lorsqu'elle a voulu agir en se substituant aux nations.

 

On voit pourtant mal comment la coopération interétatique pourrait se développer pacifiquement sans une autorité, ou tout au moins un organisme de tutelle...

Certainement, mais il faut renverser la charge de la preuve. Le principe constructeur, c'est l'alliance entre un État européen et un peuple qui veut sortir — souverainement — de sa misère. J'ai bien dit un peuple, pas un gouvernement d'aventuriers. J'ai parlé de l'Onu ; l'Union européenne pourrait confier à l'un de ses États membres une mission de coopération de longue durée auprès d'un État africain demandeur. Un cahier des charges limité dans le temps (15, 20 ou 25 ans) avec une obligation de résultats aurait pour objet d'éviter la tentation coloniale et de donner un terme à la coopération. Une évaluation à date régulière par l'U.E. pourrait confirmer ou infirmer les orientations choisies.

 

Mêmes imparfaits, ou limités dans le temps, les accords de coopération internationaux existent. Comment se distingueraient fondamentalement ces mandats, délivrés par une autorité internationale ?

Il faut revenir à notre point de départ. Pays riches ou pays pauvres souffrent de pauvreté morale et spirituelle. Le déracinement culturel des peuples a provoqué une fuite en avant matérialiste qui durcit les relations interpersonnelles et internationales. Le monde est en guerre économique, sans que l'on sache d'ailleurs qui est l'ennemi de qui. Mais ce n'est pas parce que l'ennemi n'est pas identifié formellement que la violence des relations sociales n'existe pas. En reconstruisant l'individu, la personne, les communautés, dans leur dignité culturelle historique, on rétablit une certaine égalité dans le lien social, national ou international.

Le préalable à tout mandat est donc double : 1/ accepter de faire fond sur la mémoire commune des pays prestataires avec les pays contractualisés. Je crois profondément à la mémoire commune quand elle sera débarrassée des supposés idéologiques. On sait combien ceux-ci, reposant pour une très faible partie sur des fondements partiellement avérés ont brouillé toute possibilité de développement serein pour le plus grand profit des dictateurs ; 2/ de l'amère expérience du Cambodge, nos équipes tirent comme conclusion qu'il faut investir sur les très jeunes. L'accompagnement des adultes se heurtent à des traumatismes tellement violents qu'il n'est pas possible de fonder une construction avec eux.

L'objectif premier d'un mandat responsable est donc la formation d'élites nationales, responsables, soucieuses du bien commun. Celle-ci passe donc d'abord par une éducation historique et morale ; il s'agit de prendre conscience d'une part de la dignité de sa communauté, et des exigences d'une souveraineté responsable qui en découlent et d'autre part de la dimension sociale du bonheur humain et des exigences personnelles que cela entraîne. Naturellement, ce cahier des charges devrait prendre en compte toutes les disciplines constitutives d'un État et d'une économie. Il devrait assurer la formation sur place et en tenant compte des possibilités du pays.

 

 

 

Venons-en au deuxième front : l'accueil des populations immigrées elles-mêmes. Quelles sont vos suggestions ?

Elles partent d'un constat cruel que je vis au quotidien puisque nous avons plusieurs maisons dans la région parisienne qui accueillent des clandestins. Ce constat a pris toute son ampleur avec le dramatique accident de Douvres, en juin dernier, où trente neuf personnes ont trouvé la mort. L'absence de frontières est au sens propre meurtrier, car ce fait est le seul connu parmi des centaines. Non seulement les candidats à l'" infiltration " sont prêts à tout pour franchir les goulots d'étranglements que sont les passages obligés pour débarquer en Europe, mais les clandestins n'ont d'autres solutions pour survivre que le recours à une économie marginale et la plupart du temps mafieuse.

La position des mouvements politiques qui poussent à la régularisation des " sans papier " comme celle de Charles Pasqua a une certaine cohérence, même si je la juge catastrophique et irresponsable en raison du considérable appel d'air que cela provoquerait. Combien de jeunes filles avons-nous recueillies, contraintes de se vendre pour survivre, et d'enfants, exploités, avilis, dans les tours du XIIIe arrondissement de Paris ?

Le respect de l'immigré (cessons de parler de " tolérance "), passe donc par une politique d'accueil réellement digne et une politique d'assistance accélérée de leur propre pays, telle que je l'ai dit tout à l'heure. Il faut dans le même temps contrôler les frontières et les rétablir à l'intérieur de l'Europe. Établir un plan d'insertion visible dans le temps des populations demandeuses d'asile. Refuser courageusement de livrer par cohortes entières des familles déracinées à la cupidité et à la violence des chefs de bande et aux nouveaux féodaux du commerce marginal. Reconquérir la souveraineté de l'Etat dans les quartiers abandonnés aux disciplines tribales. Ne pas accepter que des interlocuteurs tribaux ou religieux décident de la paix ou de la guerre dans des zones de non-droit. De toutes ces lâchetés, ce sont les plus pauvres qui paient et les plus violents qui triomphent. Et c'est pour entendre quotidiennement les cris douloureux des humbles que j'en appelle à l'application de la sécurité partout.

La première façon d'assurer le retour à la paix chez nous passe par une guerre sans concession à la drogue, douce ou dure. C'est la même. La drogue est le vecteur principal de la marginalité et de l'asservissement de quartiers entiers à la loi des caïds. S'il s'agit d'une guerre, il faut la faire. Si l'on veut donner aux enfants immigrés les chances de progresser socialement, il faut leur épargner coûte que coûte toutes les menaces pesant sur leur santé physique, psychologique, affective et morale. Or la drogue est un fléau anti-culturel qui avilit les volontés en liant les personnes, victimes ou petits dealers, aux mafias qui prospèrent implacablement. Comment voulez-vous qu'un gosse réagisse à la perspective de posséder à 20 ans une Bmw décapotable, comme un de ses amis, après six mois de dealage au métro d'Asnières ? L'alternative ? Un travail en apprentissage à 40 % du Smic. Quels parents ne seraient pas tentés de baisser les bras devant cette logique infernale ?

Rares sont les maires courageux a avoir pris l'initiative, avec des proviseurs de lycées et des groupes de parents et le soutien de la police locale, d'appliquer le " tolérance-zéro ". La sécurité est revenue presque immédiatement. Les hommes de bonne volonté ne manquent pas, ils sont même plus nombreux que les voyous. Il faut fuir " les représentants " auto-proclamés ou montés par les médias. Il faut aller voir les parents d'immigrés dans les écoles de banlieues et leur proposer de faire triompher l'État de droit. Ce sera difficile, mais comment faire autrement ? Le courage politique est culturel.

 

y. m.