PARIS,[DECRYPTAGE/analyse] — De nombreux groupes sociaux, mais aussi les gouvernants, se comportent encore à l'égard des entreprises comme les tribus des premiers temps, subvenant à leurs besoins par la cueillette au jour le jour au gré des urgences.

Il est temps de passer de cette conception paléolithique de l'économie à une conception néolithique, de passer de la phase de la cueillette passive et prédatrice, à celle de la culture active. Mot vrai que celui de " jeunes pousses " pour désigner les entreprises nouvelles de croissance qui précisément demandent patience, attention, encouragements, écosystème stable et favorable – qu'il soit fiscal, réglementaire ou culturel. Il en va de l'emploi de demain, et pas seulement sous l'aspect de lutte contre le chômage. Ce qui est en cause, c'est la pérennisation de notre système de protection sociale par répartition. L'énorme socialisation opérée depuis 25 ans et les profondes modifications démographiques exigent de relever vite et fort l'assiette des cotisations, c'est à dire le volume de travail.

C'est tout l'enjeu du retour à une croissance plus élevée et plus autonome, dramatiquement absent des débats en cours... On n'y parviendra sûrement pas en augmentant les frais fixes de la Nation sous prétexte de relancer la demande, mais en passant, comme disent les économistes, d'un management par la demande à un management par l'offre. Ce qui impose de renoncer enfin à la duplicité d'un discours plus empreint d'apriorisme idéologique que de réalisme économique : comment conjuguer soutien à l'entreprise et méfiance à l'égard de l'entrepreneur et du marché, engagement dans l'euro et encaquement dans l'exception française, incantation à la liberté et recours à toujours plus de régulations... dans une économie déjà la plus régulée du monde industrialisé! La France a perdu 10 ans pour avoir mis son énergie à tenir debout malgré ces grands écarts plutôt qu' à retendre les ressorts de son expansion.

Moyennant quoi, la comparaison de la croissance par tête est défavorable à la France. Au delà du débat sur la validité de ce type de statistique, la tendance est incontestable. Surtout, il est d'autres sujets de préoccupation, peut être plus importants : notre position sur les marchés mondiaux ne s'améliore pas, notre taux d'emploi privé est le plus bas avec celui de l'Italie, le nombre d'heures travaillées est aussi le plus bas – que ce soit par semaine, par an ou sur une vie active-, le poids de nos dépenses publique dans le revenu national est parmi les plus élevées. N'y a-t-il pas cohérence entre le fait de travailler peu, de prélever beaucoup et de perdre des places sur le terrain économique?

Premier ressort : l'innovation

Pour la première fois de son histoire, la France n'a pas été acteur de premier rang dans la nouvelle vague technologique. Et elle a crû son retard dans ce domaine clé pour la croissance et la compétitivité. Révolution manquée ? Rien n'est perdu, sous réserve d'une mobilisation massive autour des entreprises : c'est l'industrialisation et non l'invention qui fait le cycle économique. D'autant que seules, les technologies s'appliquant à tous les secteurs ont véritablement des effets d'entraînement sur la croissance, ce qui est le cas aujourd'hui avec le microprocesseur et la mise en réseau, comme jadis la machine à vapeur puis l'électricité. Le cycle " high tech " est bien au cœur du processus de la croissance mondiale que nous avons connue en 1995-2000 puis du processus récessif de 2001, venu corriger les excès antérieurs. Mais il n'y a pas d'innovations sans un effort massif d'investissements, sans restructurations et réallocations des ressources, sans créations d'entreprise.

Faute d'avoir compris que l'ancienne croissance était à bout de souffle et qu'il fallait tout miser sur l'offre nouvelle, la politique économique française a préféré relancer la demande et alourdir la dette publique plutôt que consacrer les ressources à l'investissement, à la recherche, à la formation des hommes, à 'innovation. Beaucoup reste à faire pour valoriser et protéger la propriété intellectuelle, alors que la France dépose presque trois fois moins de brevets que l'Allemagne, et que l'État choisit de siphonner l'INPI à hauteur de 400 millions de francs (moitié des réserves destinées à promouvoir la propriété industrielle)*. pour financer des dépenses de fonctionnement et les 35 heures "

L'urgence est aussi à mieux exploiter notre potentiel scientifique et technique, le meilleur du monde. La réputation de nos grandes écoles, de notre recherche publique, de nos ingénieurs et techniciens n'est plus à faire. Mais la France est mal placée dans le classement européen des publications scientifiques pour les disciplines à application industrielles, au premier rang desquelles les nouvelles technologies qui feront la croissance des prochaines années – NTIC, mais aussi biologie appliquée ou recherche médicale. C'est moins une question budgétaire que statutaire, une question de gouvernance, pour définir les priorités de la recherche publique, et favoriser les passerelles entre recherche publique et secteur privé, la mobilité des chercheurs publics dans une France "qui est l' un des seuls pays où il y a des fonctionnaires chercheurs à vie" (Cl. Allègre), le développement du capital risque, la production (et pas seulement la diffusion) en France des nouvelles technologies de l'information et de la communication, la possibilité pour les chercheurs et les innovateurs à chercher et innover en France, en évitant qu'ils ne soient contraints de s'expatrier au seul motif que la pression fiscale est trop lourde ou l'âge de la retraite atteint....

Gérard de lavernée est économiste.

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