Article rédigé par Rémy Mahoudeaux, le 31 janvier 2018
source[Boulevard Voltaire] Confucius disait : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions ».
Les États généraux de la bioéthique sont lancés, avec au programme moult débats et interventions de savants patentés, et le recueil des avis des citoyens. Sur le papier, même virtuel d’un écran, c’est très bien de demander son avis à Gérard Lambert et à la veuve de Carpentras. Sauf que la manière de recueillir l’avis d’un citoyen pourrait présenter des biais, des façons de s’exprimer qui orientent sournoisement celui qui répond.
Le questionnaire établi par l’Espace de réflexion éthique du Poitou–Charentes présente un de ces bugs. La technologie de collecte de l’information n’est pas en cause – c’est du Google Forms standard -, c’est la formulation de la question 13 en page 2 qui pose de très sérieux problèmes. Voici la question in extenso :
« 13 – Pensez-vous que la loi actuelle sur la fin de vie est suffisante ?
– Oui
– Non
– Je ne connais pas assez la loi pour me prononcer
Sinon, pensez-vous au contraire qu’il faille aussi autoriser : le suicide assisté, c’est-à-dire la possibilité pour un tiers de délivrer un produit létal permettant à celui qui le souhaite de mettre fin à ses jours.
Ou l’euthanasie, c’est-à-dire la possibilité pour un patient souffrant d’une maladie incurable de demander à un médecin de mettre fin à ses jours. Choisissez une des réponses suivantes :
– Je suis favorable au suicide assisté
– Je suis favorable à l’euthanasie
Quelle que soit votre réponse, pourriez-vous argumenter en quelques mots votre position ? »
Le premier problème est que présenter une loi comme suffisante ou insuffisante laisse supposer qu’il existe un « sens de l’Histoire », immuable quant à la direction, qui ferait que les lois doivent évoluer sur une échelle connue (par exemple celle du progrès ?). C’est de toute évidence un présupposé que chacun est libre de prendre à son compte ou non. Mais une telle formulation de la première question néglige l’opinion de celui qui considérerait que la loi Claeys–Leonetti est allé trop loin, que la loi Leonetti de 2005 aurait dû rester la norme juridique, et surtout que cette loi devrait être mise en application en ce qui concerne la disponibilité des soins palliatifs partout en France.
Bref, la bonne formulation eût été de demander si l’on est satisfait ou non, et pourquoi.
Le pauvre monsieur Jean-Luc Romero, président de l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), va être ennuyé. Il est pour le suicide assisté et pour l’euthanasie, mais il lui faudra choisir entre les deux : ce choix est mutuellement exclusif. Mais il est aussi singulièrement restreint, puisque ceux qui sont hostiles à l’euthanasie ou au suicide assisté ne peuvent pas exprimer leur opinion.
Que c’est dommage ! Un esprit chagrin pourrait y voir une tentative de censure, de circonvenir l’internaute. La bonne formulation eût été de scinder la question en deux (suicide assisté, euthanasie) et de proposer pour chacun une réponse « Je suis hostile ». Heureusement, il est possible de passer à la page suivante sans répondre, malgré l’impératif du « Choisissez une des réponses suivantes ».
Confucius disait : « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions. » Peut-être est-ce mon entendement qui est défectueux, mais j’ai compris à la lecture de ces questions que la probité et la rigueur intellectuelle n’ont pas droit de cité dans l’Espace bioéthique de Poitou-Charentes. Conclure qu’il s’agit d’une vaste mascarade et d’une opération de propagande ne dispense pas, néanmoins, de faire connaître son opinion.
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