Article rédigé par Bruno de Seguins Pazzis, le 11 février 2016
Les Innocentes d’Anne Fontaine (2016) FR
Décembre 1945 en Pologne. Mathilde, jeune médecin de la Croix Rouge française, cantonnée dans un village proche, découvre un couvent de bénédictines où des soldats soviétiques sont entrés de force plusieurs mois auparavant, et ont violé des religieuses. Sept d’entre elles sont sur le point d’accoucher. La jeune interne doit pratiquer une césarienne en urgence, sans aucune expérience. Fille d'ouvriers communistes, elle se heurte à la mère supérieure, qui demande le secret absolu, et dont l'intransigeance la mène à l'horreur. Elle se lie avec les sœurs, dont Maria, la maîtresse des novices, en charge de ces jeunes femmes enceintes malgré elles, la foi fragilisée par une grossesse à laquelle leur vocation et encore moins leurs voeux de chasteté ne les ont pas préparées. Les relations sont rendues difficiles par les problèmes de langue puisque seules deux personnes dans tout le couvent parlent français, mais aussi en raison de la présence dans la région de l’armée soviétique. Parallèlement au drame à l’intérieur du couvent, une histoire se noue entre la jeune femme médecin et son supérieur de l'hôpital, Samuel, un juif dont toute la famille est morte dans les camps. Avec : Lou de Laâge (Mathilde Beaulieu, médecin), Vincent Macaigne (Samuel, médecin), Agata Kulesza (la mère supérieure), Agata Buzek (Soeur Maria, maîtresse des novices), Joanna Kulig (Sœur Irena), Anna Prochniak, Joanna Kullig, Dorota Kuduk, Eliza Rycembel, Helena Sujecka, Katarzyna Dabrowska, Klara Bielawka (des religieuses). Scénario : Anne Fontaine, Pascal Bonitzer, Alice Vial, Sabrina B. Karine. Directrice de la photographie : Caroline Champetier. Musqiue : Grégoire Hetzel.
Des femmes et des dieux…
Les faits réels
En avril 1945, Madeleine Pauliac, après s’être engagée à l’âge de 27 ans dans la résistance, a 33 ans et le grade de médecin-lieutenant, lorsqu’elle est nommée médecin-chef de l’hôpital français de Varsovie qui est en ruines. Elle est entre autre chargée de la mission de rapatriement à la tête de la Croix Rouge française. La situation est alors dramatique en Pologne. Varsovie est une ville martyre qui a été rasée après deux mois d’insurrection contre l’occupant allemand entre août et octobre 1944. L’armée soviétique est également présente depuis début 1944 et au retrait de l’armée allemande succède l’installation de l’armée rouge. Dans ce contexte complexe et dramatique, Madeleine Pauliac accomplit de nombreuses missions avec l’Escadron bleu, une unité de conductrices-ambulancières, engagées volontaires de la Croix-Rouge française, chargée de retrouver, soigner et faire rapatrier en France, les déportés et prisonniers de guerre qui étaient dans les camps. C’est au cours de ce commandement que Madeleine Pauliac est amenée à découvrir nombre d’horreurs dont celle du viol collectif de religieuses dans un couvent. Ainsi, parmi de nombreuses belles actions, Madeleine Pauliac s’est investie pour soigner ces religieuses, les libérer de leurs scrupules et finalement sauver leur couvent. Le 13 février 1946, Madeleine Pauliac meurt accidentellement en service pour la France non loin de Varsovie. Voilà résumée très brièvement l’histoire vraie de Madeleine Pauliac qui sert de support au scénario du 14ème long métrage de l’actrice et réalisatrice Anne Fontaine.
Une transposition déformées des faits
Ecrit à huit mains, les siennes, celles de Pascal Bonitzer qui collabora étroitement avec le cinéaste Jacques Rivette, et celles d’Alice Vial et Sabrina B. Karine, deux jeunes scénaristes, il faut admettre que dans ce scénario on s’éloigne quelque peu de la réalité du personnage et des faits. Madeleine, devenu Mathilde Beaulieu, s’affiche fièrement communiste même si elle précise ne pas avoir la carte du parti. Elle n’est plus médecin-chef de l’hôpital de Varsovie mais un médecin directement sous les ordres du médecin-capitaine Samuel, un juif dont toute la famille est morte en déportation. Le colonel qui est à la tête de la mission de la Croix-Rouge française, tout juste sympathique et compétent, est un ancien Croix de feu…C’est ce joli monde qui de très près pour Mathilde, d’assez près pour Samuel et de très loin pour le médecin colonel va se trouver confronter aux bénédictines dont sept se trouvent enceintes et sur le point d’accoucher en raison des évènements barbares décrits plus haut. De sorte que, d’une part on a des religieuses qui nous sont montrées sous un jour plutôt peu flatteur à l’exception de Maria, la Maîtresse des novices. Ainsi, et à titre d’exemple, la Mère supérieure, présentée comme plutôt psychorigide, au lieu d’aller placer les nouveaux nés dans des familles d’accueil, les abandonne à la Grâce de Dieu dans la campagne au pied d’un calvaire isolé ! Une religieuse qui, elle, s’interroge sur sa vocation, met au monde son enfant mais finit par partir en laissant son bébé à la charge du couvent, en déclarant, une cigarette à la bouche, à Mathilde qui la prise en autostop « Elles s’en occuperont mieux que moi. Je veux vivre… », manifestation peu exemplaire de l’amour maternel, une autre pour finir ne parvient pas à trouver les ressources surnaturelles pour supporter l’épreuve et se suicide. D’autre part et pour porter secours à ce couvent sans-dessus-dessous, pour ne pas dire dans tous ses états, il y a donc Mathilde, athée, rationaliste mais si admirablement humaniste…, et Samuel, un juif patriote qui plaisante sur les méchants et les « gentils ». Humour un peu limite… Cette histoire et ces rencontres édifiantes et déjà bien caricaturales nous valent d’assister à plusieurs accouchements, en commençant dans les premières minutes du film par une césarienne dont presqu’aucun détail nous est épargné, puis de découvrir, en dehors d’accouchements sans complications et après qu’ait été diagnostiqué un cas de syphilis très avancée chez la Mère supérieure, ce qu’est un accouchement spontanée suite à une dénégation de grossesse. Le film devrait être présenté dans les écoles de sages-femmes pour ces qualités pédagogiques médicales. Parallèlement à toutes ces naissances, l’aventure qui nait, et qui avorte celle-ci, entre Mathilde et Samuel n’apporte rien au récit et semble n’être que le prétexte à une détente du spectateur.
Plus matérialiste que spirituel
La cinéaste nous a habitués à ses thèmes que l’on retrouve ici : la fragilité de la personne humaine dans la complexité de ses relations avec autrui, dans des situations qui tiennent à l’impossible et surtout la vanité de tout jugement moral, thème ici omniprésent. Mais Anne Fontaine aborde cette-fois-ci un thème qui lui est nouveau : l’opposition entre le laïque et le spirituel, on pourrait plutôt dire entre le matérialisme et le spirituel, tant le propos reste très proche du sol. C’est à peine si on sent le déchirement de ces religieuses entre leur vœu de chasteté, leur fidélité à Jésus, l’époux divin, et cette maternité imposée et pas du tout désirée. Certaines phrases sont glissées dans les dialogues pour bien clarifier le propos, mais elles tombent à plat tant elles sont artificiellement plaquées: « la foi, c'est vingt-quatre heures de doutes pour une minute d'espérance » dit la Maîtresse des novices, « Je me suis perdue pour vous sauver.» susurre la Mère supérieure, « Il faut bien croire en quelque chose» répond Mathilde à Samuel qui l’interroge sur ses convictions politiques, ou encore alors qu’elle demande à examiner une religieuse, « Est-ce qu'on peut mettre Dieu entre parenthèses le temps d'une auscultation ? »… Mais rien, rien dans la mise en image et la mise en scène ne vient représenter ces douloureuses contradictions et interrogations internes. Une mise en scène très fluide au demeurant, des images de la directrice de la photographie, Caroline Champetier (Des hommes et des dieux de Xavier Beauvois en 2010) très belles dans leur ensemble, de beaux cadrages, une lumière travaillée mais qui jamais n’élève le spectateur, encore moins ne lui fait effleurer l’amour du Christ et celui de la Croix supposés habiter les religieuses qui leur ont voué, ou se préparent pour les novices à leur vouer, leurs vies. Dans cet ordre d’idée, on est en fait bien loin, voire pratiquement à l’opposé, de l’élévation spirituelle spirituel qui se dégage du film de Xavier Beauvois, Des hommes et des dieux. Anne Fontaine, après avoir réalisé 13 longs métrages pour le cinéma et un pour la télévision, ne semble pas avoir compris qu’au cinéma, il ne faut pas tout montrer et que souvent, moins on en montre, plus cela est efficace. De ce drame qui suscite évidement une grande compassion mais qui devrait aussi provoquer une élévation de l’âme, la réalisatrice livre un récit qui reste littéral et prosaïque, l’inverse de ce qu’elle confie avoir voulu faire et de ce à quoi elle pense avoir abouti. Les religieuses sont très bien interprétées spécialement la Mère supérieure par Agata Kulesza (Ida de Pavel Pawlikowski en 2013), et sœur Maria, la maîtresse des novices par Agata Buzek (La Vengeance d’Andrzej Wajda en 2002, La Ronde de nuit de Peter Greenaway en 2008). Mais le joli minois de Lou de Laâge (Mathilde) toujours trop bien maquillée et sa coiffure trop impeccable ne rendent pas son personnage crédible dans de pareilles circonstances. Le film apparaît finalement très formaté pour une exploitation commerciale, sacrifiant ce qu’il convient au politiquement correct pour permettre une exploitation et une distribution dans des conditions normales. Inspiré de faits réels, le film ne s’avère pas très inspiré et s’il n’est pas dangereux au point de pouvoir faire perdre la foi à ceux qui l’ont, il est fort peu probable qu’il puisse la faire approcher à ceux qui ne l’ont pas. Mais qui sait ?
Bruno de Seguins Pazzis