Henri Guaino : une certaine idée du gaullisme
Article rédigé par Laurent Ottavi, le 21 avril 2015 Henri Guaino : une certaine idée du gaullisme

Il en revient toujours à de Gaulle. Henri Guaino fait paraître aux éditions du Cherche-midi un livre consacré au général, dans lequel il réunit autour de sept thèmes (l’Homme, la Nation, la participation…[1]) des propos et des écrits de celui qui, le dernier, fût la France ainsi que l’écrivait Romain Gary.

DE GAULLE au présent. Le titre qu’a donné Henri Guaino au recueil de citations dont il a signé la préface évoque celui donné par Régis Debray, À demain De Gaulle (Folio), dans son vibrant hommage au Général écrit vingt ans auparavant. Le philosophe y montrait que, derrière l’image passéiste de l’homme du XIXe, se cachait le premier homme du XXIe siècle. Le député des Yvelines, à son tour, rappelle toute l’actualité, au sens d’utilité, d’une œuvre qu’on ne saurait enfermer dans les coffres forts de l’Histoire.

La France, l’État, le droit

Le gaullisme est une idéologie sans en être une, tant les circonstances chez cet homme d’État au caractère exceptionnel commandent ses choix. On aurait tort de le réduire à une doctrine figée, qui est le contraire d’une pensée en action. Toutefois, à l’image de son œuvre politique, le mouvement de sa pensée est aussi rendu possible par l’ordre et donc la hiérarchie qui la structure. « D’abord il y a la France, puis l’État, et enfin seulement vient le droit » disait-il.

Henri Guaino, par la sélection qu’il a effectuée, insiste particulièrement sur le sens de l’État (de stare, être, demeurer) du Général dans lequel il voyait le seul moyen pour la France de « survivre », mot qui revient souvent dans le livre. C’est à lui que revient d’assurer l’unité contre les féodaux ferments de divisions que sont les corps intermédiaires, à commencer par les partis lesquels court-circuitent la souveraineté populaire comme le triste spectacle du bipartisme depuis trente ans nous l’a encore montré. « L’État, dit-il, pourvu qu’il soit l’État est le guide et le rempart de la nation. »

La Ve République, par l’importance que l’esprit et la lettre de sa Constitution accorde au référendum et par l’élection au suffrage universel du président, place le peuple au cœur des institutions. C’est lui qui remet sa confiance et la charge du destin national par l’élection d’un homme, dont la tâche est de gouverner — d’où la nécessité de l’article 16 pour les situations exceptionnelles — et non pas de gérer tel que nous y contraignent désormais les transferts de souveraineté concédés à l’Union européenne. « Qui a jamais cru que le général de Gaulle, étant appelé à la barre, devait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes ? » déclare-il aux journalistes lors d’une conférence de presse à l’Élysée le 9 septembre 1965.

Ce pacte, lorsqu’il est rompu comme en 1969 avec la victoire du « non » au référendum sur le Sénat et la régionalisation, doit amener l’alternance, étant entendu pour le général qu’« on n’est pas la République quand on n’a pas le peuple avec soi ».

Un autre aspect intéressant de ce livre tient à l’importance qu’il accorde aux questions économiques, bien que le choix des citations est ici quelque peu répétitif. Le projet de participation du général — entre ouvriers et patrons, étudiants et professeurs, l’administration et les administrés — devait ouvrir une troisième voie, « entre les moutons et les loups » comme il le disait à Alain Peyrefitte, c’est-à-dire entre le communisme et le capitalisme, le premier écrasant l’homme sous le joug totalitaire et le second aliénant l’homme par un travail qui n’est plus accomplissement mais asservissement.

L’État, là encore, doit tenir son rang en fixant les grandes orientations  permettant d’être compétitif dans la guerre économique mais aussi en assurant la justice sociale, ces ambitions étant au service de la grandeur nationale et, donc dans l’esprit du général,  de la liberté du monde et de la dignité de l’homme. La construction d’une « Europe européenne » de Gibraltar à l’Oural, respectueuse des différences nationales et indépendante des États-Unis, est à cet égard absolument indispensable.

Le gaullisme après de Gaulle

Il est malgré tout assez ironique que l’éloge du général de Gaulle fait en préface soit l’œuvre de l’ancien conseiller spécial [2] de Nicolas Sarkozy, c’est-à-dire du président qui a certainement le plus dilapidé l’héritage gaulliste en faisant ratifier le traité de Lisbonne après l’échec du référendum de 2005 et en réintégrant la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Ce n’est pas à Sarkozy que Henri Guaino rend hommage en exergue mais à Jean-Pierre Chevènement, Charles Pasqua et Philippe Séguin qui « envers et contre tout » ont défendu l’indépendance nationale et une certaine idée de la France. Ceux-là avaient compris que le gaullisme n’était pas mort avec de Gaulle.  

 

Laurent Ottavi

 

 

De Gaulle au présent
Textes sélectionnées et présentés par Henri Guaino
Le Cherche-Midi, mars 2015
206 p. 15 €

 

 

***

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] De Gaulle par lui-même et la politique, l’Homme, la Nation, l’État, la République, la Participation, l’Europe.

[2] Fonction dans laquelle Régis Debray voyait, avait-il dit à Henri Guaino sur le plateau de Ce soir ou Jamais, « la preuve de l’américanisation de la France ». Dans le livre de Catherine Nay, L’impétueux, consacré au mandat de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino apparaît souvent marginalisé. Ses idées, bien utiles le temps des campagnes électorales, étant jugées surannées.