En rejetant le traité de Lisbonne, les citoyens irlandais nous obligent à repenser l'Europe. Même si le processus "constituant" pourra se poursuivre, cet évènement, comme auparavant le rejet de la Constitution européenne par la France et la Hollande, impose une sérieuse remise en question.

Une évidence saute aux yeux : lorsque la ratification est soumise aux parlements, elle est adoptée ; lorsqu'en revanche, elle est soumise au vote des citoyens, elle est rejetée. C'est un signe manifeste du fossé entre la politique, qui veut préserver le processus constituant, et les peuples, qui cultivent la perplexité. Ce fossé doit être comblé. À défaut, l'Europe se développera comme une bureaucratie sans convictions.

Parmi les nombreuses raisons que l'on peut retenir du non irlandais, certaines nous semblent particulièrement significatives. Dans le domaine sensible de la vie, de la bioéthique, de la famille, les citoyens sentent que l'Europe ne respecte pas toujours l'éthique des peuples, et cherche à imposer d'en haut une anthropologie individualiste et une philosophie relativiste. Des illustrations de cette dérive, il y en a beaucoup.

La Cour de justice à Strasbourg a récemment condamné la France qui autorise l'adoption par des personnes seules, mais qui l'avait refusée à une femme homosexuelle. La Cour de justice des Communautés européennes a déclaré que le droit communautaire impose que les retraites de réversion soient attribuées aux "conjoints" des couples enregistrés comme des unions de fait, et que les lois nationales ne peuvent pas discriminer ces derniers par rapport aux couples unis légalement par le mariage. Le Conseil de l'Europe a approuvé une nouvelle Convention qui ouvre l'adoption aux couples homosexuels et aux célibataires.

L'opinion publique ne distingue pas avec précision les organismes des uns des autres. Par exemple, le Conseil de l'Europe, que l'on vient d'évoquer, n'a rien à voir avec l'Union européenne. Les gens ne distinguent pas non plus la politique et la jurisprudence. Toutefois, ils ont l'impression vague, mais constante, que les institutions supranationales cherchent à intervenir dans les domaines de compétence des nations et notamment sur les questions sensibles dont on vient de parler. Et cela les inquiètent. Ils n'ont pas peur de l'Europe, mais de l'idéologie européiste qui, de fait, ne respecte pas le principe de subsidiarité.

Le traité de Lisbonne valide lui-même par bien des aspects la Charte européenne des droits fondamentaux qui prévoit encore de nouveaux droits , et dont l'article 9 ouvre la possibilité de législations qui prévoient diverses formes de famille .

À la veille de la consultation, les évêques irlandais ont rendu publique une Lettre (disponible sur ce site) au titre très pertinent : Nourrir une communauté de valeurs. Certes, les évêques n'ont pas pris position. Dans leur message, cependant, figurent des observations qui, lues à la lumière du résultat, semblent prémonitoires, reconnaissant par exemple qu'il y a une difficulté croissante pour les citoyens à s'identifier avec le projet européen, et surtout que l'Europe n'est pas seulement une communauté économique mais une civilisation dont les valeurs sont encore vivantes. Les Pères fondateurs — affirmaient les évêques — étaient non seulement des catholiques engagés, mais pensaient que la doctrine sociale de l'Église pouvait contribuer à une nouvelle Europe.

Parmi les valeurs de cette civilisation, le christianisme a une place privilégiée, il a donné naissance à l'humanisme européen. Le préambule du Traité de Lisbonne — poursuivaient les évêques — fait référence à son héritage culturel, religieux et humaniste , mais, ce qui est tout à fait regrettable, ne reconnaît pas explicitement l'héritage chrétien. Les évêques concluaient en affirmant que le référendum était l'occasion de réfléchir sur le type d'Europe que nous voulons pour nos enfants et petits-enfants . Au vu des résultats du referendum, cette invitation prend d'autant plus d'importance.

*Stefano Fontana est directeur de l'Observatoire international Cardinal Van-Thuân sur la doctrine sociale de l'Église (Vérone).

© Traduction française Liberté politique.

Pour en savoir plus :■ Le site de l'Observatoire Cardinal-Van-Thuân

■ Irlande, les évêques veulent l'Europe des valeurs (Libertepolitique.com, "Le Fil de la semaine", 13 juin 2008).

■ D'accord, pas d'accord ? Envoyez votre avis à l'auteur