La démission de Mgr Stanislas Wielgus, nouvel archevêque de Varsovie et successeur du cardinal Glemp, juste avant la messe de son installation, constitue un événement douloureux pour l'Église de Pologne et indique combien est difficile la période qui succède à la disparition de celui qui fut pour elle un maître incomparable.

Jean-Paul II, en effet, disposait de tout le prestige possible auprès de ses compatriotes pour mener à bien la délicate transition du totalitarisme à la liberté. Comment éviter les écueils contraires du relativisme éthique lié d'un côté à la mutation consumériste et de l'autre à un extrémisme politico-religieux prompt aux repliements idéologiques et à la désignation de boucs émissaires ?

Par ailleurs, tous les pays délivrés du communisme ont eu à gérer leur passé proche, en cherchant souvent à éviter l'épuration brutale qui aurait ravivé blessures et rancœurs. L'ancien président tchèque Vaclav Havel ne s'était-il pas lui-même montré d'une extrême prudence à l'égard de ses anciens persécuteurs, sachant que le régime policier qui était tombé en 1989 avait fait de ses concitoyens à la fois "des victimes et des coupables" ?

L'ouverture des archives, de Moscou à Berlin, en passant par Varsovie, a non seulement rappelé que la surveillance policière structurait toute la vie sociale des régimes anciens, mais aussi que la règle d'un tel système supposait la complicité la plus vaste possible d'individus dévolus, contre leur gré, à un rôle d'indicateurs. Que l'Eglise polonaise ait été victime de telles pratiques et que son clergé ait été particulièrement utilisé à de telles fins ne saurait étonner. Ce jeu avait d'ailleurs des subtilités qui pouvaient se retourner contre le régime.

Dans quelle mesure Mgr Wielgus fut-il victime et coupable ? Peu de gens sauraient vraiment le dire, à un moment où l'utilisation du passé permet les règlements de comptes anciens et des coups justifiés par l'anticléricalisme d'un nouveau genre qui sévit à Varsovie, avec l'appui de quelques publicistes parisiens, peu soucieux de se mettre au net avec leur propre passé totalitaire.

La décision prise par l'éphémère successeur du cardinal Glemp, et aussitôt ratifiée par Benoît XVI, est dictée par la sagesse. L'avenir du catholicisme dans la patrie de Stefan Wyszynski et de Karol Wojtyla ne doit pas être grevé par l'apurement indéfini du passé. Il doit largement s'ouvrir à des perspectives créatrices, à des projets missionnaires proportionnés aux enjeux d'un âge qui bouleverse toutes les données. Il faut sortir des pièges où on voudrait enfoncer le christianisme de ce début de millénaire, pour lui permettre, conformément à sa vocation, de féconder un avenir à visage humano-divin.

* Éditorial à paraître dans le prochain n° de France catholique, 12 janvier 2006.

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