La publication, le 7 juillet du motu proprio "Summorum pontificum" libéralisant l'usage du missel de 1962 a donné lieu à des réactions diverses, mais plutôt meilleures que ce à quoi on pouvait s'attendre.

Quelles que soient les conditions de sa réception immédiate, c'est une décision dont la portée pastorale et théologique est cruciale pour l'Église de l'après-Vatican II.

LE TIR DE BARRAGE avait commencé dès sa première annonce par la Salle de presse du Vatican le 10 octobre dernier. La contre offensive s'était organisée en France, terre des grandes polémiques de l'après-concile, mais aussi en Suisse, aux États-Unis et dans une moindre mesure en Italie. Pétitions de jeunes prêtres, prises de position d'évêques par provinces entières, réactions en tout genre dans la presse s'étaient succédées pendant plusieurs semaines.

Devant l'ampleur de la réaction, Benoît XVI s'est alors donné du temps. Le pape a modifié la composition de la commission Ecclesia Dei et a pris soin dans son exhortation post-synodale Sacramentum Caritatis de rappeler que l'évêque demeure le liturge par excellence de son diocèse , une expression que l'on retrouve dans le motu proprio. Enfin il a pris soin d'accompagner le décret d'une longue lettre aux évêques au ton très personnel.

Ces précautions ont sans doute permis au pape de mieux faire accepter le sens de sa démarche. Benoît XVI a fait de la réunification des chrétiens LA priorité de son pontificat afin de mettre un terme, l'Esprit Saint aidant et dans toute la mesure de ce qui dépend de lui, au scandale de la division de l'Église unique du Christ. Si la marche vers l'unité implique la vérité et la clarté comme vient de le rappeler la Congrégation pour le doctrine de la foi dans sa déclaration publiée en début de semaine sur certains aspects de la doctrine de l'Eglise , elle passe aussi par des initiatives destinées à faciliter les choses et à panser les blessures. Et pour que cet engagement soit crédible, qu'il soit compris par ceux qui sont les plus éloignés, par qui commencer, sinon par ceux qui sont les plus proches ?

Chacun comprend donc que Benoît XVI souhaite faire un geste d'ouverture aux traditionalistes pour cherche à réduire le schisme de Mgr Lefevre, à la mesure de ce qui dépend de l'Église catholique tout en ne transigeant pas sur la doctrine, c'est-à-dire ici sur le sens et la portée de Vatican II. Une démarche que des chrétiens qui prônent l'ouverture peuvent difficilement refuser. Les lettres de nombreux évêques témoignent d'un souci d'apaisement et d'unité. Comme l'écrit Mgr André Fort, évêque d'Orléans : L'intention du Saint Père est claire : parvenir à une réconciliation interne au sein de l'Église. Faire de ce Motu proprio un objet de polémique et une occasion de diatribes serait donc en pervertir le sens et en trahir l'objectif... Je pense ne pas trahir le texte du motu proprio en considérant qu'il nous demande principalement de répondre généreusement et fraternellement aux requêtes des fidèles qui veulent célébrer leur foi avec les livres liturgiques en usage en 1962. Plusieurs évêques prévoient d'ailleurs, comme la proposition leur en est faite par le pape, de créer des paroisses personnelles où le rite extraordinaire sera célébré. Cette volonté d'ouvrir les bras est assez largement partagée même si certains craignent que des groupes intégristes ne crient victoire, ou continuent des actions de harcèlement sur les prêtres de paroisses et les évêques.

Réactions mesurées

Ce risque existe, en effet, mais il est peu probable. Du côté traditionaliste, les réactions ont été jusqu'ici dans l'ensemble mesurée. L'heure n'est pas au triomphalisme. L'abbé Laguérie déclare ressentir une grande joie et une grande fierté, pas du tout personnel, je ne fais aucun triomphalisme... Ce n'est pas la victoire d'un camp contre un autre, mais une grande victoire de l'Église dans son ensemble .

Certes, à Écône, Mgr Bernard Fellay se montre plus dubitatif. Pour lui la situation est pratiquement inchangée et des désaccords subsistent sur Vatican II. Pour d'autres, responsables de la mouvance lefevriste, le motu proprio serait une étape pour de nouveaux combats, une avancée capitale dans la restauration de la tradition . Cependant, pour l'abbé Bruno Le Pivain de la revue Kephas et bien d'autres prêtres de sensibilité proches des milieux traditionalistes, le document de Benoît XVI ne laisse prise à aucune récupération passionnelle de la liturgie .

Globalement, d'un côté comme de l'autre, l'heure est à la réconciliation. Une réconciliation qui ne concerne en définitive qu'un tout petit nombre. Le motu proprio devrait, en effet, permettre de célébrer une cinquantaine de messes dominicales supplémentaires dans le missel de 62. Un chiffre à comparer aux 20.000 qui sont célébrés selon le nouveau missel. À ce propos, le pape constate avec beaucoup de réalisme dans sa lettre aux évêques : L'usage de l'ancien missel présuppose un minimum de formation liturgique et un accès à la langue latine; ni l'un ni l'autre ne sont tellement fréquents. De ces éléments préalables concrets découle clairement le fait que le nouveau Missel restera certainement la forme ordinaire du rite romain non seulement en raison des normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans lesquelles se trouvent les communautés de fidèles. En pratique, pas simple

Cette mise en œuvre du motu proprio ne va, d'ailleurs pas, sans poser des questions pastorales pratiques. Tout prêtre pourra dans les messes privées user du rite de son choix. Si cette faculté ne soulève pas de difficulté en particulier, il risque de ne pas en être de même pour l'application de l'article 5§1 qui concerne les paroisses : Art. 5, § 1. Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la messe selon le rite du missel romain édité en 1962. Il appréciera lui-même ce qui convient pour le bien de ces fidèles en harmonie avec la sollicitude pastorale de la paroisse, sous le gouvernement de l'évêque selon les normes du canon 392, en évitant la discorde et en favorisant l'unité de toute l'Église. Cette autorisation couvre comme il est écrit dans la suite de l'article les jours de la semaine, le dimanche et les jours de fêtes, mais aussi les mariages, les funérailles et les célébrations occasionnelles. Même si l'évêque demeure le liturge par excellence de son diocèse , ce sont bien les curés qui vont être en première ligne. Selon quels critères jugera-t-il ce qu'il convient ?

Ainsi, qu'est-ce qu'un "groupe stable" ? Un groupe de laïcs domicilié sur la paroisse (comme l'avance Mgr Vingt-Trois) ? Étant donné la dispersion et le petit nombre de fidèles attachés au missel de 62, le cas risque de ne concerner que très peu de paroisses de grandes villes, le plus souvent concentrées dans des quartiers résidentiels. Un groupe de laïcs qui décide d'élire une paroisse comme leur paroisse ? Chaque curé devra apprécier. Certes les évêques donneront des directives. Mais il est bien prévu que ce sont les curés qui en dernier recours décideront. Certains d'entre eux ont déjà écrit que ce serait niet . Si l'application du motu proprio pose trop de problèmes, l'évêque a aussi la possibilité d'ériger une paroisse personnelle. Mais certains évêques ne souhaitant pas favoriser de "ghettos liturgiques", ont déjà dit qu'ils ne le feront pas. Dans ces conditions, même s'il existe de part et d'autre un véritable désir de compréhension et d'unité, en pratique les choses risquent de ne pas être toujours simples.
La vérité : il n'y a qu'un seul rite

Au-delà de ces questions pastorales le motu proprio a au moins le mérite de trancher définitivement une question de fond, mais en mettant en lumière une difficulté de discipline

Le rite dit de Paul VI introduit sans préparation suffisante et au pas de charge avait été présenté comme le seul rite autorisé. Le rite dit de saint Pie V étant considéré comme abrogé. Dans sa lettre d'accompagnement et dans les attendus du motu proprio, Benoît XVI tord le cou définitivement à cette interprétation totalement erronée de la réforme liturgique.

En effet comme le rappelle le Pape, il n'y a qu'un seul rite latin. Un rite se reçoit. Il ne se crée pas contrairement à ce qui a été souvent dit après le concile. C'est précisément de cette réception remontant de façon continue à la tradition apostolique qu'il tire sa légitimité, alors qu'au contraire toute construction abstraite et plaquée de l'extérieur sera tenue comme inapte à garantir la cohérence nécessaire entre la lex orandi et la lex credendi. Et parce que la façon de célébrer le culte divin est reçue au travers de la tradition, elle n'est à la disposition de personne, à quelque niveau que ce soit : c'est pourquoi l'Église, qui n'a jamais cessé de purifier, réformer, adapter aux besoins de fidèles sa liturgie, l'a toujours fait dans le plus grand souci de continuité et ne s'est jamais arrogée le droit d'abroger une tradition qui pouvait justifier de sa source apostolique, ni d'en créer une de toutes pièces. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, écrit le pape, et ne peut à l'improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l'Église, et de leur donner leur juste place.

Précisément : Quant à l'usage du missel de 1962, comme forma extraordinaria de la liturgie de la messe, je voudrais attirer l'attention sur le fait que ce missel n'a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé. Lors de l'introduction du nouveau missel, il n'a pas semblé nécessaire de publier des normes propres concernant la possibilité d'utiliser le missel antérieur. On a probablement supposé que cela ne concernerait que quelques cas particuliers, que l'on résoudrait localement, au cas par cas. Mais, par la suite, il s'est vite avéré que beaucoup de personnes restaient fortement attachées à cet usage du rite romain, qui leur était devenu familier depuis l'enfance. Ceci s'est produit avant tout dans les pays où le mouvement liturgique avait donné à de nombreuses de personnes une remarquable formation liturgique, ainsi qu'une familiarité profonde et intime avec la forme antérieure de la célébration liturgique. Et le pape poursuit encore : Cela s'est produit avant tout parce qu'en de nombreux endroits on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau Missel; au contraire, celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire même une obligation de créativité; cette créativité a souvent porté à des déformations de la liturgie à la limite du supportable. Je parle d'expérience, parce que j'ai vécu moi aussi cette période, avec toutes ses attentes et ses confusions. Et j'ai constaté combien les déformations arbitraires de la liturgie ont profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi de l'Église.

L'article 1 du motu proprio ne fait que confirmer cet enseignement : Art. 1. Le missel romain promulgué par Paul VI est l'expression ordinaire de la lex orandi de l'Église catholique de rite latin. Le missel romain promulgué par Pie V et réédité par Jean XXIII doit être considéré comme l'expression extraordinaire de la même lex orandi de l'Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique. Ces deux expressions de la lex orandi de l'Église n'induisent aucune division de la lex credendi de l'Église; ce sont en effet deux mises en œuvre de l'unique rite romain. En toute rigueur, il n'est donc pas possible de dire que Benoît XVI autorise à nouveau un rite ancien ou qu'il revient au rite d'avant le concile. Il ne fait que confirmer l'existence de ce rite et invite l'Église à faciliter son accès à ceux qui jeunes ou moins jeunes veulent puiser de nouvelles forces d'amour dans sa célébration.

Contrairement à ce que d'aucuns ont soutenu pour tenter d'empêcher le pape de publier son motu proprio, la coexistence des deux formes liturgiques, l'ordinaire et l'extraordinaire, n'introduit donc aucun biritualisme dans l'Église latine. On sait qu'un prêtre est ordonné dans un rite et qu'il ne peut, en principe, célébrer que dans ce rite : sauf autorisation particulière, un prêtre de l'Église latine ne pourra donc pas célébrer les sacrements selon le rite catholique grec ou syriaque, et réciproquement. Dès lors que ces deux formes, ordinaire et extraordinaire, ne sont que les modalités du même rite latin unique, il était logique et inévitable que fût reconnu le droit de tout prêtre de célébrer selon l'une ou l'autre, sans préjudice d'un certain nombre de précautions tenant au bon ordre des choses. Or cela n'a pas été le cas pour les prêtres de l'Institut du Bon-Pasteur, reconnu par Rome au mois de septembre dernier, qui ne peuvent, et ne doivent, célébrer les sacrements que selon le missel de 1962. De même, un certain nombre de prêtres traditionnalistes demeurés fidèles à Rome et bénéficiant de l'indult de 1988, militent en faveur de cette même exclusivité, au risque souvent de se couper du presbyterium auquel ils appartiennent : il leur faudra à leur tour consentir cet effort de cohérence dans la réception de la générosité pastorale et aimante dont fait preuve Benoît XVI.

C'est sans doute ce rappel de la doctrine constante de l'Église et de la sainteté de la liturgie qui est le plus important pour l'avenir de l'Église, et qui peut produire pour les fidèles attachés au missel de Jean XXIII ou de Paul VI les fruits les plus profonds.




Pour en savoir plus, sur Generation-BenoîtXVI.com :
■ Le motu proprio Summorum pontificum
■ Lettre de Benoît XVI aux évêques, à propos du motu proprio du 7 juillet 2007