Article rédigé par Gérard Thoris, le 17 avril 2015
Comment le gouvernement socialiste concentre les leviers de la décision économique entre les mains de la puissance publique.
DANS LE CYCLE conjoncturel, le moment-clé de la reprise est celui où l’investissement redémarre. C’est lui, en effet qui va confirmer le changement de cap en amplifiant le mouvement de reprise de la consommation. C’est bien le moment où nous nous trouvons.
Si l’on fait un arrêt sur image à la fin du premier trimestre 2015 et que l’on extrapole les résultats ainsi obtenus sur l’ensemble de l’année, on obtient pour 2015 une croissance « acquise » de 0,8 % stimulée par la demande de consommation des ménages (1,3 %) mais freinée par l’investissement des entreprises (-0,2 %), des ménages (principalement le logement à -4 %) et des administrations publiques (-2,2 %).
On comprend la préoccupation du président François Hollande et son engagement à faire bouger les lignes ! Pourtant, force est de constater que la situation est, pour une part substantielle, de son fait. Il ne fait qu’essayer de corriger les conséquences logiques de ses décisions. Il s’agit d’une manifestation supplémentaire d’incohérence temporelle, où la puissance publique prend des décisions contradictoires à deux moments différents du temps. À zigzaguer ainsi, il est peu probable que l’on avance beaucoup vers la cible de la croissance et de l’emploi.
Qu’on en juge !
Chasseurs de primes
Lorsque, en 2012, l’on croyait encore possible de ramener en un an le déficit budgétaire de 4,5 à 3,0 % du PIB à fin 2013, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait décidé de mettre les entreprises à contribution pour un tiers de cet objectif, soit 10 Mds€. Impossible de rappeler le poème à la Prévert des mesures fiscales qui ont été prises. Cependant, il est préférable de savoir d’avance que celui qui verse le montant de l’impôt n’est pas nécessairement celui qui en subit le poids.
Au moment du prélèvement, ces impôts pèsent sur la trésorerie des entreprises ; avec le temps, le contribuable effectif dépend des possibilités de l’entreprise de reporter ces prélèvements sur d’autres acteurs. Les véritables payeurs peuvent être les fournisseurs (pression à la baisse des prix d’achat), les clients (hausses des prix), les salariés (moindre progression des salaires) ou l’emploi (si les investissements de capacité sont reportés).
Il faut croire qu’aucun des trois premiers transferts ne fut possible puisque l’on parle actuellement de mettre en œuvre un dispositif fiscal pour améliorer, justement, la trésorerie des entreprises. Il serait surprenant que ce dispositif fiscal ne soit pas conditionnel et donc, l’entreprise sera une fois de plus pilotée par les fonctionnaires de Bercy. S’ils jouent le jeu, les dirigeants se transformeront en chasseurs de primes. A priori, on peut penser que ce n’est pas le métier qu’ils ont choisi !
Avec la crise financière, les normes prudentielles ont été resserrées. Ici, la responsabilité ne relève en rien des gouvernements français sauf qu’il leur revenait d’anticiper les conséquences de ces nouvelles régulations internationales. L’objectif explicite était de contrôler la prise de risque des institutions financières ; l’objectif implicite était de favoriser la détention d’obligations publiques par les compagnies d’assurance. Ainsi, pour pouvoir acheter une obligation d’entreprise à dix ans, la compagnie d’assurance devra détenir trois fois plus de fonds propres que pour une obligation à trois ans. Le financement à long terme de l’entreprise est donc mécaniquement pénalisé.
Socialisme d’État
Qu’à cela ne tienne, le gouvernement vient d’y penser. Il va créer un fonds de 500 millions à disposition des assurances pour des prises de participation dans les entreprises. Évidemment, on peut poser immédiatement trois questions : d’où viendront ces fonds ? Quels seront les critères de distribution ? Est-ce que les entreprises veulent vraiment diluer le pouvoir de décision économique en acceptant une prise de participation quasi-publique dans leur capital ?
Décidément, chassez le socialisme d’État par la porte, il rentre par la fenêtre !
Enfin, la chasse aux fonds propres est ouverte en France depuis l’instauration de l’impôt sur les grosses fortunes (1982) et les augmentations de salaire supérieures aux progrès de productivité. Son résultat est connu : depuis 10 ans, la part des investissements réalisés sur fonds propres (taux d’autofinancement) est toujours inférieure à 100 % en France alors qu’elle est toujours supérieure à 100 % en Allemagne.
Si l’on interroge les économistes sur les leviers de redressement du taux d’autofinancement, ils parlent de freinage du salaire réel ou de progression de la productivité – qui suppose, justement d’investir. Si l’on pose la même question à un gouvernement en France, il répond par l’identification de « prêts cautionnés par la puissance publique » à des quasi-fonds propres.
C’est ce que propose à nouveau François Hollande avec les prêts de développement des entreprises gérés par la Banque publique d’investissement (BPI). La différence entre de véritables fonds propres, à la discrétion effective du dirigeant et de quasi-fonds propres, à la discrétion d’une banque publique, c’est le temps passé à monter le dossier, à justifier chacun des paramètres du projet de développement, à expliquer que l’on est absolument pas sûr qu’investissement rime avec emploi !
On le voit, si la direction est bonne, le chemin est tortueux. S’il est une ligne droite, elle est implicite. C’est celle qui consiste à concentrer les leviers de la décision économique entre les mains de la puissance publique. Et dire qu’il en est qui parlent de « cadeaux aux patrons »…
Gérard Thoris est économiste, professeur à Science Po.
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