Soudan : retour dans l'arène des martyrs
Article rédigé par Bernard Seillier*, le 11 février 2005

Le 9 janvier dernier, à Nairobi, un accord de paix était signé entre le gouvernement soudanais et le Mouvement populaire pour la libération du Soudan mettant ainsi fin à vingt deux années d'un conflit qui a opposé le gouvernement du Nord musulman aux rebelles d'un Sud en majorité chrétien et animiste, combattant pour une autonomie et un partage des richesses.

 

Le bilan est plus qu'effroyable : 2 millions de morts et près du double de déplacés ou de réfugiés vers les pays voisins, des crises humanitaires récurrentes qui déciment la population civile, une aide alimentaire pillée par les groupes armés. La plupart des morts sont le fait des famines et des épidémies organisées, des massacres méthodiques, au point que la question du génocide mérite d'être posée avec toute la prudence requise.

Le dernier rapport d'Amnesty international s'interroge : " Qui répondra de ces crimes ? " La guerre menée par le régime islamiste de Khartoum a été un véritable djihad contre le christianisme et la négritude chère à Aimé Césaire. Des enfants ont été séparés de leurs parents, ont reçu des noms arabes et ont été islamisés contre leur gré. Des jeunes filles ont été mariées de force à des soldats gouvernementaux. L'esclavage a été pratiqué par certaines milices à la solde de Khartoum. Depuis 1992, une fatwa a été promulguée par les imams pro gouvernementaux contre le peuple Nouba dans sa totalité. Ils étaient 1,2 million et sont aujourd'hui à peine 200 000. Au mémorial de l'Holocauste à Washington figure une référence à cette extermination.

La période chrétienne de l'histoire du Soudan qui commença à partir de l'an 34 et connut son apogée au VIe siècle a été systématiquement occultée par la propagande du régime et les programmes d'enseignement. L'histoire du pays ne débute désormais plus qu'avec l'apparition de l'Islam et toute référence aux cultures africaines est bannie.

De nombreux lieux de culte, écoles religieuses et hôpitaux ont été systématiquement détruits. Les chrétiens n'ont plus le droit de construire d'église dans le Nord, alors que les musulmans se voient reconnaître toutes les facilités de construire des mosquées et des écoles islamiques dans le Sud. Lors d'un discours à propos de la transformation d'écoles primaires en écoles coraniques, le général El Bechir annonçait : " Le gouvernement suit un plan à long terme pour convertir le Soudan en un État islamique quels que soient les moyens. "

Nombre de tribunes, de rapports sont écrits aujourd'hui à propos du Soudan, même s'il est bien tard, mais force est de constater que le mot " chrétien " y est souvent absent, alors qu' il s'agit d'un nettoyage ethnique d'une crise humanitaire sans précédent... Mgr Zubeir Wako, archevêque de Khartoum disait en 2001 : " Nous, chrétiens du Soudan, pensons que nous avons été oubliés par le reste du monde chrétien. " Un silence terrible face à ce martyre comparable à celui que connurent les Cambodgiens sous le régime de Pol Pot au milieu des années 70.

L'accord qui vient d'être signé offre sur le papier un répit pour les chrétiens. Le Parlement de Khartoum et le Parlement sudiste doivent rédiger une Constitution intérimaire, notamment en révisant les modalités d'application de la charia, la loi islamique, qui ne pourra plus s'appliquer dans le Sud, ni aux non-musulmans dans le Nord. Mais qu'en est-il en réalité ? Un programme d'islamisation est déjà prévu pour le Sud, financé par l'Arabie Saoudite, sous couvert d'une aide à la reconstruction de la région.

Le calvaire n'est donc pas terminé, non seulement pour les chrétiens, mais pour tous les Soudanais. La paix signée entre Khartoum et les indépendantistes du Sud risque même d'aggraver le conflit en cours au Darfour, une autre zone du Soudan : déclaré en février 2003, il a déjà fait plus de 70 000 morts, 1,6 millions de déplacés y compris 200.000 réfugiés dans le Tchad voisin. Ici, il ne s'agit pas de chrétiens, mais d'hommes et de femmes en majorité musulmans sur lesquels le gouvernement s'acharne en raison de la couleur de leur peau. La vision optimiste présentée jusqu'à présent par les experts et les hommes politiques de la communauté internationale, selon laquelle la conclusion du conflit historique entre Khartoum et l'Armée de libération populaire du Soudan ne pourra qu'avoir des effets positifs sur la crise la plus récente ouverte dans la région occidentale soudanaise, n'est pas fondée. La paix risque de permettre à Khartoum de libérer des hommes et des moyens financiers jusqu'à présent déployés dans le sud pour mieux livrer la guerre au Darfour.

Plus que jamais, le Soudan a besoin de l'aide internationale. Le régime de Khartoum souhaiterait qu'à la suite de cet accord, les organisations internationales baissent la garde et quittent le terrain. C'est au contraire vers un renforcement de l'aide qu'il faut aller. La présence de la France est indispensable, en termes d'accompagnement, de transmission des informations.

Si le Soudan n'est pas une zone touristique fréquentée par des touristes occidentaux, il dispose d'autres atouts, notamment ses réserves pétrolières considérables dans le Sud. Le pays produit environ 600 000 barils par jour. Les grandes compagnies pétrolières asiatiques, mais aussi européennes et françaises, sont intéressées à y développer leurs affaires. Force est de constater que ni la France, ni les États-Unis ni la Chine ne sont entrés en conflit avec le Soudan à cause du pétrole. L'exploitation du pétrole a deux conséquences majeures : les populations telle que les Noubas, qui vivaient à proximité de ces zones ont été déplacées dans des conditions atroces, leur bétail volé, leurs villages brûlés... Les gains réalisés ont été réinvestis par le pouvoir central dans l'effort de guerre. L'entreprise Total est propriétaire de la plus vaste concession pétrolière du Sud-Soudan qui est pour le moment inexploitée. La concession se trouve en plein cœur du territoire des rebelles du Spla. Conséquence de l'accord de paix, le gouvernement de transition du Sud-Soudan, pour son fonctionnement, devrait recevoir 50 % des recettes pétrolières du Sud après prélèvement d'une part de 2 % pour l'État producteur. Veillons à ce que la manne pétrolière aille bien au développement du Sud Soudan et contrecarre ainsi les programmes de financements saoudiens.

Le Soudan doit demeurer notre mauvaise conscience en raison du martyre des chrétiens et des animistes, et des atteintes portées à la dignité de l'homme. La situation des chrétiens se dégrade dans le monde. Que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient, ou en Chine, ne laissons pas l'oppression éliminer les sources d'espérance qui apportent partout dans le monde une lumière sur la paix et la liberté.

* Sénateur de l'Aveyron, administrateur de la Fondation de service politique. Une sélection de cet article a été publiée dans le Figaro du 31 janvier sous la signature conjointe de B. Seillier et de Jacques Pelletier.

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