Il paraît que la droite a retrouvé le moral à la rentrée.

Les chiffres du chômage sont bons. L'opération Suez-GDF se passe mieux qu'on pouvait le craindre, sur fond de démobilisation syndicale.

Surtout, son champion, Nicolas Sarkozy domine les sondages qui lui donnent 35 % au premier tour des présidentielles. D'ailleurs les journaux ne parlent que de lui – et de Ségolène Royal, une rivale à sa portée qui ne manquera pas, peut-on penser, de révéler sa vulnérabilité dans la dernière ligne droite.

Un tel optimisme nous paraît bien mal fondé. Il ignore le profond mécontentement de l'opinion. Ce mécontentement, que tous ceux qui vont sur le terrain observent, se manifeste avec une agressivité sans précédent contre les symboles du pouvoir ; il exprime un immense écœurement. Il est vrai que, pour le moment, il ne profite guère à la gauche car il touche toute la classe politique.

Même si elle aboutit, l'opération Suez-GDF n'apportera aucune popularité au gouvernement et probablement quelque rancune dans la majorité de Français qui, même si elle ne s'est pas mobilisée contre, n'approuve pas l'opération.

On souhaite naturellement que l'amélioration de la situation économique se poursuive. Mais il est bien connu que c'est pendant ces périodes de relance que se produisent les explosions sociales. En pleine dépression, les frustrations sont contenues ; avec la reprise, la peur diminue, l‘assurance grandit, ce qui était contenu éclate. Les médecins savent que les malades, dociles et résignés quand leur état est grave, se font à nouveau exigeants quand ils vont mieux. Mai 68 fut, ce n'est pas un hasard, contemporain d'une reprise.

Au demeurant, si la baisse du chômage peut donner quelque espoir à ceux qui s'y trouvent confrontés ou qu'il menace, elle n'a pas d'impact direct sur les classes moyennes, dont les revenus ne cessent de s'éroder, du fait notamment de la pression fiscale. Leur basculement dans l'opposition fut, au dire d'Emmanuel Todd, décisif dans la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne.

Sondages

Les sondages à plusieurs mois d'une élection sont toujours trompeurs. Ils donnent entre 10 et 15 % de prime au sortant. En 1965, de Gaulle devait repasser au premier tour. En 1980, Giscard était crédité de 60 % (pendant que l'on substituait Rocard à Mitterrand dans les sondages !). En 1995, Balladur devait être élu haut la main. Jusqu'en mars 2005, la Constitution européenne était plébiscitée par 70 % des sondés. On a vu chaque fois ce qu'il en a été : la chute est de 10 à 20 % pour le pouvoir en place. Si on corrige de cette constante le score de Sarkozy, la droite "républicaine" n'est même pas sûre de figurer au second tour. Le risque est en tous cas plus grand pour elle que pour la gauche qui n'est pas comme en 2002 dans la position du sortant exposé au vote sanction.

Depuis 1978, la France change de majorité à chaque élection, signe d'un grave malaise : pourquoi en irait-il différemment cette fois-ci ? Après le 21 avril 2002, tout le monde a dit "plus jamais ça". Qu'a-t-on fait pour ne pas revoir l'événement ? Il y eut le référendum constitutionnel : là aussi on a fait comme s'il n'avait pas eu lieu.

Le mécontentement des Français a plusieurs causes : crainte du chômage, montée mal contenue de la délinquance, immigration mal contrôlée, crise de l'Éducation nationale, de la Sécurité sociale, etc. ; mais il est une cause qui prévaut sur toutes les autres même si elle n'est guère ouvertement exprimée : la stagnation, voire l'érosion du pouvoir d'achat de la majorité des Français qui se traduit par un endettement maximum des ménages, tandis que les profits et les revenus de quelques minorités voyantes explosent. On dira que c'est le tribut obligé à la mondialisation. Peut-être. Mais fallait-il que la réforme emblématique de M. Raffarin soit la décentralisation, celle de son successeur la privatisation de Suez ? Deux moyens, quoi qu'on pense, de ponctionner encore ce pouvoir d'achat : par des impôts locaux de plus en plus exorbitants pour l'un, par la promesse de nouvelles hausses des tarifs de l'énergie pour l'autre.

Singulière continuité dans l'aveuglement : la mesure emblématique du gouvernement Jospin, les 35 heures, avait eu le même effet négatif sur le pouvoir d'achat des salariés. On sait ce qui lui est arrivé. Croit-on que les Français marqueront davantage leur reconnaissance à la majorité actuelle ? Même s'il rue dans les brancards, de manière parfois pathétique, Nicolas Sarkozy est le champion de cette majorité. Il ne peut qu'en subir lui aussi les conséquences.

L'embellie actuelle de la droite est trompeuse. Elle est comme l'été de la Saint-Martin, un dernier rayon de soleil avant l'hiver. À moins d'un événement providentiel, on ne voit pas comment les prochaines échéances ne se traduiraient pas par un nouveau tremblement de terre analogue et peut-être plus violent encore que ceux du 21 avril 2002 et du 29 mai 2005.

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